En son “Hof van Cleve”, Peter Goossens survole la gastronomie belge, proposant une cuisine personnelle de haut vol, véritable ode à la perfection. Pas étonnant que, dimanche dernier, il ait été désigné « personnalité culinaire de la gastronomie belge » à l’occasion de l’ouverture du salon Horeca Expo à Gand. Ce prix est décerné par un jury d’experts, des visiteurs et des exposants du salon.

Entretien avec un chef qui sait prendre le meilleur de la modernité sans renoncer aux bases classiques et qui se montre intransigeant quand il s’agit de choisir les meilleurs produits du marché.

 

Goossens, le nouveau boss

Depuis quelques années et le recul progressif de l’ancienne génération – Pierre Wynants a cédé le “Comme chez soi” à son beau-fils Lionel Rigolet, tandis que Jean-Pierre Bruneau semble perdre son intérêt pour la gastronomie, songeant à vendre sa maison à Christophe Hardiquest (“ Bon Bon”) puis y renonçant, avant de se voir réduit à un seul macaron au récent Michelin 2010 –, Peter Goossens incarne le renouveau de la grande cuisine belge.

En 2005, il devenait à 40 ans le plus jeune trois étoiles de Belgique. Depuis, les avis sont unanimes (il est le seul à obtenir la note de 19,5/20 au GaultMillau) : le chef flamand plane au-dessus de la mêlée. Chaque visite en son “Hof van Cleve” apporte en effet la démonstration de sa parfaite maîtrise des goûts. Mais comment fait-on pour rester au sommet ? “Ce n’est pas mon problème… Le but, c’est de faire plaisir au client. Faire à manger pour soi, ce n’est pas gai. Quand je cuisine à la maison, c’est pour des amis ou pour la famille, c’est toujours pour faire plaisir. C’est un peu notre métier. C’est agréable quand les gens sont heureux d’avoir bien mangé”, explique-t-il dans un français impeccable. Il faut dire que Goossens, après ses études à l’école hôtelière de Ter Duinen à Coxyde a fait ses classes pendant 4 ans chez Lenôtre à Paris, au “Pré Catelan” et au “Pavillon de l’Elysée”.

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Le produit magnifié par la créativité

Pour Peter Goossens, il n’y a pas de miracle, pour arriver une parfaite alchimie gustative, il s’agit d’abord de travailler d’excellents produits: “Le plus important, c’est le produit. Je suis très dur là-dessus. Tout doit être top : huîtres, légumes, turbot… Après, il y a la création d’un plat en essyant d’obtenir les goûts les plus naturels possibles. Avec mon équipe, mes deux sous-chefs, on donc crée en fonction de la saison. Là, depuis mi-octobre, on a commencé les huîtres, les crustacés, les coquilles. Même chose avec le gibier. La chasse ouvre le 15 octobre en Flandre mais on attend le 25 pour servir le gibier d’ici, le perdreau (mais c’est déjà fini) ou le lièvre, histoire de laisser le temps à la viande de mortifier. Pour résumer, je dirais qu’il faut un produit de saison et puis créer un plat. En esseyant qu’une huître ait le goût de l’huître et en mettant quelques garnitures autour qui améliorent le plat. Il ne s’agit pas de mettre des choses simplement pour la décoration, même si le visuel, comme l’odorat sont importants…”

Quand à l’inspiration, cela restera un mystère. Le chef avoue simplement ne pas avoir le temps de lire les magazines ou de se tenir au courant de ce qui se fait ailleurs dans le monde. “Cela vient spontanément. J’aime changer, essayer d’autres choses. Aussi pour mon équipe. Après avoir fait un menu pendant deux mois, on en a marre. C’est gai que cela change…”

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Le refus des modes culinaires

Goossens.gifCe qui impressionne dans la cuisine de Goossens, c’est son inventivité, sa modernité et sa technicité. Ne se pliant à aucune des modes actuelles mais restant à l’écoute de celles-ci, le chef revendique surtout son attachement au classicisme. « On ne peut pas se passer du classicisme, le reste passe assez vite. Il y a des choses qui vont rester dans la cuisine moléculaire, comme la cuisson basse température ou le siphon. Mais ce n’est pas vraiment si nouveau… » S’il veut retenir le meilleur des dernières tendances culinaire, Peter Goossens affirme cependant ne pas avoir recours aux additifs alimentaires dont use et abuse la cuisine moléculaire: « Dans mes gélées par exemple, je n’utilise pas d’additifs, juste de l’agar-agar ou de la gélatine. »

Et, après s’être essayé lui aussi aux sphérifications et autres techniques contemporaines, le chef a en effet laissé tombé. “Le public ne veut pas cela. Partout dans le monde, on voit que les clients, en ce moment, s’intéressent surtout aux bons produits, ce qui devient quelque chose de rare. Il y a 20 ans, des turbots de 8 kg, on en trouvait autant qu’on voulait. Aujourd’hui, il faut des bonnes relations à Zeebruges pour en avoir; il n’y en a plus que 5 qui arrivent par semaine! C’est pareil pour les coquilles, les huîtres… Ce n’est pas intéressant de mettre une huître dans un siphon quand le produit en lui-même est si bon. En Espagne aussi ils ont compris cela aussi maintenant… »

A contrario des modes, chez Goossens, on ne vise qu’une seule chose, la perfection et rien d’autre… « On essaye de faire des cuissons parfaites, des sauces parfaites. Il faut qu’il y ait une harmonie dans le plat. Ferran Adrià, c’est un super grand monsieur mais ils ont là-bas la culture du tapas. Chez lui, on en déguste 25… Moi, je fais aussi des jeux sur les textures, les chaleurs, mais il n’y a aucun additif chez moi. »

En effet, pour le chef flamand, la modernité n’est pas à chercher dans l’originalité à tout prix, plutôt dans l’harmonie. « Aujourd’hui, on revient sur le produit pur, son gout, sa texture. Il faut juste une cuisson, une bonne sauce, c’est tout. Quand je sers une huître, je veux qu’il y ait par exemple un jus, des algues ou du concombre. A partir du produit, il faut essayer de faire un plat mais en mettant jamais ensemble des ingrédients qui n’ont rien à voir. C’est tape-à-l’oeil, ça ne sert à rien. C’est avant tout une question de goût… Ma cuisine se base sur des super produits, sur une harmonie, un bon équilibre entre l’acidité, le salé, le croquant… »

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Du Japon au terroir flamand

De tradition française, la cuisine de Peter Goossens s’ouvre néanmoins aux influences extérieures, et notamment japonaises. “J’adore l’hijiki, le wakamé, le thon, le toro, les sakés (j’en ai 30 sortes ici). J’aime beaucoup la cuisine japonaise car elle est très pure, très dosée. Quand je fais une mise en bouche japonisante, tout est nature : couteaux et coquilles crus, dashi, avocat. Pourtant, je n’ai été qu’une seule fois au Japon, pour la sortie du guide Michelin Tokyo. Mais pour bien manger japonais, il faut aller à New York, à Kyoto, à Tokyo ou à Londres. » A Londres, il est un habitué du restaurant « Umu » par exemple, une étoile au Michelin.

Mais dans les assiettes du « Hof van Cleve », ce sont d’abord les produits du terroir flamand que l’on retrouve. « Ici, on a les chicons, la mer est tout près. La région, c’est aussi le nord de la France, avec les Saint-Jacques de Dieppe par exemple, et le sud de la Hollande, avec les huîtres de Zélande. C’est une région que j’aime beaucoup. C’est ici que je m’amuse, que j’ai mes amis; c’est important. Mais je pourrais faire la même cuisine à New York, quitte à changer quelques produits… »

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Goossens, un bekende Vlaming

Si, côté francophone, Peter Goossens n’est connu que des gastronomes avertis, en Flandre, c’est une star, dont le nom se décline notamment en plats préparés pour Delhaize. Et cela grâce à deux émissions très populaire sur VTM: “Mijn Restaurant” et “De best hobbykok van Vlanderen”, où il apparaît dans le jury aux côtés d’un autre trois étoiles, le Hollandais Sergio Herman du “Oud Sluis” à Sluis. La télévision, Goossens la considère comme « une bonne pub ». « En Flandre, la cuisine bouge déjà beaucoup mais on en veut encore plus. “Mijn restaurant” par exemple cartonne. La finale, Courtrai-St-Trond, a fait 1,8 million de téléspectateurs, tandis que 15000 spectateurs s’étaient donné rendez-vous sur la Grand-place de Courtrai!”

Si la télévision lui prend beaucoup de temps, Goossens essaye de rester très présent dans les cuisines du « Hof van Cleve ». « Le plus important, ça reste ma maison. J’y suis le plus souvent possible. Hier, on a tourné pour la télé jusqu’à 20h puis je suis tout de suite revenu ici et j’ai travaillé jusque 2h du matin Mais c’est vrai que la télé me prend énormément de temps. C’est presque un deuxième métier. Je n’ai même pas le temps de faire un livre. Mais on va le faire l’année prochaine : un beau livre sur le “Hof van Cleve” mais aussi une série de livres plus simples pour cuisiner à la maison.”

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Un génie méconnu côté francophone

baba.jpgAu sud du pays, Peter Goossens est par contre moins connus, en dehors des gourmets avertis en tout cas: « On n’a pas beaucoup de de clients francophones. Quand on en a, ce sont surtout des gens de la région de Lille… »

En participant à l’ouverture début 2007 de la « MuseumBrasserie » aux Musées des Beaux-Arts de Bruxelles, il y avait cette volonté de partir à la conquête d’un nouveau public. L’expérience a finalement tourné court, Goossens s’étant retiré du projet. “Je suis resté conseiller presque deux ans mais j’ai dû arrêter. Au début, on avait fait une charte qui garantissait la qualité de tous les produits, jusqu’au café. Mais le manager, Fernand David, est incompétent. Il a déjà laissé un gros trou dans les caisses de l’“Ostend Queen”, en faillite. Venir à Bruxelles, c’était de l’image, c’était aussi agréable d’avoir une brasserie dans une grande ville. Quand je me suis installé à Kruishoutem, j’avais signé un accord avec mon ancien patron, installé à même pas un kilomètre, qui m’empêchait de faire du gastronomique jusqu’en 1992. Ce qu’on a fait à Bruxelles, c’est ce qu’on faisait ici il y a 20 ans: des steaks tartares, des bons chicons au gratin, des faisans à la brabançonne, des lièvres à la royale. Et puis j’avais envie d’ouvrir autre chose, surtout dans une capitale. C’était un peu la tendance à l’époque, les grands musées accueillaient des grands chefs : le Guggenheim, le British Museum… »

Pour autant, l’idée d’un deuxième restaurant n’est plus vraiment au programme, très chargé, de Peter Goossens, qui privilégie donc la télévision. Car aujourd’hui, être chef, ce n’est plus seulement être en cuisine. Il s’agit aussi de vendre son image. “Il faut remplir sa salle et faire tourner la boutique. On est 17 en cuisines, 8 en salles, sans compter l’entretien, l’administratif… Il faut être complet tous les jours. Surtout en ce moment, en pleine période de crise. En Espagne, les restaurants sont vides! C’est donc important d’avoir de la pub.”

Avec ou sans pub, Peter Goossens est un génie culinaire. Des mises en bouches au chariot de mignardises, un repas au « Hof van Cleve » est un pur enchantement pour les sens. Si le génie n’était si cher, on irait tous les jours…

 

Envie d’y goûter?

  • Hof van Cleve. Riemegemstraat 1, 9770 Kruishoutem. Fermé le dimanche et le lundi.
    Lunch: 95€ (150€ avec les vins). Menu « innovation et tradition » (5 serv.): 175 € (250 € avec les vins). Menu Dégustation (7 serv.): 205€ (290€ avec les vins).
    Rens.: 09.383.58.48 ou www.hofvancleve.com.