Dans son « Dictionnaire amoureux de la gastronomie » paru récemment chez Plon (771 pp., env. 25 €) et lauréat du Prix « essai » du Salon de la gourmandise de Bruxelles, Christian Millau évoque avec humour son duo avec Henri Gault.
“Un jour, dans un magasin, Arlette, mon épouse, fut saluée d’un retentissant : “Bonjour, Mme Gault-Millau ! – Mais, protesta-t-elle, je suis Mme Millau, pas Mme Gault-Millau ! – Ça ne fait rien, répondit le commerçant, c’est la même chose.” Quand Henri Gault a disparu, c’est ma photo que l’AFP diffusa dans la presse, et ainsi me suis-je retrouvé mort, jusqu’à New York et même Tokyo. L’inverse aurait sans doute eu lieu si j’étais parti le premier.”
Un peu plus loin, Millau explique les débuts du succès du tandem et les effets de la première critique de Gault.
« Ce fut une formidable surprise quand Henri Gault, pour son premier essai parisien, fit un papier sur un petit restaurant inconnu de la rue de Dantzig, où un jeune couple, au bord de la dépression nerveuse, contemplait dans l’angoisse une salle vide. La cuisine était bonne, sans plus, mais, touché par leur détresse, Gault n’avait pas craint d’en rajouter « une couche ». Il avait parlé de ce bistrot comme d’un monument en péril et son article avait été si vibrant que, le lendemain même de la parution, le couple qui ne se doutait de rien vit une foule envahir la salle et se jeter sur les tables, tandis qu’une file se formait dans la rue. La cuisine fut complètement débordée, le service réduit à l’impuissance, à tel point que les clients durent aller chercher eux-mêmes leurs plats. Néanmoins, le lendemain, il y avait encore foule et, cette fois, heureusement, du personnel avait été amené à la hâte en renfort. »