Doublement étoilé au Michelin, Sang-Hoon Degeimbre vient d’ouvrir son nouveau restaurant dans une ferme de Liernu. Où il emploie une vingtaine de personnes. Portrait d’un cuisinier qui est aussi chef d’entreprise…
Photo Nils Van Brabant / Air du temps
Aujourd’hui, pour être un grand chef, un cuisinier ne doit plus se contenter de créer des plats qui éveilleront la gourmandise et la curiosité de ses clients (et Dieu sait que Degeimbre est doué pour ça…). Il doit également construire une image, développer une petite entreprise autour de son nom. “Si l’on veut continuer à exister, il faut passer par la communication, pour entretenir sa réputation. Sinon les gens t’oublient. Il y a tellement de restos qui ouvrent… Je l’ai compris dès 2003”, déclare sans ambages Sang-Hoon Degeimbre.
Sans s’être transformé en homme d’affaires à la Yves Mattagne ou Peter Goossens, qui ont construit un véritable petit empire médiatico-financier, Degeimbre est néanmoins l’un des chefs les plus présents dans les médias. Qu’il s’agisse de populariser la cuisine de ses origines (cf. ci-dessous), de cuisiner pour Electrolux dans un « Cube » installé sur l’Arche du Cinquantenaire ou dans le « Tram Experience » pour Brusselicious.
Il y a quelques semaines, à l’occasion des 15 ans de son restaurant « L’air du temps », doublement étoilé au Michelin depuis 2008, Degeimbre déménageait dans une ferme en carré à Liernu, où il a également ouvert quelques chambres et mis sur pied, avec Benoît Blairvacq, un grand jardin. Plus que jamais, “L’air du temps” est donc une véritable PME, qui emploie une vingtaine de personnes : 7 en cuisines, 5 en salles, 4 au jardin, un concierge, une femme de ménage et quelqu’un pour les relations publiques. Alors qu’en en 1997, quand ouvre le premier “Air du temps”, ils n’étaient que trois… “J’ai toujours eu envie de faire ce que je voulais, envie d’indépendance, explique le chef. A un moment, j’ai eu envie d’exprimer ma créativité, jugulée durant mon enfance. Je dis toujours que j’aurais pu faire n’importe quel métier, je l’aurais bien fait. La boucherie, par exemple, ne me passionnait pas vraiment, pourtant, j’étais premier en charcuterie…”
Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de « L’air du temps”, c’est 1,2 million d’euros par an. “Ce n’est pas énorme, commente Degeimbre, juste ce qui faut pour payer les employés. Un restaurant étoilé peut vivre raisonnablement. Mais la situation est instable et je ne suis pas sûr que l’avenir soit au gastronomique de haut niveau. Aujourd’hui, on revient à des valeurs plus modestes, vers des choses moins chères mais avec du goût. Les gens préfèrent plutôt aller ou resto deux fois qu’une fois dans un étoilé.”
Le chou pointu en cuisson très longue au barbecue selon Degeimbre…
Pour remplir son restaurant, un grand chef doit donc sans cesse exister. En participant à des émissions télévisées (on a ainsi vu San dans “Comme un chef” sur la RTBF) ou en se diversifiant, en ouvrant par exemple un 2e restaurant. “Ça a été limite de se concrétiser à Paris mais la difficulté, c’est toujours le personnel. Comment relayer la même philosophie sans être présent physiquement ? Cela peut faire grandir une réputation mais aussi la faire tomber, estime Degeimbre. J’ai préféré me focaliser sur quelque chose de plus important en Belgique pour essayer de faire venir les gens de l’étranger. Mais l’idée est toujours là, ça dépend d’une opportunité par exemple. Mon resto de Neuville est en vente; je n’ai pas de proposition. Si je n’arrive pas à le vendre, j’en ferai peut-être un jour un bistrot… C’est de l’épargne. Il faut diversifier ses placements.”
Autre classique de la diversification pour un chef, les plats préparés. Mais le chef de “L’air du temps” n’est pas très chaud à l’idée de voir des plats à son nom qui n’aurait pas la qualité souhaitée. “Il y a quelque chose qui me dérange. Si j’achète du Rigolet chez Delhaize pour manger une purée, ça me fait bizarre. Même si on sait bien que pour 5 €, il ne faut pas rêver. Et puis il y a une bagarre d’ego. Je préfère m’effacer. Quand on me l’a proposé, il y avait déjà des chefs bien installés chez Delhaize. Lesquels préfèrent mettre en avant des chefs qui ne leur feront pas d’ombre..”
Son nouvel “Air du temps” représente un énorme investissement. La ferme ne lui appartient pas. Son propriétaire a dépensé 2 millions d’euros pour tout refaire, tandis que Degeimbre a investi 1,2 million pour l’aménagement du restaurant, des chambres… “Si je voulais acheter la ferme, cela me coûterait 2,2 millions d’euros. Je n’ai pas les moyens… C’est fou ! J’ai payé mon premier restaurant la même chose en francs belges : 3 millions, soit 75000€…”
Sang-Hoon Degeimbre reconnaît volontiers qu’il n’est pas un pro des chiffres. “Depuis trois ans, je me suis entouré de businessmen qui ont fait de grandes choses dans le monde de l’entreprise pour me conseiller. Il faut toujours regarder des exemples plus hauts. J’ai aussi un expert-comptable et un fiscaliste. Sans cela, ce serait impossible de gérer un restaurant comme celui-là.” Car ce n’est pas le fait d’avoir deux étoiles qui change quelque chose quand on va voir son banquier… “On ne te demande que des chiffres. Par contre, cela compte de manière indirecte. Ce qui compte, c’est la réputation assise depuis 15 ans, notamment grâce aux étoiles. Lesquelles peuvent aussi intéresser des investisseurs qui ont envie de te suivre.”
Enfin, comme Mattagne ou Goossens, le chef d’entreprise estime qu’il faudrait prévoir un statut spécifique pour les travailleurs de l’Horeca pour résoudre le problème des heures supplémentaires et du travail en noir “J’ai installé une pointeuse pendant 3 mois dans mon restaurant pour que mes employés soient payés toutes leurs heures, j’ai mis un an à m’en remettre. Dans le système actuel, il n’y a qu’un gagnant: ni l’employeur, ni l’employé, mais l’Etat.”
Photo Nils Van Brabant / Air du temps
Bio-Express
- 5 août 1969: naissance en Corée du Sud.
- 1974: arrivée en Belgique avec son frère au sein d’une famille de 8 enfants.
- 1984: études secondaires en boucherie. Puis diplôme en gestion et formation en sommellerie.
- 1989-1997: travaille comme commis de salle, sommelier puis maître d’hôtel dans de grandes maisons: le « Vivier d’oies »* à Dorinne, « La Truffe Noire »* à Bruxelles, le « Petit Versailles »* à Gosselies, « L’Eau vive »* à Arbre.
- 1997: ouverture de « L’air du temps » à Noville-sur-Meuhaigne avec sa femme Carine Nosal et un ami.
- 2000: Première étoile Michelin à 30 ans. Equipe: 5 personnes.
- 2005: Lifting complet de « L’air du temps », dans des lignes épurées. Equipe: 8 personnes.
- 2007: Publication de « L’Air du Temps: Cooking & Casting » de Jean-Pierre Gabriel chez François Blouard.
- 2008: Deuxième étoile Michelin. Equipe: 14 personnes.
- 2013: Pour ses 15 ans, « L’air du temps » déménage dans une ferme de Liernu. Equipe: 20 personnes.
La redécouverte de la Corée
Fils d’instituteurs qui ont pas mal bougé en Wallonie (7 déménagements en 14 ans), Sang-Hoon Degeimbre est un enfant adopté. Ses origines coréennes, il est allé à leur rencontre il y a peu, avec un premier séjour à Séoul en 2009, à l’invitation de l’ambassade coréenne pour 3 jours de découverte de la cuisine du pays du matin calme. Il s’y familiarise avec une cuisine qui pourrait bien être la nouvelle gastronomie de demain. Puissance économique désormais majeure (avec des géants comme Samsung, Hyundai, LG…), la Corée est bien décidée en effet à faire connaître sa cuisine en mettant en avant son côté sain et notamment les lacto-fermentations (à l’image de l’iconique kimchi, chou blanc fermenté).
Pour accomplir ce travail de communication, a été mis en place en 2009 la Korean Food Foundation, qui s’est notamment lancée dans l’édition de guides de restaurants coréens en Europe. Laquelle, suite à un dîner coréen organisé pour la Première dame à « L’air du temps » en octobre 2010, nomme Degeimbre «ambassadeur honoraire», chargé de populariser la cuisine coréenne en Europe. C’est ainsi qu’il organise régulièrement des activités-dégustations pour faire découvrir les spécialités et produits coréens en Belgique. Après le salon Séoul Gourmet de novembre 2011, il organisait ainsi un passionnant « Korean Culinary Lab » à Bruxelles, réunissant de grands chefs européens: David toutain, Thomas Buhner, Quique Dacosta, Filip Claeys, David Martin… Après avoir organisé une « Korean Street Food Experience » en son nouvel « Air du temps » en décembre dernier, il sera à nouveau cette année invité du Séoul Gourmet cette année.
Envie d’y goûter?
- L’air du temps
2 rue de la Croix Monet 5310 Liernu (Eghezée).
Fermé lundi et mardi.
Menus à 95 et 130 € (+28/38€ pour les eaux, +45/55 € pour les vins).
Rens. : 081.81.30.48 ou www.airdutemps.be.
Ah, c’est pas chez vous qu’on va trouver une recette « gâteau yaourt » !
(Entendu catastrophée sur France Inter ce midi et comme j’ai dit : comble de l’indigence, cette recette !)
Désolée de mettre une contribution négative, mais là, vraiment…
Chère Marie, c’est par les préparations les plus simples comme le gâteau au yaourt (qui a néanmoins le mérite de faire appel à nos souvenirs d’enfance)que l’ont peut mesurer l’exceptionnel.