Trois ans après le génial documentaire « Mondovino », le trublion du monde du vin Jonathan Nossiter approfondit sa réflexion dans le passionnant « Le goût et le pouvoir », un essai décapant et passionnant. Après l’avoir lu, on ne boira plus tout à fait comme avant…
Article paru dans « La Libre » du 17 novembre
Présenté en Compétition à Cannes en 2004, “Mondovino” a fait l’effet d’une bombe. Non dans l’univers du cinéma mais bien dans celui du vin ! Ancien sommelier, amateur passionné, le cinéaste américain Jonathan Nossiter y tirait en effet à boulet rouge sur la mondialisation galopante et son corollaire : l’uniformisation du goût.
Ecrit en français – l’auteur a vécu très longtemps à Paris avant de s’installer à Rio, où il préparer son prochain long métrage, qui le vera revenir à la fiction –, “Le goût et le pouvoir” se veut clairement le prolongement de “Mondovino”. Essai brillant, anti-guide du vin, l’ouvrage se révèle explosif, Nossiter ne faisant aucun cadeau à ses cibles favorites, qu’il s’agisse du tout-puissant critique américain Robert Parker (qu’il massacre en ne faisant que citer certains de ces commentaires alambiqués), du flying winemaker français Michel Rolland ou de tous ceux qui construisent des vins sans âme, sans terroir.
Le mot est lâché. “Le goût et le pouvoir” tente en effet de définir ce concept si abstrait, lié à la mémoire des hommes et d’un lieu. Nossiter y parvient, en utilisant souvent la métaphore du cinéma pour faire passer ses idées. Lui-même déraciné – il est né à Washington d’un père journaliste mais a vécu à Paris, en Italie… -, il se sent paradoxalement proche de cette notion de terroir. Un terroir qu’il ne faut pas revendiquer comme un territoire national à défendre contre les envahisseurs étrangers mais bien comme une part de l’âme humaine, comme un témoignage de la civilisation qui nous a précédés et que seul le vin permet de goûter.
Accompagnant le bonhomme dans ses pérégrinations gourmandes dans Paris, à la recherche des meilleures caves ou tables de la capitale – l’occasion de descendre Robuchon et son « Atelier », Alain Senderens (en photo) ou Yves Camdeborde et d’encenser l’une ou l’autre petites adresses où l’on ne flingue pas le client sur la carte des vins – ou partant avec lui à la rencontre des vignerons bourguignons, on partage une vision humaniste de l’univers vinicole. Un monde où l’on pourrait encore distinguer un vin de Toscane ou du Chili d’un Bordeaux, où les vignerons seraient encore des paysans, des artisans, voire des artistes. Faux naïf, Nossiter sait que ce monde est compromis par les sirènes de l’argent mais veut croire qu’il sera toujours possible à la singularité de s’exprimer.
Critique, Nossiter sait en effet aussi se faire amoureux pour partager sa passion pour les artisans de la vigne et leurs divines bouteilles. Qu’il s’agisse des meurseault de Jean-Marc Roulot (en photo) et de Dominique Lafon ou des chambol-musigny de Christophe Roumier.
Pour parler de l’émotion provoquée chez lui par ces vins, Nossiter use de mots simples, directs. Refusant le charabia des soi-disants oenologues (à coup d’odeurs de chocolat, de notes de cassis ou de parfums d’humus), il plaide pour l’efficacité d’un discours qui soit accessible à tous et non à quelques initiés. Il exige que tout un chacun puisse parler du vin, l’apprécier selon ses propres critères et ne soit plus effrayé par les jugements faussés de soi-disants spécialistes, qu’ils soient critiques, journalistes ou oenologues.
Un appel à la liberté en somme, en même temps qu’une réflexion plus large sur la société moderne, dévorée par le marketing et les jugements spécieux. Un vrai bonheur.
Envie de lecture?
« Le goût et le pouvoir », publié par Jonathan Nossiter chez Grasset (414 pp., env. 19,50 €).