Globetrotteur gourmet, Steve Plotnicki s’est lancé sur le tard dans la gastronomie. Avec son classement OAD, il entend concurrencer le fameux Top 50 des meilleurs restaurants du monde. Lequel classe la Belgique en tête du peloton européen en désignant Kobe Desramaults (« In de Wulf » à Dranouter) comme meilleur chef européen! 

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Photo OAD

Rencontre avec
un blogueur passionné

Le lundi 9 juin dernier, sur la terrasse de la « Bozar Brasserie » à Bruxelles, le jeune chef flamand Kobe Desramaults, 33 ans, savoure l’instant. Son restaurant « In de Wulf » vient d’être élu meilleur restaurant européen dans le « Top 100 » du site américain « Opinionated About Dining » (AOD), dont l’influence ne cesse de grandir dans le milieu gastronomique international. Lancé aux Etats-Unis en 2007, ce « Top 100 » s’intéresse depuis 3 ans à la scène culinaire européenne. Et d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, il entend bien concurrencer le très influent« Top 50 » des meilleurs restaurants du monde, sponsorisé par Nestlé (San Pellegrino).

Du rap à la gastronomie

Fondateur d’AOD, le New-Yorkais Steve Plotnicki souligne pourtant la différence qui existe entre ces deux classements, qui font la joie (ou la douleur) des restaurateurs et des passionnés de gastronomie. « Le Fifty Best reflète le point de vue des journalistes du monde entier. La différence avec nous? Le restaurant « Saison » à San Francisco par exemple. Il vient d’entrer à la 74e place dans leur classement; chez nous, il est premier. Ça fait trois ans déjà qu’on sait que c’est le meilleur restaurant des Etats-Unis. Ils courent après nous… », explique, plein de mauvaise foi – les deux classements partagent énormément de leurs adresses -, le sémillant sexagénaire américain.

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Onze grands chefs européens avaient répondu présents à Bruxelles
à la demande de Steve Plotnicki…

Que l’on retrouve étonnamment pimpant au lendemain de l’impressionnant dîner de gala organisé pour le lancement du Top 100. Pas moins de 11 chefs européens ont régalé les quelques dizaines d’happy few, qui avaient déboursé la modique somme de 250€ pour venir goûter aux créations multi-étoilées du Hollandais Sergio Herman, de l’Espagnol Quique Dacosta, du Norvégien Esben Holmboe Bang ou encore des Belges Sang-Hoon Degeimbre et Gert de Mangeleer. Bref, toute une nouvel le génération de chefs qui doit son succès autant aux blogueurs influents qu’aux critiques professionnels et aux guides gastronomiques…

Un « dîneur » influent

De ce qui était d’abord un hobby, Steve Plotnicki tente aujourd’hui de faire un business. Sans sponsor, il injecte encore pas mal de fonds personnels mais espère bien un jour pouvoir gagner sa vie grâce à AOD. Ancien producteur de musique – il a fait fortune notamment grâce au groupe de rap Run-DMC -, le bonhomme est venu sur le tard à la gastronomie, via son blog Opinionated About Dining, lancé en 2001. Et il joue carte sur table: « J’aime avoir de l’influence sur le monde de la gastronomie! Je me définis comme un « food enthousiast » qui a aujourd’hui une voix qui porte. Beaucoup de gens qui font ce que je fais auraient voulu être journalistes. Pas moi, car les journalistes ont des contraintes. Quand on est blogueur, on parle à la fois des chefs et de soi-même. C’est ce qui nous permet de faire partie, à part entière, de la scène culinaire. »

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Steve Plotnicki en action lors d’un dîner Omakaze au « Neta »,
restaurant japonais de West Village à Manhattan. 
Photo Spanish Hipster

Pour réaliser son classement, Plotnicki a adopté l’approche américaine collaborative, celle d’un guide comme le Zagat ou d’un réseau social comme Yelp. « Le problème avec le « Zagat », c’est que le vote de quelqu’un qui ne connaît absolument rien à la bouffe est équivalent à celui d’un spécialiste. Originellement, je voulais quelque chose qui combine l’autorité d’un critique et le côté populaire. » Parmi ses contributeurs les plus actifs d’OAD, on trouve par exemple le Belge Laurent Van Parys, très influent dans le petit monde de la gastronomie internationale… Totalement décomplexé, Plotnicki se fiche de savoir si ses acolytes payent leur addition… « Je ne sais pas… Moi, je paye mon addition. Même si il m’est arrivé de me faire inviter, j’essaye toujours de payer. Et si je ne paye pas, je laisse la moitié de l’addition comme pourboire. »

Michelin: « un concept démodé »

L’approche de Plotnicki est à l’opposé de la critique gastronomique traditionnelle, qui ne cesse de perdre du terrain face à l’explosion des blogs, de Facebook, Twitter, Instagram, où chacun peut désormais commenter son repas en direct grâce à son smartphone. C’est clairement dans cette mouvance que s’inscrit AOD. « A l’heure des réseaux sociaux, le Michelin est un concept démodé, explique le blogueur. Je ne veux pas être anonyme. Je veux avoir un dialogue avec le chef. La chose la plus importante pour moi, c’est d’aller dans un restaurant et de dire au chef: je veux que vous me serviez ce que vous faites de mieux. Dans tous les restaurants, les clients ne sont pas logés à la même enseigne; il y a toujours des clients spéciaux. Dans les journaux, les critiques cherchent à vivre l’expérience moyenne, parce que leurs lecteurs lambda sont un petit couple marié qui vit en banlieue. Quand ils veulent aller au resto le samedi soir, ils doivent prendre une baby-sitter, payer une place de parking… Ils veulent savoir si ce qu’ils auront dans l’assiette correspond à ce qu’ils ont lu dans le journal. »  

Bref, à l’aise dans un monde où la communication a triomphé de l’information, le « food enthousiast » plaide pour une aristocratie gastronomique. Il défend une expérience exceptionnelle accessible à un tout petit nombre de dîneurs semi-professionnels fortunés, qui peuvent prendre l’avion le lundi pour aller manger au « Géranium » à Copenhague, avant de s’envoler le mardi pour le « Mugaritz » au Pays basque…

 

La Belgique en tête
du classement OAD

Réalisé en compilant les avis de quelque 4300 contributeurs à travers le monde, le « Top 100 » d’AOD est a priori ouvert à tous. Son créateur Steve Plotnicki affirme affiner le mécanisme depuis des années grâce à un algorithme statistique capable d’éliminer les réponses les plus farfelues. Que ressort-il donc de cette grande consultation de foodies passionnés, qui ne dresse évidemment pas la liste des 100 meilleurs restaurants européens mais de ceux qui font le plus le buzz (l’un et l’autre étant évidemment liés)? 

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C’est le Belge Kobe Desramaults (« In de Wulf »)
qui est en tête du Top 100 européen 2014 d’OAD.

Première constatation, on ne note pas tant de différences avec le fameux World’s 50 Best. On y retrouve grosso modo, dans un ordre différent, les mêmes stars mondiales de la gastronomie: le Danois René Redzepi (« Noma », premier au Top 50 San Pellegrino), les Espagnols Juan Roca (« Celler de Can Roca ») et Andoni Luis Aduriz (« Mugaritz »), l’Anglais Heston Blumenthal (« Fat Duck » et « Diner »)… Bref, tous les tenants de la cuisine « technico-émotionnelle » en vogue actuellement. 

Non au « french bashing »

Composé d’une majorité d’Américains, le panel d’AOD est cependant plus fidèle à la grande gastronomie française, là où le Fifty Best a largement accompagné le mouvement de frensh bashing né dans la foulée de la cuisine moléculaire début 2000. Dans la photographie 2014 que dresse AOD, se trouvent toujours en bonne position de grandes tables classiques comme « Troisgros » à Roanne (2e), le « Louis XV » d’Alain Ducasse à Monaco (5e), « Régis et Jacques Marcon » à Saint-Bonnet (11e) ou même « Les Prés d’Eugénie » du vétéran Michel Guérard (30e).

Au total, les chefs français trustent plus d’un tiers du classement. « Il y a trois types de « food enthousiasts », commente Plotnicki: ceux qui cherchent l’avant-garde, ceux qui veulent la tradition et ceux qui se situent entre les deux. De 1999 à 2009, à l’époque de la cuisine moléculaire, les styles de cuisine étaient opposés. J’étais à la « Maison Pic » la semaine dernière. J’y ai mangé des petits pois, frais mais aussi en une sphérification à la Ferran Adriá. On voit bien que les chefs traditionnels essayent de se rapprocher de la modernité. C’est important pour René Redzepi de rejeter la tradition; cela fait partie de son art et de son image. Mais moi, je ne suis qu’un mangeur; je n’ai pas besoin de me rebeller… »   

La Belgique bien placée

L’autre enseignement à tirer est la bonne représentation de la Belgique. Le Top 100 européen intègre en effet 7 restaurants belges. Outre Kobe Desramaults en tête, on trouve de grands noms: Sang-Hoon Degeimbre (24e), Gert de Mangeleer (27e), Peter Goossens (42e), Lionel Rigolet (53e) et Yves Mattagne (78e). Preuve que le lobbying des différentes régions belges pour placer leur gastronomie sur la carte culinaire mondiale commence à porter ses fruits… 

S’il ne tarit pas d’éloge sur Kobe Desramaults (qu’il considère comme un des trois chefs européens les plus intéressants avec le Suédois Magnus Nillson et le Français Alexandre Gauthier), Steve Potnicki, fondateur d’AOD, sait aussi apprécier une forme de classicisme. « Les crevettes grises et la mousseline au riesling du « Comme chez soi » (en français dans le texte)… Cela fait plusieurs années déjà mais c’est vraiment mon premier grand souvenir ici. Ce n’est pas ce que j’aime habituellement mais c’était très bon… »

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