Un peu par hasard, les Radzitzky se sont retrouvés vignerons. Aujourd’hui, le Domaine de La Mazelle produit 3500 bouteilles par an… Objectif : atteindre d’ici peu 4500 bouteilles annuelles.
Si, en France, la vigne se transmet de génération en génération depuis des centaines d’années, la redécouverte de la viticulture belge est bien plus récente. Dans la foulée de pionniers comme Philippe Grafé, créateur en 2000 du Domaine du Chenoy à Emines (Namur), premier vignoble professionnel en Wallonie, ou encore du succès fulgurant du Domaine des Agaises, créé en 2002 à Haulchin (Hainaut), dont la Cuvée Ruffus rivalise avec les meilleurs mousseux au monde, nombreux sont en effet ceux qui, désormais, se lancent dans l’aventure viticole.
Ce ne fut pas le cas d’Henry et Thérèse de Radzitzky. Cette famille aristocratique était à la recherche d’un domaine familial disposant de plusieurs hectares de forêt. Originaire du Condroz, le baron a tout d’abord cherché dans sa région avant d’élargir ses recherches. C’est ainsi qu’ils tombent sous le charme du domaine de La Mazelle, situé à Beaumont, dans le nord de la Botte du Hainaut. Cette belle propriété fut construite en 1929 par l’homme politique libéral Albert Devèze. Le monde étant petit (et l’aristocratie belge encore plus que lui), il se trouve que celui-ci fut ministre de la Défense de l’arrière-grand-père de Thérèse, le comte Charles de Broqueville… Passée de mains en mains au fil des ans, la propriété est achetée en 1997 par les Willems, un couple de Flamands.
Passionné d’œnologie, M. Willems plante en 2001 les premiers pieds de vigne du futur vignoble. Il choisit l’auxerrois, le pinot noir mais aussi le pinot gris, le sirius et le dornfelder. En 2004, il est victime d’un accident dans les vignes et décède l’année suivante. En 2005, sa veuve et ses enfants mettent en vente le domaine, racheté par les Radzitzky en 2006. Ces derniers sont donc devenus les heureux propriétaires d’un domaine de 80 ha, comprenant une maison et ses dépendances, des bois, des étangs mais aussi… un hectare de vigne plantée en coteau !
Ne connaissant rien à la viticulture et ne pouvant s’y consacrer que le week-end, le baron et la baronne se renseignent d’abord sur les frais de fonctionnement d’un vignoble. Ils se rendent vite compte qu’il est impossible de payer un salaire avec une si petite production. Qu’à cela ne tienne, ils décident de ne pas réduire à néant le travail de leur prédécesseur… Débute alors le long apprentissage du travail de la vigne, tout d’abord par curiosité puis par envie de relever le défi. Pour ce faire, ils créent en 2007 l’asbl Vignoble de La Mazelle, pour bénéficier du travail de bénévoles, tout en reversant les quelques bénéfices à des projets sociaux et humanitaires en Belgique et dans des pays en voie de développement. Garder la vigne n’a en effet été possible que grâce à la centaine de bénévoles qui, régulièrement sollicités par mail, se relayent ici toute l’année pour travailler au grand air et découvrir la viticulture.
Mais La Mazelle, c’est avant tout une histoire de famille. « Nous n’avons jamais voulu acheter une vigne. Si nous avions su tout le travail que cela représentait, nous ne l’aurions sans doute pas fait. Mais tout avait été défriché et il fallait respecter le travail accompli par d’autres. J’ai lancé en guise de boutade à mon frère Géry qui était bon œnologue : « Veux-tu devenir mon maître de chai? » Il l’est aujourd’hui… », plaisante Thérèse de Radzitzky, avocate la semaine et en charge des sols, des aspects phytosanitaires et de l’accueil des visiteurs du domaine le week-end… Son frère Géry de Broqueville s’occupe donc de la vinification, tandis que le fils de Thérèse, Charles-Albert est en charge de l’entretien et de la taille de la vigne. Quant à son baron de mari, il s’occupe du ravitaillement des bénévoles. Et ce week-end-là, son agneau sentait drôlement bon !
Deux ans de travaux ont été nécessaires pour remettre en état la vigne, délaissée après la mort de M. Willems : pieds de vignes déstructurés, sarments devenus lianes… Mais il a surtout fallu s’informer pour savoir comment procéder. Pour ce faire, Thérèse s’est constitué une bibliothèque d’ouvrages spécialisés, tandis que son frère Géry allait chercher conseil auprès de Christophe Waterkeyn, maître de chai de Villers-la-Vigne, vignoble non commercial installé au sein de l’Abbaye de Villers-la-Ville. A l’époque, en 2006, le milieu viticole belge en est encore à ses balbutiements et c’est un chaleureux esprit de partage qui règne. La première récolte, la même année, a été difficile car de nombreuses maladies avaient attaqué la vigne. Mais le vin est malgré tout une réussite, même s’il n’a pas été commercialisé. Et dès l’année suivante, La Mazelle décroche l’AOC Côtes de Sambre et Meuse.
En 2009, les apprentis vignerons décident d’arracher les cépages qui ne donnaient pas de bons résultats sur le sol schisteux du domaine pour se concentrer uniquement sur l’auxerrois (1/3) et le pinot noir (2/3), leurs deux seules cuvées (hormis un rosé, un marc, une eau-de-vie et un ratafia créés de façon expérimentale). Et c’est là l’une des spécificités de La Mazelle : on a fait ici le choix de tourner le dos aux cépages interspécifiques, utilisés dans la plupart des exploitations viticoles wallonnes, à commencer par le Domaine du Chenoy. Il s’agit en fait de croisement entre différentes espèces de vignes (dont des cépages nobles) créés pour être plus résistants aux maladies et aux intempéries. Mais souvent critiqués car donnant des résultats gustatifs parfois très surprenants…
Ne pouvant passer au bio (les solutions alternatives aux herbicides se révélant hors de prix), Thérèse de Radzitzky et son frère Géry ont opté pour l’agriculture raisonnée. En Belgique, très peu de produits sont autorisés pour faire du bio, hormis le sulfate de cuivre qui, à hautes doses, n’est pas bon pour les sols, vite saturés en cuivre. La plupart des exploitants de vins bio ont d’ailleurs perdu quasiment toute leur récolte en 2012 au vu des conditions climatiques difficiles, qui entraînent des maladies fongiques qui déciment les vignes : oïdium, mildiou, botrytis.. A La Mazelle, la récolte 2012 s’est certes limitée à 70 %, mais la matière est concentrée et l’on annonce une très bonne cuvée en pinot noir.
Thérèse de Radzitzky est toujours ravie de faire déguster ses vins!
Ce printemps froid ne désespère pas tout le monde. C’est en fait une aubaine pour la vigne car il permet un développement lent de la végétation. “Le travail du vigneron c’est avant tout limiter la végétation, la quantité de bourgeons, de grappes… Contenir et concentrer”, explique, pédagogue, Thérèse de Radzitzky. Après les vendanges, on laisse la vigne se reposer, la sève descendre.En hiver, on procède à un léger toilettage mais aussi aux tailles de formation du cep ainsi qu’au rabattage à deux yeux des sarments sélectionnés. Tandis que, tout au long du printemps, il s’agira de nettoyer les pieds, de procéder à l’ébourgeonnage, à l’épamprage… Un travail nécessaire pour prévenir les maladies et assurer la qualité du raisin, ce long travail d’entretien doit presque entièrement être fait à la main car le vignoble de La Mazelle est le plus pentu de Wallonie : jusqu’à 45° à certains endroits !
Le vignoble belge bénéficie actuellement d’un réel effet de mode. Si le prix des vins produits n’est pas concurrentiel par rapport au marché mondial, les techniques de vinification progressent et la qualité ne cesse d’augmenter. En 2006, avec son hectare de vignes, La Mazelle faisait partie des 5 plus grands vignobles de Wallonie. Depuis, de nombreux domaines ont été plantés un peu partout en Wallonie. “On ne peut pas compter sur le réchauffement climatique car 1°C de plus, ce n’est pas assez. C’est surtout plus de pluies et donc plus de champignons”, dit Thérèse de Radzitzky. Laquelle met en garde les téméraires qui voudraient se lancer dans l’aventure de la viticulture en Belgique ! “C’est un pari ! Comme lorsqu’on investit en Bourse, on ne connaît pas l’avenir. Et certains n’imaginent pas le travail que cela représente…”
La recherche du terroir hennuyer
Aujourd’hui, le domaine de La Mazelle produit 3500 bouteilles par an. Quand les nouveaux pieds de vignes seront prêts, le vignoble pourra sortir jusqu’à 4500 bouteilles annuelles. Il n’y a, pour l’heure, pas de projet d’expansion. On envisage seulement l’achat d’une cuve de 2000 litres.
Le vin de La Mazelle se caractérise tout d’abord par la minéralité, due à son sol schisteux et légèrement limoneux. Le travail de vinification est focalisé sur le fruit, sur le terroir. On n’utilise d’ailleurs pas les fûts de chêne achetés par le précédent propriétaire mais seulement les cuves en inox.
Le pinot noir 2009 était d’excellente qualité, riche et concentré, mais le stock est aujourd’hui épuisé. Le 2010 en vente actuellement est plus clair, léger et accompagne plus volontiers les poissons ou les volailles. Son côté minéral s’équilibre avec les notes fruitées (fruits des bois, cerise) et on note quelques notes épicées en finale. Les cuvées 2011 et surtout 2012 devraient être de meilleures années.
Si l’auxerrois 2009, déjà très oxydé, est sur le déclin, le 2011 commercialisé actuellement est d’une belle vivacité, offrant un bel équilibre entre acidité et fruité (agrumes, fleurs blanches). On l’associe à des Saint-Jacques, des huîtres ou encore à un foie gras au curry thaï, comme le prépare leur voisin, le chef Alain Boschman du « Grand Ryeu ».
Par ailleurs, quelques autres produits ont également vu le jour en fonction de la qualité des récoltes: une saignée de pinot noir (un rosé), un marc de raisin et une eau-de-vie de vin distillés à Biercée et un ratafia.
Deux recettes
- Gaspacho de mangue & tartare de langoustines: une idée pour mettre en valeur les parfums fruités de l’auxerrois 2011.
- Saint-Jacques, bouillon épicé au baharat & poêlée de légumes de printemps: un plat imaginé à partir des notes épicées du pinot noir 2010.
Vignes en Hainaut
Le vignoble de La Mazelle occupe un beau domaine dans les bucoliques paysages de la Botte du Hainaut. Les bénévoles sont les bienvenus toute l’année pour travailler la vigne.
- La Mazelle, 6500 Leval-Chaudeville.
Rens.: www.lamazelle.be ou 0474.51.36.36 (Thérèse de Radzitzky).
Fête du vin
Tous les ans, le Domaine de La Mazelle organise une journée portes ouvertes. Visites guidées didactiques dans les vignes le dimanche 21 juillet prochain à 10h, 11h30, 14h, 15h30 et 17h. Tandis qu’Alain Boschman, du restaurant « Grand Ryeu » voisin, proposera des dégustations. Menu 4 serv. à 18€.
- Réserv.: [email protected].
Où trouver les vins de La Mazelle?
On trouve l’auxerrois et le pinot noir de La Mazelle dans certains restaurants (Le Grand Ryeu à Grandrieu, « Kabu à Bruxelles » ou encore l’étoilé Prieuré St-Géry à Solre-St-Géry) mais aussi dans certaines vinothèques et/ou bars à vins, comme l’excellent Mig’s World Wine ou Oeno TK à Bruxelles. Rens.: www.lamazelle.be
Huit appellations belges
Crée en 2004, l’AOC Côtes de Sambre et Meuse est la première appellation d’origine contrôlée wallonne. A côté, on trouve le Vin de pays des jardins de Wallonie ainsi que le Crémant de Wallonie et le Vin mousseux de qualité de Wallonie (2008). La Flandre compte, elle, trois AOC: Hagelandsewijn (1997), Haspengouwsewijn (1999) et Heuvellandsewijn (2000). Le reste de la production étant vendu comme Vlaamse landwijn (vin de pays).
Rendez-vous
Ce reportage est le premier d’une série de six reportages publiés le samedi dans le supplément « Momento » de « La Libre » jusqu’au 13 juillet qui, un peu partout en Wallonie, partent à la rencontre de six producteurs passionnés. Agrémentés de recettes à partir de leurs produits, ces reportages seront rassemblés dans un supplément spécial, publié dans « La Libre Belgique » du 18 juillet prochain à l’occasion de la Foire de Libramont.