2009 aura surtout été marquée par les attaques multiples contre la cuisine moléculaire, qui semble définitivement tombée de son piédestal… L’heure semble en effet désormais être au retour au naturel et au traditionnel.
Côté guides, le 100e Michelin France récompensait Eric Fréchon du Bristol à Paris, tandis que l’édition belge 2010 sanctionnait Jean-Pierre Bruneau. Petite coup d’oeil dans le rétroviseur vers l’année gourmande 2009.
L’année 2009 avait débuté sous de bien sombres auspices, avec la mort, le 8 janvier, du mythique pâtissier Gaston Lenôtre (photo)… Pas de quoi décourager ses fils spirituels belges Raphaël Giot (Bouge), Alain Vandermissen (Berchem-Saint-Agathe) et François Galtier (Forest), qui finissaient troisièmes, derrière les concurrents italiens et français, lors de la Coupe du monde de pâtisserie qui se déroulait à Lyon les 25 et 26 janvier…
Plus grand public, l’arrivée de l’émission “Un dîner presque parfait” en Belgique – la première semaine belge, enregistrée à La Louvière, a été diffusée le 9 février sur RTL-TVI – a enfin marqué un certain renouveau de la cuisine à la télévision en Belgique francophone. L’émission réalise qui plus est d’excellentes audiences – avec un pic à 430 000 gourmands il y a quelques semaines encore ! –, même si “Un dîner” n’a pas connu le même succès en prime time la semaine dernière…
Du Michelin France au GaultMillau Belgique
En février, en se retirant des fourneaux, Marc Veyrat (photo) confirmait cette tendance qu’ont de plus en plus de grands chefs à renoncer à leurs étoiles, comme c’était déjà le cas, fin 2008, pour Olivier Roellinger à Cancale. Un peu plus tard, Eric Fréchon, chef du palace parisien “Le Bristol”, prenait néanmoins la succession en décrochant trois étoiles à la parution, le 2 mars, de la centième édition du guide Michelin France, qui recensait 26 maisons triplement étoilées. Sorti en librairies bien plus tard, le 23 novembre dernier, le guide rouge Bélux en comptait, lui, toujours seulement deux, “De Karmeliet” et le “Hof van Cleve”. Une édition 2010 marquée par la rétrogradation de Jean-Pierre Bruneau à un seul macaron mais surtout par l’arrivée de quatre nouveaux restaurants doublement étoilés, deux en Wallonie (“L’eau vive” à Arbre et “Le château du Mylord” à Ellezelles) et deux en Flandre (“Hertog Jan” à Bruges et “Slagmolen” à Opglabbeek).
Parues quelques jours plus tôt, le 25 octobre, les éditions française et belge du guide GaultMillau décernaient respectivement le titre du “cuisinier de l’année” à l’excellent William Ledeuil (photo), du restaurant “Ze Kitchen Galerie” dans le VIe arrondissement à Paris (également coup de cœur du guide Lebey et Prix d’honneur au Fooding 2009), et à Roger Van Damme, chef autodidacte du “Lunch-Lounge Het Gebaar” à Anvers. Côté français, le GaultMillau surprenait également en abandonnant sa cotation historique sur 20 points pour une classification sur cinq toques…
La chute de la gastronomie moléculaire
En Allemagne, le GaultMillau décidait, lui, de revoir à la baisse les notes de tous les restaurants recourant à la cuisine moléculaire. Une décision faisant suite, en début d’année, à la publication en espagnol et en allemand par le journaliste Jörg Zipprick d’un livre à charge contre Ferran Adrià (“El bulli”) et les dérives de la cuisine moléculaire. Un livre sorti en français (dans une version mise à jour) chez Favre le 17 septembre, dernier sous le titre “Les dessous peu appétissants de la cuisine moléculaire”. L’Allemand livrait une enquête fouillée qui portait le coup de grâce à la cuisine moléculaire, définitivement tombée de son piédestal en cette année 2009…
Tout avait débuté en Espagne à l’été 2008 avec la polémique entre les chefs Ferran Adrìa (photo) et Santi Santamaria, le second accusant le premier rien moins que d’empoisonner ses clients en recourant, dans des proportions dépassant largement celles de l’industrie agroalimentaire, aux additifs alimentaires. Sur les blogs culinaires, commençaient à apparaître dans le même temps les premiers témoignages de gourmets sortis ballonnés, voire carrément malades, de chez “El bulli”.
Un phénomène qui, en ce début d’année 2009, touchait également le “Fat Duck”, le restaurant d’un autre grand chantre de la cuisine moléculaire, le trois étoiles anglais Heston Blumenthal (photo). Le 25 février, il était même contraint de fermer les portes de son restaurant-laboratoire de Bray-on-Thames durant plusieurs semaines, suite à une série alarmante d’intoxications alimentaires provoquant diarrhées et vomissements qui avait fini par alerter les autorités !
Et même si la Health Protection Agency démontrera plus tard dans un rapport que ces 500 intoxications alimentair
es étaient sans doute dues à des coquillages porteur d’un norovirus, le mal est fait. Le monde de la gastronomie de découvrir que les produits magiques que sont les perles d’alginates, la méthylcellulose, les amidons modifiés, le monoglutamate de sodium, les carraghénanes ou les gommes variées pouvaient, dans des quantités excessives, être laxatifs, allergisants, indigestes, voire cancérigènes.
Le dernier coup de massue pour les tenants de la cuisine moléculaire tombait il y a quelques jours, le 23 décembre, avec l’annonce par la vice-ministre italienne de la Santé Francesca Martini d’une loi qualifiant la cuisine moléculaire de “risque de santé”. Désormais, l’ajout d’additifs est donc interdit dans les restaurants italiens, tout comme l’usage de l’azote liquide en cuisine !
En 2010, on change de décennie. La première décade du XXIe siècle fut celle de la cuisine moléculaire, qui succédait elle-même à la fusion food des années 1990. Il y a fort à parier que la décennie nouvelle sera plus à l’écoute des questions environnementales actuelles. Plus que jamais en effet, le Slow Food, le Fooding, le bio, les locavores (ceux qui mangent local) n’ont semblé plus en phase avec l’air du temps.
Je n’ai jamais été très attirée par la cuisine moléculaire, des prix excessifs pour finalement quelque chose de beau certes mais sans grande révélation gustative. Je suis plutôt branchée légumes oubliés,cuissons lentes, mélange de saveurs et textures, utilisation d’épices, c’est déjà toute une alchimie!
Nous sommes bien d’accord! Bonne année Lydia!
Je pense, qu’il ne faut jamais être excessif dans ses jugements, ni dans un sens, ni dans l’autre. Les tenants purs et durs de la cuisine moléculaire se sont peut-être perdu dans une cuisine artificielle et surtout tape à l’oeuil, mais je pense, que la cuisine moléculaire peut apporter un plus à la gastronomie. Rien qu’en ce qui concerne la consistance des mets, la cuisine moléculaire apporte des sensations tout à fait nouvelles.
Cher Thierry,
Je pense foncièrement que l’on va très rapidement en revenir de ces sensations nouvelles, qui ne mènent qu’à une chose, l’artificialité… Quand, pour faire un spaghetti d’huile (qui propose certainement des sensations tout-à-fait inédites), on utilise plus d’additif que d’ingrédient en soi, on ne peut plus parler de gastronomie à mon sens, d’autant que ce jeu sur les textures permet de se passer d’ingrédients de top qualité (beaucoup plus chers évidemment qu’une dose de carraghénane ou de méthycellulose). Si l’on en vient à accepter de tels excès, comment encore faire la différence avec l’industrie agro-alimentaire, qui use des mêmes artifices chimiques pour ses préparations? Et si des gens comme Adrià sont certainement des génies à leur façon, tous les suiveurs, beaucoup moins talentueux, qui se sont lancés dans la gastronomie moléculaire parce que ça marchait sont certainement plus des apprentis-sorciers qu’autre chose. Ce n’est sans doute pas un hasard si beaucoup de chefs « moléculaires » sont des autodidactes (Adreà, Degeimbre…), ne maîtrisant pas d’abord parfaitement les bases de la cuisine classique…
Mon avis est plus mitigé. Un peu de moléculaire (les doses de produits doivent être raisonnables et certains additifs ne doivent pas être utilisés car ils sont indigestes) ça peut effectivement apporter un peu d’inventivité supplémentaire mais ça ne doit en aucun cas prendre le dessus dans le plat. Mais ce qui me dérange sans doute le plus dans la cuisine moléculaire c’est de pas savoir ce qu’on est en train d’ingurgiter…Les chefs doivent de toute façon prendre conscience que ce sont des produits non naturels qu’ils utilisent et qu’il ne faut pas faire n’importe quoi!
Et puis Degeimbre et quand même un très très bon chef et Marc Veyrat (non moléculaire) était aussi un autodidacte!
Je rejoins l’avis de « La Fille ». Je trouve dommage de se passer d’un produit novateur. Je pense que l’on se trouve devant le même éternel débat entre les anciens et les nouveaux, avec tous les excès que cela entraîne d’un côté comme de l’autre (on accuse d’empoisonner d’un côté, on se passerait bien de produits naturels de l’autre).
Par contre, suis d’accord avec « Le Garçon » lorsqu’il dit qu’il n’est pas tolérable de se servir de cette cuisine moléculaire pour se passer de produits de qualité. A mes yeux, la cuisine moléculaire peut être utilisée lorsqu’elle apporte une plus-value.
Cher Thierry,
J’entends bien l’argument de la querelle des Anciens et des Nouveaux. Si ce n’est que les artifices de la cuisine moléculaire ne sont pas si neufs qu’on veut bien nous le faire croire… Aux Etats-Unis, McDonald a été obligé de retirer de la vente il y a déjà quelques années sa nouvelle gamme de hamburgers qui faisaient appel aux carraghénanes pour « reconstituer » la viande, face au tollé provoqué chez la clientèle quand l’affaire a été révélée. Et pourquoi irait-on payé très cher dans un grand restaurant ce que l’on refuse dans un fast-food?
Tandis que la technique de la sphérification, soi-disant inventée par Ferran Adrià, est en fait très ancienne. Plusieurs brevets ont en effet été déposés il y a 20 ou 30 ans. Mais personne, y compris l’industrie des aliments pour chiens et chats (c’était pensé d’abord pour ça et pour fabriquer des apâts pour les pêcheurs!) n’en a voulu…
Si certaines techniques nouvelles, comme le siphon (bien que lui aussi déjà très vieux) ou la cuisson basse température par exemple, peuvent nourir la cuisine de demain, je ne suis pas certains que les faux caviars, les airs, les espumas, les parfums (où il n’est plus question d’ingrédients mais bien d’arômes articifiels de l’industrie agro-alimentaire, Givaudant en particulier) soient autre chose que du vent…
L’avenir nous le dira sans doute.