Suite de notre série d’été consacrée aux métiers de bouche, à retrouver tous les samedis dans le « Momento », supplément magazine de « La Libre Belgique » et sur La cuisine à quatre mains. La quatrième escale se fait dans l’une des meilleures poissonnerie de Bruxelles, à dénicher… dans un supermarché. Mais les gourmets de la Capitale ont eu tôt fait de passer leurs a priori après avoir goûté aux délices du sympathique François Laloy.

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Photo Gaëtan Nerincx

Calendrier de la série

Quand on entre au GB Partner de la Bascule par la galerie commerçante, on est accueilli par une série de portraits, parmi lesquels celui de Monsieur François, posant fièrement avec de belles dorades roses et un homard dans les mais. Monsieur François, c’est un peu l’âme des lieux, celui qui fait tourner l’une des plus belles poissonneries de la Capitale. Vieux Ucclois, fonctionnaires européens, expatriés italiens, critiques gastronomiques, ambassadrice d’Israël accompagnée de ses gardes du corps… On se presse dans ce supermarché franchisé pour découvrir l’étal du poissonnier, toujours bien achalandé en produits d’une extrême fraîcheur et à des prix plus que corrects. Mais attention, il s’agit de venir tôt si l’on souhaite trouver son bonheur. Chaque soir, la marchandise est écoulée, tandis que, comme toute bonne poissonnerie, le rayon est fermé le lundi, les derniers arrivages se faisant le vendredi au plus tard…

Ce succès, on le doit à François Laloy. Présent depuis 1997, avant que ce Noprix soit racheté par GB, il a en effet réussi à maintenir le cap en offrant une sélection qui n’a rien à envier aux plus grandes poissonneries bruxelloises, qu’il s’agisse de “Noordzee” place Sainte-Catherine ou de Rob. Et pour cause, Monsieur François, comme tout le monde l’appelle ici, possède grosso modo les mêmes fournisseurs que ces institutions et que les grands restaurants bruxellois (criées d’Ostende et de Nieuport, Rungis…). De quoi garantir un arrivage journalier de produits de grande qualité.

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Photo Gaëtan Nerincx

Jonglant du français au néerlandais, de l’anglais à l’espagnol, mettant un point d’honneur à appeler ses habitués par leur nom de famille comme dans une épicerie de quartier, François Laloy perpétue une certaine tradition du commerce à l’ancienne, rendue possible par l’atmosphère familiale du supermarché de la Bascule. Pourtant, rien ne destinait a priori cet enfant de la mer du Nord à la poissonnerie…

Né à Ostende, François Laloy passe son enfance à la Côte et à Bruges. A la sortie de l’école hôtelière d’Ostende, il s’installe avec sa femme à Duinbergen et lance “De leeuwerik” (“L’alouette”), petit hôtel familial proposant cinq chambres et une table rapidement repérée par le Michelin ou le GaultMillau. En cuisines, Laloy travaille évidemment les produits de la mer. “Le poisson est un produit pur. Avec simplicité, on parvient à créer de belles petites choses”, glisse ce grand timide de sa petite voix fluette. Mais l’entreprise, “une belle réussite” mais trop prenante, tourne court. L’affaire est vendue. François travaille encore quelques années comme chef dans un château à Bruges, décrochant un joli 13/20 au GaultMillau, avant de lâcher les fourneaux, fatigué par le cercle vicieux de la cuisine, par le stress et le jeu des concours culinaires… C’est alors qu’il découvre la poissonnerie, dont il tombe amoureux, en travaillant pour King’s Fish, un grossiste installé boulevard Lemonnier à Bruxelles. Il gérera même la succursale anversoise avant de rendre une nouvelle fois son tablier.

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Son arrivée à la Bascule tient du heureux hasard. François Laloy répond à une petite annonce de Noprix, qui cherchait un poissonnier pour son magasin de la chaussée de Waterloo. Mais il se trompe de numéro… Au lieu de se rendre au Noprix de Fort Jaco (l’actuelle “Grande épicerie”), il débarque à la Bascule. Qu’à cela ne tienne, le gérant, M. Parmentier, cherche lui aussi un poissonnier. Entre les deux hommes au patronyme français mais au fort accent flamand, le courant passe tout de suite. “On parlait flamand, ça fait beaucoup”, avoue Mijnheer François… Convaincu par son CV et son expérience, le gérant lui donne carte blanche pour relancer le rayon poissonnerie. Il ne le regrettera pas; ni sa veuve, qui dirige toujours l’affaire. Aujourd’hui, la tête de François fait d’ailleurs office de produit d’appel, figurant en bonne place sur le site Internet du magasin… “Il a fallu que je crée ma propre identité. Ici, on ne vient pas dans une grande surface, on vient à la poissonnerie de la Bascule.”

Pour arriver à un tel résultat, le poissonnier ne transige pas sur la qualité. L’homme connaît son métier, qu’il a appris sur le tas durant ses quatre années passées comme acheteur à Rungis (il n’existe d’ailleurs pas en Belgique de formation spécifique en poissonnerie). “Ailleurs, on passe commande deux jours à l’avance. Ici, je fais mes commandes à 19h après la fermeture pour le lendemain. Avec mes fournisseurs, c’est une relation d’amour-haine. Je les aime quand ils me proposent du débit, je les hais si la qualité est insuffisante… J’aime pouvoir proposer des nouveautés aux clients comme la liche ou le filet de cabillaud fumé. Mais à chaque fois, on essaye toujours d’offrir la meilleure qualité disponible sur le marché. Et ici, ça tourne !” Pour le poissonnier, le débit est en effet capital – il écoule environ 1,5 tonne de poisson par semaine –, seule garantie d’une fraîcheur irréprochable.

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Photo Gaëtan Nerincx

Moules de bouchot, huîtres Gillardeau ou Perles blanches, oursins, couteaux, tellines, coques, palourdes, Saint-Jacques, gros clams, écrevisses vivantes, crevettes impériales des marais charentais vivantes, homard et crabe en vivier… On trouve de tout chez François, selon la saison et l’arrivage. Sans oublier le poisson : des belles truites d’élevage aux bars sauvages petits bateaux en passant par un magnifique saumon d’élevage français. Tandis qu’il continue à cuire sur place homard, tourteau, bulots et autres bigorneaux.

Depuis 17 ans dans la partie, François Laloy voit évoluer son métier. “La clientèle a beaucoup changé. Elle est devenue plus exi
geante
, s’enthousiasme-t-il. Elle sait ce qu’elle veut, elle est plus à la hauteur, mieux informée.” Par contre, il est obligé de constater l’évolution du marché et les conséquences de la surconsommation… Mais, malgré le scandale écologique, il ne peut se passer de vendre du thon rouge, “sinon les gens vont ailleurs…”. Un thon rouge devenu tellement cher qu’il en vend de moins en moins. Tandis qu’il assiste à la disparition progressive de certains poissons surpêchés, comme la daurade rose. “Avant, elle venait d’Afrique du Nord puis ça a été le Brésil. Aujourd’hui, c’est déjà le Golfe d’Oman…”

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A la Bascule, ce ne sont pas forcément les poissons les moins chers qui se vendent le mieux. Ainsi, M. Laloy n’écoule quotidiennement que 3 kg de merlan à 15 €/kg alors que le cœur de cabillaud à 29 €/kg part comme des petits pains (50 kg/jour), tout comme l’aiglefin, la sole ou le filet de saumon. Et là encore, les effets de modes sont notables. Ainsi, si le hareng n’a plus la cote, les maquereaux et autres poissons bleus (sardines, anchois, chinchards) fonctionnent très bien en ce moment. “Mais ils vont aussi devenir des poissons de luxe. Avant, la sardine était à 100 francs le kilo, on est déjà à 6,50€ aujourd’hui…”, note le poissonnier. Tout en constatant que le bio ne s’impose pas. “C’est réservé au poisson d’élevage alors que les gens veulent toujours acheter du poisson sauvage. Mais nous sommes certainement la dernière génération à pouvoir nous offrir ce luxe…”

Alors, pour se ressourcer, Monsieur François passe ses vacances… au bord de la mer. Et pas n’importe quelle mer puisqu’il est un habitué des Philippines. Là, sur une plage paradisiaque, le brave commerçant oublie le train-train urbain et la société occidentale en cuisinant au barbecue des poissons locaux juste pêchés…

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Photo Gaëtan Nerincx

Envie d’y goûter?

  • La poissonnerie compte beaucoup dans le succès du GB de la Bascule. On s’y presse devant un étal toujours bien rempli. Monsieur François et ses fidèles seconds Patricia et Manuel sont toujours de bons conseils…
    GB Bascule. 719 ch. de Waterloo 1180 Bruxelles.
    Rens. : www.gbbascule.be ou 02.343.55.75.

Petits conseils

  • T’as de beaux yeux tu sais… « Regarder le poisson dans les yeux. Le poisson ne peut pas mentir, le poissonnier oui… » François ne transige pas sur la qualité. Autres conseils, choisir des maisons où il y a du débit, gage de fraîcheur, et ne pas surcuire le poisson.

Idées de recettes

  • François Laloy n’aime pas les restos de poisson : “Je préfère le cuisiner moi-même.” “Un bon morceau de cabillaud par exemple, coupé juste derrière la tête, cuit au beurre avec juste du poivre, des tranches de citron épluchées et des pommes de terre. Ou un poisson rôti au four, des langoustines rôties…”