Escargot Slow Food.jpgDe passage à Bruxelles vendredi, Carlo Petrini, fondateur du mouvement international Slow Food, plaide pour un changement de nos modes de consommation. Entretien avec un gastronome averti, bien conscient que manger n’est pas un acte anodin, qui implique au contraire de prendre conscience du monde qui nous entoure.

Approche pluridisciplinaire de la gastronomie

Vendredi, Carlo Petrini était invité au Bozar à Bruxelles pour donner une conférence sur le Slow Food. Le journaliste italien y a défendu une “néo-gastronomie”. “Au siècle dernier, la gastronomie est devenue quelque chose de ludique. Mais il faut lui redonner une valeur culturelle à travers une approche pluridisciplinaire. La gastronomie, c’est aussi de l’agriculture, du savoir-faire, de l’économie, de la géopolitique”, s’enflamme celui qui lança le Slow Food en 1989, mouvement aujourd’hui international qui compte 85.000 membres actifs dans 132 pays.

A l’époque, en réaction au fast-food, le Slow Food cherchait à libérer l’homme du “carcan de la vitesse”, l’invitant, en un mouvement hédoniste, à “jouir sûrement, lentement, pleinement et sans excès des plaisirs des sens”. “Nous avons créé un lieu où parler d’une alimentation différente de la malbouffe, où parler de la défense de la diversité des cultures gastronomiques de chaque pays face au fast-food, symbole de l’homogénéisation du goût”, se souvient Carlo Petrini. Aujourd’hui, cette idée originelle a évolué aussi vite que la globalisation. “Le ‘New York Times’ a défini le Slow Food comme un organisme ‘écogastronomique’. C’est vrai que l’on s’inscrit naturellement dans la défense de la biodiversité. Le but, c’est d’éduquer, de donner une information juste sur les questions alimentaires, agricoles, génétiques… Notre association réunit en fait 1 300 réalités locales, à travers des associations qui proposent différentes activités.”

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Une dimension poltique

On le comprend, le Slow Food n’est pas qu’une réunion de gourmands hérissés par l’invasion du hamburger… Dès le début, la dimension politique était présente car il s’agit bien de prôner un changement de nos modes de consommation et donc un changement de société. “La dimension politique est présente dès que l’on parle de biodiversité, d’OGM, du respect de la souveraineté alimentaire, de la liberté des peuples à choisir leur type d’agriculture, du respect des communautés locales et du savoir-faire paysan traditionnel… Mais avant d’être politique, le concept est culturel car la culture est à la base du changement politique”, estime encore Carlo Petrini.

Et si, il y a 20 ans, le combat du Slow Food pouvait sans doute paraître l’œuvre d’une bande de joyeux baba cool allumés, il s’inscrit aujourd’hui dans une prise de conscience aussi généralisée et globale que les maux générés par la mondialisation à laquelle elle doit faire face. Le Slow Food agit en effet de concert avec des dizaines d’autres mouvements (commerce équitable, syndicats paysans, anti-OGM…), tandis que leur message est relayé par l’ensemble des médias ou par le cinéma, à travers des documentaires comme “Le cauchemar de Darwin”, “We Feed the World” ou “Our Daily Bread”… Depuis 2004, Slow Food a d’ailleurs cherché à renforcer son approche mondiale grâce au réseau Terra Madre, qui réunit tous les deux ans à Turin “7 à 8.000 paysans, pêcheurs, chefs, professeurs d’université venus de 150 pays dans le monde”.

Carlo Petrini.jpgSi la prise de conscience est au rendez-vous dans le grand public, Petrini reste cependant prudent. “Il faut être très courageux pour parler d’optimisme en ce moment. Ceci dit, cette crise mondiale est la conséquence d’un modèle de gouvernement occidental et amène beaucoup de gens à réfléchir. Il faudrait peut-être en revenir à certaines choses, à un certain savoir-faire, à une forme de sagesse paysanne que nous avons abandonnés. Il faut réfléchir à de nouvelles idées pour infléchir les politiques à construire des sociétés plus durables. Mais le monde politique comme le monde de l’économie et de la finance n’y sont pas encore assez sensibles, trop attachés à des valeurs du XXe siècle. C’est très difficile de faire naître une nouvelle politique…”

 

Repenser la modernité

En cela, le Slow Food se veut post-moderne. “Le concept de modernité doit être repensé différemment. Chaque jour, en Italie, on jette 4.000 tonnes de nourriture. Ce n’est pas moderne ça, c’est complètement fou ! Et c’est valable pour l’Europe, l’Amérique du Nord, l’ensemble du monde occidental. Quand la FAO dit que l’on est capable de produire de la nourriture pour 12 milliards d’êtres humains alors qu’on est 6 milliards et que tout le monde ne mange pas à sa faim, la situation est dramatique !”

Le Slow Food se présente même comme une “avant-garde”, basée sur la lenteur, un siècle après l’avant-garde futuriste italienne, qui misait, elle, sur la vitesse… “On a surévalué la valeur de la vitesse. On a besoin de retrouver le temps de vivre, de la convivialité. Ceci dit, la lenteur n’est pas une valeur absolue. Il faut la voir comme une sorte de remède homéopathique”, conclut Carlo Petrimi en médecin de nos maux du XXIe siècle. L’année dernière, “The Guardian” l’a en tout cas classé parmi les 50 personnalités capables de sauver la planète…

 

Quelques gestes Slow Food

L’esprit Slow Food, c’est avant tout du bon sens. Et selon Carlo Petrini, le changement ne viendra pas seulement des producteurs, mais aussi des consommateurs qui doivent devenir des “coproducteurs” en œuvrant activement au changement des habitudes de consommation.

  • Regarder son frigo Etre attentif à ce que l’on consomme en tâchant de ne rien gaspiller.
  • Consommer local Réduire au maximum les intermédiaires en achetant directement au producteur, afin de diminuer la facture, mais aussi les coûts en énergie.
  • Consommer solidaire Payer le prix juste des choses.
  • L’éducation Apprendre aux enfants à ne pas détruire la nourriture et à respecter leur environnement.

 

Et le Fooding dans tout ça ?

Il ne faut pas confondre Slow Food et Fooding. Apparu 10 ans plus tard, en 1999, le concept de Fooding (food + feeling) a été créé par le journaliste français Alexandre Cammas. Si le plaisir est ici aussi au cœur de la réflexion, la dimension politique en est absente. L’objectif est de défendre une approche décomplexée de la cuisine, “fun”, moderne, libérée du poids des traditions. Le Fooding, plus branché, inclut allégrement world cuisine, cuisine fusion, easy eating, street food, “bistronomie”… Outre l’organisation d’événements comme la Semaine du Fooding et le Grand Fooding d’été en France ou le Fooding Bruxelles, le mouvement édite également son “Guide du Fooding” (7,90 €) qui recense 800 restaurants qui s’inscrivent dans cette philosophie de la cuisine.

 

Envie de surfer?

Le Slow Food ne possède pas d’antenne en Belgique, même si 9 associations s’y réfèrent. Le site international propose, en français, quantité d’infos sur le mouvement et ses activités (Terra Madre, Salon du goût de Turin, Slow Fish…). Rens. : www.slowfood.com.

Envie de lecture?

Journaliste à “Marianne”, Isabelle Saporta publie un état des lieux sur notre alimentation sous-titré “Consommons autrement pour vivre mieux”. Tout à fait dans l’esprit Slow Food.
« Ne mâchons pas nos maux », publié chez Robert Laffont (196 pp., env. 21€).