De merveilleux parfums s’échappent de la théière… Sandrine Vasselin Kabonga fait infuser quelques grains de poivre sauvage noir du Kivu. « C’est bon pour la digestion!, lance-t-elle, le sourire aux lèvres. C’est aussi une bonne façon pour évaluer la qualité du poivre. Ce sont des chasseurs d’épices qui ont m’appris cette technique. Si les grains restent au fond, c’est qu’ils sont de bonne qualité! »

Sandrine Vasselin espère que la RDC misera enfin sur le poivre, comme le Cameroun l’a fait avec son poivre de Penja, et qu’elle obtiendra un label qui protège son « poivre sauvage du Kivu ». ©Misao

Du Kivu à Bruxelles

« Je suis née en 1974 dans un petit village de brousse du Sud-Kivu. Mon père, d’origine normande, était expert-comptable pour une société minière belge et c’est là qu’il a rencontré ma mère, une Congolaise. C’est quand Mobutu a foutu dehors tous les cadres européens qu’on s’est finalement retrouvés en Belgique », raconte Sandrine. Qui a poursuivi sa scolarité à Bruxelles, de la fin des primaires jusqu’à l’obtention d’un diplôme de traductrice-interprète. 

« Ma mère tenait un restaurant chaussée de Wavre, La Sanaga, du nom d’une rivière au Cameroun, car son associée était Camerounaise. Elle faisait de la cuisine africaine créative. Elle est décédée dans un accident quand j’avais 14 ans. » 

Depuis toute petite, comme son père, Sandrine Vasselin a la passion des voyages. Si bien qu’elle embrasse une carrière dans le secteur financier et énergétique qui la mène de Bruxelles à Londres, en passant par Kinshasa. « J’aimais ce secteur, et surtout les voyages. Ma valise était toujours prête! Mais c’était difficile de travailler dans ce milieu d’hommes. Et Kinshasa est une mégalopole stressante dans un pays en voie de développement. Le stress de Londres sans ses infrastructures! », se souvient-elle.

Retrouver ses racines

À 35 ans, Sandrine Vasselin passe par la case burn out et s’interroge sur son avenir. « Je voulais faire quelques chose qui ait du sens et lié à mon pays », insiste la jeune femme.

L’idée de Misao — « bonjour, comment ça va? » en kilega, une langue du Sud-Kivu — est née en 2016. En 2014, lors d’un dîner familial à Bruxelles, Sandrine fait la découverte qui allait changer sa vie. « J’étais chez une de mes tantes et j’ai tout de suite été attirée par le parfum qui se dégageait de la cuisine. Elle avait utilisé un poivre de chez nous. Un poivre noir très doux, très parfumé, avec un piquant à retardement. Je raffole de ce double effet Kiss Cool !». 

Sandrine Vasselin se renseigne alors sur ce poivre à queue et le fait goûter à des spécialistes des épices. « J’ai raflé tous les poivres à la Grande Epicerie de Paris. Et mon poivre n’y étais pas… J’ai aussi été voir Flavori, un importateur d’épices et d’aromates établi près de Bruxelles. Un petit rendez-vous qui a finalement duré des heures, où il m’a finalement dit que ce poivre était trop exceptionnel pour qu’il le commercialise. En fait, je me suis vite rendu compte que personne ne le vendait chez nous. »

« La cueillette, le tri, le lavage et le séchage du poivre se révèle être surtout un travail de femmes au Kivu et en Equateur car elles sont plus patientes », explique Sandrine Vasselin. ©Misao

Créer une filière du poivre

Son passé de business woman va l’aider à concrétiser son projet. Après une étude de marché, c’est surtout en RDC qu’il faut organiser les choses. D’abord pour la récolte, car ce piper guineense, sorte de cubèbe africain, pousse sur des lianes dans la forêt tropicale, où ont encore lieu des affrontements. « On travaille avec une ONG qui oeuvrait à la réinsertion des enfants soldats; ils ont des antennes partout dans la forêt. On négocie aussi avec les chefs coutumiers le prix du poivre. On paye 3 à 5 fois plus que sur le marché local. Et pour chaque adulte qui participe au projet poivre, un enfant de la famille est scolarisé pendant un an gratuitement. » 

Pour Sandrine Vasselin, la qualité est aussi une des préoccupations majeures.  « La cueillette du poivre étant une activité informelle en RDC, il fallait organiser et professionnaliser les acteurs qui interviennent tout au long de la filière. C’est l’asbl CERNADI qui est mon partenaire sur le terrain. On a passé une semaine à Goma (chef-lieu de la province du Nord-Kivu, NdlR) pour faire des cahiers de traçabilité. On leur a expliqué quand cueillir, laver, sécher… le poivre. Car je veux un produit de qualité et créer une filière d’épices en Afrique centrale. Même si ça doit prendre 5 à 10 ans. Quand le premier lot a été prêt pour l’exportation, on a dû aller voir le ministère de l’Environnement. Il n’y a avait pas de nomenclature pour les épices, seulement pour le café ou le cacao… »

Les Congolais sont fiers d’elle!

En RDC, on utilise le poivre surtout pour ses vertus thérapeutiques et peu en cuisine. Et on lui a souvent ri au nez quand Sandrine Vasselin disait être là, non pas pour l’or, mais pour « le poivre des mamans ». Mais la jeune femme persévère et lit des manuels d’agronomie pour apprendre sur le terrain les techniques de séchage. Elle collabore aussi avec la faculté de polytechnique de l’ULB, qui lui met au point un séchoir solaire lui permettant une séchage en 48h au lieu des 6 à 8 jours habituels.

Le poivre sauvage du Kivu se décline désormais en trois couleurs: noir, blanc et roux. Spécificité de Misao, ce dernier se présente sous forme de grains oranges à rouges, très mûrs et très parfumés, qu’elle fait sécher sous des auvents et pas en plein soleil, pour développer d’autres parfums et saveurs…

Bientôt, on la contacte de toute l’Afrique pour lui proposer de nouvelles collaborations. PHC par exemple, une entreprise privée agricole spécialisée dans les plantations d’huile de palme. 

Dans le cadre des projets sociaux qu’ils développent avec les communautés paysannes, ils souhaitent que la jeune femme les aide à exploiter d’anciennes plantations de cacao désaffectées pour y produire du poivre — le poivre d’Equateur, au goût plus résineux — mais aussi, pour occuper les mamans en dehors de la saison du poivre, qui dure de mai à août, et récolter ail sauvage, hibiscus, clous de girofle… « PHC a des concessions dans tout le pays, on voudrait donc étendre le projet épices et cacao sur tous les sites », se plait à rêver la chasseuse d’épices.

Maniguettes & Cie

Toujours à l’affût de nouvelles trouvailles, Sandrine Vasselin sait ouvrir l’oeil. « Un jour, on a été chez des mamans qui vendaient des fruits Porte de Namur, les fruits étaient très mûrs, et dedans on a découvert une graine… » Cette graine, c’était celle d’une maniguette ou aframomum melegueta, une plante vivace qui appartient au même genre botanique que le gingembre ou la cardamome.

« C’est une plante endémique à l’Afrique, où elle pousse toute l’année dans les sous-bois. Généralement, on consomme le fruit, pas les graines… Il existe plus de 700 types d’aframomum; on en connaît peut-être 70 et on en commercialise moins de 10! En fait, on a perdu l’usage de la maniguette, qui était pourtant utilisée depuis le XVIIIe siècle. Elle a été découverte par les Français quand les Anglais ont bloqué la route des épices… » 

Sandrine a découvert trois maniguettes: une piquante comme le gingembre, une douce qu’elle appelle « kororima du Congo », qui a un léger goût de cardamome verte, et enfin une autre un peu étrange, qui donne l’impression de croquer dans de « l’aspartame naturelle ».

Aujourd’hui, quand elle visite un village de RDC, Sandrine Vasselin fait goûter ses maniguettes aux villageois et leur demande s’ils connaissent quelque chose de ce genre-là… « Chaque terre, chaque sol, donnent une nuance de goût différente. Pour l’instant, on a favorisé le terroir des grands lacs, mais on aimerait bien étendre la collection de maniguettes à tous les terroirs d’Afrique », s’enflamme-t-elle.

Des graines de kororima. ©Misao

Les chefs aussi sont séduits

Avec son nouveau « poivre noir sauvage du Kivu », Sandrine Vasselin est partie dès le début à la conquête des cuisines, pour voir s’il plaisait aux chefs autant qu’à elle. Bingo!

Gary Kirchens, qui officiait alors à La Villa Lorraine*, ou Stefan Jacobs (Hors Champs), autre amoureux des épices, ont été séduits. Rudy Smolarek, le dénicheur d’épices montois, lui promet même de lui ouvrir son carnet d’adresses. Et puis, en 2018, durant Culinaria, elle rencontre Kasper Kurdahl, à l’époque chef exécutif du Chalet de la Forêt**. « Il a mis du poivre noir sauvage du Kivu sur toutes les tables et c’est lui qui m’a mis un coup de pied au cul pour trouver d’autres épices », se rappelle la jeune femme. Pas peu fière de préciser qu’à Cancale, un certain Olivier Roellinger, référence en termes d’épices, est aussi un fan de son poivre et de ses maniguettes.

Pour faire découvrir ses épices, Sandrine Vasselin a aussi la bonne idée de collaborer avec des producteurs et des artisans bruxellois. Bières de quartiers réalise ainsi une bière à la cerise et au poivre sauvage roux du Kivu pour la commune d’Uccle. La pâtisserie Maison Zac, dans les Marolles, utilise régulièrement le poivre noir et les maniguettes dans ses réalisations… 

Et la Franco-Congolaise ne compte pas s’arrêter là!

https://www.misao.be

Une épicerie aux saveurs d’Afrique

Lorsqu’elle n’est pas aux commandes de Misao, Sandrine Vasselin co-gère Origines et Saveurs, une épicerie fine qui fait la part belle aux produits venus d’Afrique, dans une galerie-brocante de la rue Blaes. Un projet né en 2019 et qu’elle fait vivre avec Soulfood Mama, aka Lina LaPacifica, qui, elle, a lancé une gamme de sauces pimentées qui s’inspirent d’Afrique, mais aussi de Jamaïque ou du Japon. 

Dans cette épicerie colorée, on retrouve bien sûr les épices Misao (poivres, maniguettes, cannelle, citronnelle…). Parmi les autres merveilles issues des différents terroirs africains, on déniche également les chocolats aux saveurs originales (chips de banane, cajou…) du Chocolatier ivoirien ou les infusions (moringa, feuilles de papaye…) d’Asante Mama, basée en Ouganda. Mais aussi du fonio bio, de la poudre de fruit de baobab bio, des mangues séchées du Burkina Faso… 

Enfin, quand ces deux nanas pleines de peps ne dénichent pas les produits qu’elles souhaitent auprès des artisans africains, elles les réalisent elles-même sous la marque Origines et Saveurs. Comme ce gnamakoudgi, un jus de gingembre typique, qui réveille les papilles!

70 rue Blaes à 1000 Bruxelles. Ouvert du jeudi au dimanche de 11h à 18h.