Suite de notre série d’été consacrée aux métiers de bouche, à retrouver tous les samedis dans le « Momento », supplément magazine de « La Libre Belgique » et sur La cuisine à quatre mains. La deuxième escale s’arrête à Mons chez Rudy Smolarek. Depuis une petite vingtaine d’années, ce passionné est un dénicheur de goûts nouveaux au service des plus grands chefs de Belgique.

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Photo Gaëtan Nerincx

Calendrier de la série

Demandez à tous les grands chefs belges le secret de leurs créations : les produits. Si tous possèdent leurs fournisseurs respectifs, beaucoup partagent le même “épicier” : Rudy Smolarek. La petite quarantaine, le bonhomme a en effet réussi à s’imposer dans le domaine, travaillant uniquement pour les chefs et comme grossiste pour certaines boutiques (cf. ci-dessous). Ce qui explique le relatif anonymat de ce grand timide qui ne cherche pas vraiment à attirer la lumière sur lui…

Il faut d’ailleurs chercher un peu pour trouver les locaux d’“Ingrédients du monde”, perdus au bout d’une impasse donnant sur l’avenue Reine Astrid à Mons… Autour d’une cour, s’organisent la maison de Rudy Smolarek et son petit atelier. Dès que l’on passe la porte de celui-ci, on tombe sur son showroom, présentant les centaines de références disponibles. Ce qui impressionne, ce sont d’abord ces étagères, remplies de dizaine de jarres en plastiques bien alignées, parfaitement organisées.

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Si l’on y trouve toutes les poudres magiques de la cuisine moléculaire et des arômes alimentaires bien d’aujourd’hui, ce sont d’abord les épices (350-400) que les chefs viennent chercher ici. Du poivre rouge de Pondichéry au poivre noir de Sarawak (Malaisie) en passant par le poivre long d’Egypte ou le poivre de Selim (Togo), on compte pas moins d’une quarantaine de variétés. Pour autant de sels : en cristaux, en flocons, de mer, de montagne, de rivière, d’Himalaya, d’Hawaï ou de Guérande. Arrivent alors les centaines d’épices et leurs mélanges, une soixantaine: garam masala, currys, carrys, vadouvan, ras el hanout… Mais aussi citron d’Iran moulu, coriandre, curcuma… Et bien sûr le safran, toujours l’épice la plus chère du monde : env. 4.500 €/kg ! Ici, il vient des Abbruzzes, en Italie.

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Photo Gaëtan Nerincx

Mais Smolarek ne propose pas que des épices. Sur l’étagère du fond de la pièce, s’étalent les autres richesses proposées à l’imagination des visiteurs : une très belle gamme de thés, des sirops, des vinaigres, les chocolats Valrhona… Sans oublier les innombrables huiles, comme ce fruité noir corse du couvent de Cervione (Moulin de Prunete), cette huile d’olive Frantoi Cutrera Monti Iblei DOP (Sicile), considérée comme l’une des meilleures du monde, ou encore les formidables produits de l’Huilerie beaujolaise, dont l’épicier a l’exclusivité pour la Belgique.

Trois fois par an, Rudy Smolarek réunit dans son showroom ses clients, parmi lesquels on compte 90 % de chefs, dont 70 % d’étoilés ! Autant dire que c’est la crème de la gastronomie qui vient en pèlerinage à Mons. Les trois étoiles belges Peter Goossens (“Hof van Cleve” à Kruishoutem) et Geert Van Hecke (“De Karmeliet” à Bruges) ou le Hollandais Sergio Herman (“Oud Sluis” à Sluis) sont ainsi des habitués. Tout comme les doublement étoilés Sang-Hoon Degeimbre et Yves Mattagne (“Sea Grill” à Bruxelles) ou encore la nouvelle star du chocolat belge Benoît Nihant (dont nous ferons le portrait le 14 août prochain). Aujourd’hui, il ne manque plus grand monde au tableau de chasse de Smolarek.

Pourtant, rien ne destinait cet enfant du Centre à embrasser cette étrange profession d’épicier. Sa formation, il la débute en peinture à la Cambre avant de tout lâcher pour devenir G.O. au Club Med en Israël. De retour en Belgique, il devient vendeur chez Garnier, un important grossiste en produits alimentaires. Commençant à travailler dans le monde de la gastronomie, il se rend compte qu’il n’existe personne en Belgique spécialisé dans les épices haut de gamme. Comme modèle, il se choisira donc la fameuse épicerie “Izraël”, rue François Miron dans le IVe arrondissement à Paris. Minuscule, la boutique ressemble à une véritable caverne d’Ali Baba. Toujours familiale, la structure fournit les plus grandes tables parisiennes. C’est là que Rudy Smolarek apprend son métier, passant en 1991 un accord privilégié avec “Izraël” pour distribuer ses épices en Belgique. Au fil des ans, le curieux ne fera qu’élargir sa gamme et gagnera son indépendance. Au point d’être à présent copié par des concurrents peu scrupuleux…

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Aujourd’hui, l’épicier parcourt les grandes foires et salons internationaux à la recherche de nouvelles saveurs. Organisé en octobre à Villepinte (Paris), le SIAL (Salon des professionnels de l’alimentaire) est le plus important d’Europe. Il y a par exemple découvert un petit producteur de vanille à Tahiti et à Madagascar. Mais il ne manque pas non plus le Salon du goût de Turin, fer de lance du mouvement Slow Food.

Ce qui passionne Smolarek, c’est de mettre la main sur des produits exceptionnels, par leur qualité ou leur rareté. Ainsi, peut-il proposer un dérivé du garum antique, condiment à base de poisson fermenté (proche du nuoc-mâm). Dans le petit village de Cetera près de Salerne, sur la côte amalfitaine, on produit ainsi la colatura di alici, un coulis d’anchois proche de la mixture indissociable de la cuisine romaine de l’Antiquité. Tandis qu’il est fier de distribuer les rarissimes noix noires du Périgord (qui, dans leur liqueur, ressemblent presque à des truffes) ou encore ces riz artisanaux de la principauté de Lucedio en Lombardie…

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Photo Gaëtan Nerincx

Grossiste des stars, Smolarek aime l’échange avec les grandes toques, certaines le sollicitant pour dénicher telle ou telle épice. Ainsi, avec son ami journaliste Jean-Pierre Gabriel, organise-t-il chaque année la rencontre des “100 chefs”, un rendez-vous professionnel de découvertes et de partages. Et parmi ses clients, le bonhomme a ses petits chouchous, auxquels il réserve ses dernières découvertes. Car en épices comme en tout, il existe des modes. Ainsi, depuis quelques années, c’est le yuzu (agrume japonais) qui s’arrache. Smolarek a été le premier à le proposer en Belgique; aujourd’hui, on le trouve partout. Lui est déjà au talauma, popularisé en France par le chef de Cancale Olivier Roellinger. Originaire du nord du Vietnam, cette graine a un léger goût anisé. Observateur des tendances, Smolarek note en effet que, depuis quelques années, c’est l’Asie qui a la cote, tout comme les saveurs acidulées. Autre trouvaille récente, originaire toujours du Vietnam, le pollen des montagnes fascine les chefs. Smolarek l’a notamment conseillé à son voisin Ugo Meli. Chez “Ugo”, à Haine Saint-Pierre, le jeune chef l’utilise en cuisson sous-vide pour farcir des suprêmes de poularde du Gers.

Quand on passe dans l’arrière-boutique, on prend conscience de la richesse de l’offre. On pénètre en effet au cœur de l’antre de Smolarek. Là, sur des étagères, s’amoncellent ses stocks. Pourtant, il continue à pouvoir tout gérer avec sa femme, et à jouer le “facteur d’épices”, assurant lui-même les livraisons chez les chefs. Il n’a d’ailleurs aucune envie de s’agrandir ou d’ouvrir une boutique. “On ne veut pas faire du volume. On se fait juste plaisir”, dit celui qui aime se présenter comme un “ethnologue des épices”. Un boulot de l’ombre qui se révèle payant. Sans se presser et sans se mettre la pression, Smolarek a sextuplé son chiffre d’affaires depuis 1991.

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Aujourd’hui, au milieu de ses noisettes du Piémont, de ses dattes medjoul, de ses cuberdons de chez Geldhof à Eeklo, de sa moutarde de Gand… Smolarek est un homme heureux, cultivant la passion de son métier et la discrétion. “Je préfère mettre en avant les chefs”, conclut-il. Et ceux-ci le lui rendent bien, sachant pertinemment que sans lui, leur cuisine ne serait pas tout à fait la même…

 

Base de données sur les épices

Une vingtaine d’adresses en Belgique

  • Sur le site, on trouve des boutiques qui proposent les produits de Smolarek : “Domestic” (Anvers), traiteur Molle (Leval), “I-cook” (Mons), “L’épicerie” (Gerpinnes), “Place Délices” (Liège), “L’huile sur le feu” (Namur)… Un peu partout en Belgique donc sauf à Bruxelles.
    Rens.: www.ingredientsdumonde.be.

Une épicerie incontournable

  • « Izraël » est le modèle de Rudy Smolarek. Une épicerie géniale, ouverte aux particuliers mais qui fournit aussi tous les grands chefs parisiens.
    Izraël. 30 rue François Miron 75004 Paris. M° Hôtel de ville ou Saint-Paul.
    Ouvert du mardi au vendredi de 9h30 à 13h et de 14h30 à 19h. Ouvert le samedi de 9h à 19h.
    Rens. : 00.33.1.42.72.66.23.