Il y a quelques mois, Fabienne Effertz publiait un superbe livre consacré au Herve intitulé « Le Herve, bien plus qu’un fromage », dans lequel elle fait revivre l’histoire d’un des rares fromages traditionnels de Wallonie. Un monde aujourd’hui disparu.
Originaire de Chèvremont, Fabienne Effertz est assistante sociale de formation. Avec son mari, passionné d’agriculture, ils décident un beau jour de partir en Suisse, dans les alpages, pour garder des vaches et fabriquer du fromage. C’est là que Fabienne tombe amoureuse du gruyère… Revenus en Belgique après cinq ans, ils décident d’ouvrir une fromagerie à Liège. Fabienne travaille d’ailleurs toujours comme fromagère à mi-temps et donne des cours de crémier-fromager à l’Institut wallon de formation en alternance.
« Le Herve exprime des parfums qui nous sont inhabituels et intrusifs, ceux d’herbe mouillée, de champignons, d’odeurs souterraines: des parfums insolites, pour d’aucuns perturbants. »
Carlo Petrini
Très impliquée dans le convivium Slow Food liégeois, dont elle a été la présidente pendant plusieurs années, Fabienne Effertz a œuvré à l’introduction du fromage de Herve et du sirop de Liège dans l’Arche du goût. C’est d’ailleurs l’Italien Carlo Petrini, créateur du Slow Food, qui signe la préface de “Herve, bien plus qu’un fomage”, livre avec lequel Mme Effertz a voulu sensibiliser le public à la disparition des fromages au lait cru et redynamiser la filière du Herve.
“Mais reproduire du Herve à la ferme, c’est exclu. Pour cela, il faudrait négocier avec l’Afsca”, explique-t-elle. Car si le Herve au lait cru fermier est en train de disparaître, c’est en effet entre autre à cause de la multiplication des normes imposées aux producteurs. “J’ai voulu faire un livre qui rassemble un patrimoine, qui garde la mémoire d’un pays, pas un livre qui attisait les animosités”, précise cependant Fabienne Effertz, qui refuse la polémique. “Si M. Cabay (Herve Société, qui détient aujourd’hui 95 % de la production de Herve et ne travaille qu’avec du lait pasteurisé, NdlR) n’avait pas été là pour racheter la laiterie coopérative de Herve en 1998, il n’y aurait peut-être plus de Herve aujourd’hui…”
« Le lait cru conserve sa flore microbienne native, ses bactéries lactiques naturelles acquises par l’ambiance de sa terre d’origine. Cette flore qui joue un rôle déterminant dans la fabrication et dans l’affinage du fromage et qui contribue grandement a sa saveur riche et typique, a ses arômes amples et complexes, a toutes ses qualités organoleptiques. Son profil sensoriel est en lien direct avec sa terre, c’est a dire des essences et parfums de la flore dont s’alimente la vache et dont le lait est le témoin. Le lait cru c’est le terroir du Herve. »
Fabienne Effertz
Elle estime pourtant que “le Herve au lait cru, c’est une surprise, une explosion de saveurs en bouche”. “Il n’y a pas cela dans le Herve au lait pasteurisé, même s’il n’est pas mauvais. Mais les gens ont aujourd’hui comme référence le lait pasteurisé. Ils perdent la référence du vrai goût des choses.” Mais Mme Effertz n’est pas pessimiste pour autant quant à l’avenir du Herve. “Madeleine Hanssen (productrice du Herve du Vieux Moulin, cf. ci-dessous, NdlR) a le projet de créer un atelier, où d’autres producteurs pourraient venir produire du fromage…”
Il a fallu deux ans à Fabienne Effertz pour écrire son livre. “La doyenne que j’ai interrogée vient de décéder, elle avait 93 ans. C’était ma voisine… Cela me tenait aussi à cœur que les femmes prennent conscience de la valeur de leur travail.”
« Chaque productrice possédait sa propre technique, celle que lui avait léguée sa maman. Cependant toutes respectaient des règles de bon sens. La propreté des étables et du local de fabrication était fondamentale »
Marcelline Charlier-Radermecker (doyenne des productrices de Herve fermier aujourd’hui décédée)
Son magnifique ouvrage nous emmène en effet à la découverte d’une des deux seules AOP belges (depuis 1996), à travers les touchants témoignages de ces fermières qui ont passé leur vie à fabriquer du Herve jusqu’au moment déchirant où elles ont dû s’arrêter. Certaines tout simplement parce que le temps de la retraite était venu, d’autres parce qu’il devenait impossible de continuer à produire au vu des normes de l’Afsca. Avec elles, tout un savoir-faire est en train de disparaître… Il s’agissait pourtant d’un travail exigeant, pénible. Les femmes passaient ainsi de 7 à 22 h par jour à la production et à l’affinage. Mais l’agrandissement des troupeaux nécessaire à la survie de la ferme ne laissait bien souvent plus de temps pour le fromage. En 1945, 500 fermes produisaient encore du Herve ! Aujourd’hui, ils ne sont plus que deux producteurs au lait cru et les 450 tonnes de Herve AOP produites chaque année sont majoritairement au lait pasteurisé.
« Autrefois, on faisait du fromage dans chaque ferme, comme on faisait du sirop. Les investissements étaient raisonnables; les planches, sur lesquelles les fromages étaient déposés, étaient du bois de récupération. L’essentiel était qu’elles soient propres et lavées avec soin. Les normes sanitaires ont évolué. Les normes bactériologiques notamment. Auparavant, une valeur de 200000 coliformes dans le lait étaient autorisés, maintenant il nous faut être en dessous de cent mille. Il y a une soixantaine d’années, poursuit-elle, 25 a 30 vaches suffisaient pour faire vivre une famille, puis il a fallu 45 vaches puis 60. Aujourd’hui il faut 100 bêtes allaitantes pour qu’un couple puisse vivre de son travail. Avec un tel troupeau, il n’y a plus de temps pour faire du fromage.»
Madeleine Hanssen (productrice du Herve au lait cru, Herve du Vieux Moulin)
Le fromage de Herve a pourtant fait la réputation du Pays de Herve. Au XVIIIe siècle, dans la seule ville de Herve, on produisait 2 000 tonnes de fromage par an, qui était vendu jusque dans les Vosges, à Francfort ou à Leipzig. Le métier d’affineur de Herve a lui aussi disparu. A la fin des années 50, on en comptait encore plus de 60, aujourd’hui, les derniers producteurs affinent eux-mêmes. Un métier qui était nécessaire pour donner au fromage sa texture, ses arômes, son goût.
Avec ce livre magnifique, Fabienne Effertz a en tout cas réussi son pari, donner envie de redécouvrir le Herve au lait cru !
Envie de lecture?
Fabienne Effertz a mis deux ans pour rédiger Le Herve, bien plus qu’un fromage, superbe hommage au fromage de Herve magnifiquement mis en images par le journaliste et photographe Jean-Pierre Gabriel. Une invitation à la découverte du Herve au lait cru. Dans ce livre, on découvre ainsi l’histoire de ce fromage et de son implantation dans cette région opulente qu’est le Pays de Herve, mais aussi les différentes étapes de sa fabrication. Avant de passer aux témoignages des fermières productrices et des affineurs. Un dernier chapitre est aussi consacré à l’accompagnement essentiel du fromage de Herve et autre produit phare de la région, le sirop artisanal de pommes et de poires.
- Publié chez Gabriel Jean-Pierre éditeur (192 pp., 30 €).
Un beau témoignage et un brin d’optimisme…malgré tout!
Merci beaucoup pour ce post. Continuez.
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