Fin octobre, se tenait à Turin le Salon du Goût Slow Food, réunion bisannuelle de petits producteurs italiens et du monde entier. Fondé en 1986 par l’Italien Carlo Petrini, devenu international en 1989, le Slow Food s’est rapidement intéressé à la sauvegarde des spécialités régionales, menacées de disparition par l’uniformisation imposée par l’industrie agroalimentaire.
© Alberto Peroli
Lancée dans les années 90, l’Arche du goût recense ainsi déjà un millier de produits à travers le monde. En clôture du 6e Congrès Slow Food, qui se tenait parallèlement au Salon du Goût, Petrini s’est donné comme objectif de décupler ce chiffre, pour arriver à 10 000 produits à sauvegarder, sous l’égide de la Fondation Slow Food pour la biodiversité, fondée en 2003.
A 32 ans, Francesca Baldereschi est responsable du projet en Italie. “Le Slow Food est né comme une association oenogastronomique portant sur la nourriture un regard économique et politique, explique-t-elle. On a commencé par éditer des guides recensant les produits régionaux. Et puis, en parlant avec les producteurs que nous rencontrions, on s’est rendu compte que cela ne suffisait pas, qu’il fallait aller plus loin.” Aller plus loin, cela signifiait ne pas se contenter de recenser des produits mais de les sauvegarder en s’engageant auprès des producteurs.
C’est ainsi qu’est née l’idée des Presidi (“Sentinelles du goût” en français) pour protéger ces produits mis en valeur par le Slow Food qui commençaient à se faire une réputation et à être copiés dans les villages avoisinants. Le tout premier Presidio, le cappone di Morozzo (un chapon), a été mis en place par Carlo Petrini himself. Rien d’étonnant car celui-ci est très attaché à son Piémont natal, où est basé le mouvement, dans la petite ville de Bra près d’Alba.
Le Presidio est une appellation qui protège une spécialité locale en défendant la qualité, la biodiversité et les savoirs traditionnels, dans une vision durable de la production. Ce peut être un simple légume, un fruit, une céréale, une race… Ou encore une préparation simple : biscuit, pain, charcuterie, conserve, confiture, fromage… On est parfois à la limite de la recette avec, par exemple, dans le Veneto, l’oca in onto, un confit d’oie. Ou encore avec l’un des 25 nouveaux Presidi italiens, l’exceptionnel cicotto di Grutti en Ombrie, des abats de cochon cuits sous la porchetta. Désormais, “Presidio Slow Food” est également une marque, que seuls les producteurs reconnus peuvent utiliser sur leurs emballages, en échange d’une cotisation annuelle minime.
Pour garantir la qualité, le Slow Food compte sur sa relation privilégiée avec ses producteurs, sur les retours des membres Slow Food locaux, des clients qui achètent ces produits, des chefs qui travaillent avec ceux-ci… Tandis qu’une visite est organisée annuellement chez les quelque 1900 producteurs.
Aujourd’hui, il existe environ 400 Presidi dans 56 pays, dont 224 rien qu’en Italie (répartis dans toutes les régions, sauf le Val d’Aoste) et… aucun en Belgique. Même si l’on parle depuis des années de projets autour du sirop de Liège artisanal ou de l’ettekeis (fromage de Bruxelles). Né en Italie, le Slow Food y est arrivé à un niveau de maturité impressionnant. Avec ce projet, il ne se contente pas de sauvegarder un produit en lui conférant un label de qualité, il lui permet d’être vendu à l’échelle du pays. Notamment via la chaîne gourmande “Eataly”, implantée en Italie mais aussi à Osaka et à New York. Tandis que les osterie qui travaillent avec les Presidi sont répertoriées dans un guide dédié (cf. ci-dessous).
S’ils n’ont aucune reconnaissance officielle, les Presidi permettent néanmoins au Slow Food de faire un travail différent de celui des appellations existantes (AOP, IGP…). “Nous, nous travaillons avec les tout petits producteurs, explique Francesca Baldereschi. Pour obtenir une DOP, il faut avoir une vraie structure, passer par le ministère, se mettre d’accord avec les producteurs de toute une région… Par exemple, le culatello di Zibello est une DOP mais quelques producteurs ont décidé de suivre la tradition familiale et ont créé un Presidio, avec un cahier des charges beaucoup plus strict…” C’est le cas aussi pour le bitto storico, un excellent fromage d’alpage lombard.
A son bureau de Bra, Francesca Baldereschi reçoit toutes les demandes de reconnaissance de spécialités. Sur 100 projets présentés, 20 seulement déboucheront sur une Sentinelle. Soit que le produit n’entrait pas dans le cahier des charges (cf. ci-dessous). Soit qu’on n’ait pas trouvé de producteur qui lui permette d’exister.
Pour qu’un Presidio voie le jour, il faut compter une mise de départ d’environ 10 000€, à charge des producteurs, de sponsors, de la région… Une somme qui comprend le traitement du dossier, les diverses études mais aussi les outils de promotion. “On a beaucoup de techniciens (universitaires, professionnels… qui travaillent gratuitement pour nous, en effectuant des visites sur place, en menant des études, explique Mlle Baldareschi. Tandis qu’on travaille aussi avec les membres Slow Food locaux, parmi lesquels on trouve des vétérinaires, des juristes, des économistes qui nous permettent de mener à bien ces projets.”
L’idée n’est pas seulement d’identifier un produit, il s’agit aussi d’aider au développement économique d’une région. “On peut par exemple partir de la protection d’une race animale pour influer sur les divers produits qui en découlent. Ou faire le contraire. Comme pour le culatello di Zibello en Emilie-Romagne, où l’on a protégé cette charcuterie en transformant toute la filière de l’élevage porcin”, s’enthousiasme la jeune femme.
Les Sentinelles du goût sont aujourd’hui une vraie réussite en Italie. Espérons qu’elles connaissent le même succès à l’international. Elles sont en tout cas désormais officiellement soutenues par l’Union européenne par la voix de son commissaire à l’Agriculture Dacian Ciolos. En marge du Congrès Slow Food, celui-ci a en effet présenté les Presidi comme un modèle pour valoriser la biodiversité au niveau européen…
Les critères de sélection des Presidi
- le goût
- l’histoire et le lien avec le territoire
- la petite échelle (réalisation en quantité limitée)
- le risque de disparition (réel ou potentiel)
- la durabilité (respect de l’environnement)
- l’équité (respect du producteur)
- La liste des 25 nouveaux Presidi Slow Food italiens.
- La liste des 14 nouvelles Sentinelles du goût internationales, dont la majorité se trouve ne Afrique…
- A lé découverte de deux Présidi internationaux: le couscous salé du Sénégal et la poutargue de Mauritanie.
- Entretien avec Carlo Petrini, pape de la néogastronomie…
- Enquête sur le Slow Food en Belgique, où le mouvement peine à s’implanter.
- Carnet d’adresses Slow en Belgique…
- La Semaine du goût, une action concrète du convivium Slow Food bruxellois.
- Notre reportage au Salon du goût en 2010 à la découverte des meilleurs produits italiens.
De 1 à 70…
A Vallebona, en Ligurie, Pietro Guglielmi produit une eau de fleurs d’oranges amères selon une vieille tradition locale. Il est l’unique producteur de ce Presidio Slow Food… A l’inverse, la razza bovina piemontese (boeuf piémontais) est produite par 70 éleveurs.
Envie de lectures?
- Le Guida ai Presidi Slow Food reprend l’ensemble des Presidi italiens. Une mine d’infos pour préparer ses prochaines vacances dans la Péninsule…
Publié par Slow Food Editore (350 pp., 15€). Rens.: http://www.editore.slowfood.it. - Indispensable également quand on voyage en Italie, le guide Osterie d’Italia 2013 recense les restaurants associés au mouvement Slow Food, qui travaillent notamment les Presidi.
Publié par Slow Food Editore (928 pp., 22€). - Rens.: http://www.editore.slowfood.it.
D’autres Presidi et des recettes
- Etranges pâtes très anciennes, les testaroli ont été remis en lumière grâce au Slow Food en Lunigiana, région méconnue de Toscane.
- Agrume méconnu chez nous dont on fait une boisson homonyme, le chinotto possède son Presidio en Ligurie, le chinotto di Savona.
- Une recette de pasta e fagioli à base de deux Presidi: la susianella di Viterbo (saucisson sec au foie) et le fagiolo di Sarconi. Cette recette utilise également des gesses, dont on trouve un Presidio dans les Marches: la cicerchia di Serra de’Conti.
- Une recette de soupe de concombre perse utilisant des raisins abjosh de la région d’Hérat en Afghanistan.
- Un couscous de chou-fleur préparé avec une sauce parfumée à l’excellent cumin d’Alnif, au Maroc.
- Des pâtes très faciles de la Costière amalfitaine, préparées avec l’excellente colatura di alici de Cetara.
- Des conchiglioni farcis aux escargots servis sur une crème de fagiolina du lac Trasimène.