Rares sont encore les torréfacteurs artisanaux. A Bruxelles, Jean Wulleman vient de passer le flambeau de la maison “Corica” à un jeune torréfacteur et à sa mère.

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Jean Wulleman vient de passer le relais de son “Corica”
à Marie-Hélène Callewaert et son fils Harold Anciaux.
Photo Alexis Haulot.

Samedi 26 février dernier, à peine le rideau de fer levé, la foule se précipite chez “Corica”, torréfacteur bien connu du centre de Bruxelles. Il faut dire que, bien que minuscule, l’endroit n’en est pas moins accueillant. Attiré par l’odeur du café en train d’être torréfié, le passant découvre deux comptoirs. A gauche, il peut déguster au bar l’ensemble de l’assortiment : 25 cafés d’origine, qui vont des plus abordables (env. 3,5€/250 g) aux plus chers (45 €/250 g pour l’excellent Jamaica Blue Mountain). S’il a aimé la dégustation, il peut ensuite acheter le café au comptoir en face… Jean Wulleman, qui a créé les lieux en 1991, n’est pas peu fier de ce dispositif, pourtant tout simple. “On est les seuls à Bruxelles et même en Europe à permettre de goûter tout notre assortiment !”

Monsieur Jean, c’est une institution dans le quartier. Et si la foule est si nombreuse ce samedi matin chez “Corica”, c’est aussi pour lui dire au revoir. Le bonhomme a, en effet, choisi de s’expatrier au Canada. Dans la banlieue de Montréal, il va se lancer dans une ambitieuse aventure (4 millions de dollars canadiens d’investissement). En compagnie de son fils Julien, pâtissier-chocolatier, ils vont ouvrir “Le comptoir de Bruxelles”, vaste atelier-salon de thé destiné à faire découvrir le savoir-faire belge aux Québécois. En ce dernier jour chez “Corica”, c’est donc un défilé d’habitués qui viennent simplement lui serrer la main et le remercier d’avoir réussi à perpétuer la tradition d’un café torréfié artisanalement. Mais, heureusement pour les Bruxellois, Jean Wulleman a passé le flambeau de “Corica” à des amis de la famille, Marie-Hélène Callewaert et son fils Harold Anciaux, 22 ans.

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Wulleman, une famille dans le café

“Corica”, c’est déjà une longue histoire qui s’étale sur trois générations. C’est en 1850 que s’ouvre, rue Haute dans les Marolles, l’épicerie, où l’on torréfiait déjà le café, qui sera reprise en 1902 par le grand-père et la grand-mère de Jean Wulleman. En 1957, apparaît une seconde adresse. D’autres suivront, jusqu’à 15 magasins “Samoka” spécialisés dans le café. Tout est revendu en 1984, mais le père conserve la maison rue Haute “pour s’occuper” et ouvre “Corica”. Jusqu’alors informaticien, Jean Wulleman reprend l’affaire en 1991 et change de quartier pour investir une petite boutique de la rue du Marché aux Poulets, près de la Bourse. Travaillant pour “Rob” et de grands chefs (qui préfèrent taire leur nom), “Corica” vend toujours son “Moka royal”, mélange mis au point pour le grand Pierre Romeyer qui souhaitait clore les repas de sa “Maison de Bouche” triplement étoilée de Hoeilaart avec un café “qui plaise à tout le monde”.

“Il y avait cette affaire à remettre; on était sans emploi et j’avais une âme d’indépendante plus que d’employée; on a donc sauté le pas”, explique Marie-Hélène Callewaert, juriste de formation. Après avoir arrêté ses études, son fils Harold a cumulé les p’tits boulots. Pendant cinq mois, il a appris le métier de torréfacteur auprès de M. Wulleman. Depuis plusieurs semaines, motivé, il torréfie d’ailleurs seul, sans que les clients n’aient remarqué le changement. Si le duo apportera progressivement quelques changements (déco, logo, site Internet…), le concept ne change pas. A l’heure de la mondialisation et de l’industrialisation, le torréfacteur de quartier garde tout son sens pour une population de gourmets à la recherche de qualité, estime Jean Wulleman.

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A l’origine du café

Torréfacteur est un métier à part entière. Il s’agit, en effet, de partir du café vert qui arrive par paquebots au Havre et surtout Anvers, plus grand port caféier au monde. Il s’agit donc de suivre avec attention les cours du café acheté bien souvent avant la récolte. Un café qui, cette année, augmente suite aux mauvaises récoltes au Brésil, en Chine et en Inde.

Le café est en fait issu de la graine d’une cerise, fruit du caféier. Il en existe deux grands types : le Robusta et l’Arabica, ce dernier se subdivisant en énormément de variétés. Pour parvenir au café vert, il faut le débarrasser de la chair du fruit. Pour ce faire, il existe deux grandes méthodes. La première, appelée “sun dried”, pratiquée notamment au Brésil, consiste à faire sécher les cerises puis à les briser pour extraire les deux graines. La fermentation, qui va donner son goût au café, est ici très courte. Plus elle est longue, plus le grain sera bleuté et ses arômes puissants. Dans les pays où l’eau est moins rare, on lave le café, la méthode est alors dite “washed”. La cerise est brisée, et on laisse les grains enrobés de chair dans l’eau de 24 à 78 h. Ils sont alors rincés puis séchés. Les arômes seront plus fins, mais la conservation du café vert sera moins longue, entre 12 et 18 mois. Tandis que le café décaféiné est obtenu en utilisant des solvants chimiques, dont toute trace disparaît à la torréfaction.

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Apprendre la torréfaction

Le café vert arrive dans de gros sacs de jute de 70 kg. Reste à le torréfier, un métier qui s’apprend sur le tas puisqu’
il n’existe pas d’études en Belgique. Chez “Corica”, on torréfie tous les jours, en fonction des besoins, pour un total de 300 à 400 kg par semaine. Torréfier consiste à chauffer les grains de café vert pour en faire sortir toutes leurs huiles essentielles, leurs parfums. Le procédé est simple, mais demande un vrai savoir-faire. Alimenté ici au gaz, le four, qui date des années 50 mais est toujours en parfait état de fonctionnement, monte à 220-240°C et tourne comme une machine à laver. Il faut environ 12 min. (cela varie en fonction des variétés) pour torréfier 22 kg de café. Alors que de façon industrielle, l’opération prend 3 min. pour 500 kg de café, lequel est ensuite refroidi à l’eau. Chez Corica, une fois torréfié, le café est versé sur une grille et mélangé pour l’aider à refroidir. Plus le café sera clair, plus il sera acidulé, fruité, aux saveurs végétales. Plus il sera sombre, plus il sera fort, “carbonisé”.

Entre les deux, il s’agit donc de bien viser. Car quelques secondes de trop et le café est brûlé, et donc imbuvable… Pour y parvenir, on se fie à la vue – grâce à une sonde, le torréfacteur vérifie l’aspect et la couleur des grains –, éventuellement au nez mais surtout à l’oreille, les graines explosant comme du pop-corn à la chaleur. Le café doit en fait atteindre 180°C à cœur. Au-delà, on brûle les huiles… Après cuisson, le café doit reposer au moins 4 à 6 h avant de pouvoir être moulu puis infusé. Mais attention au petit chocolat qui accompagne souvent le petit noir. Il agit avec le café comme la noix avec le vin : il rend délicieux n’importe quel breuvage…

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Envie d’y goûter

  • Corica.
    49 rue Marché aux Poulets 1000 Bruxelles.
    Rens. : 02.511.88.52 ou www.corica.be.
    Ouvert du mardi au samedi de 10 à 18 h.

La conservation

  • Selon Jean Wulleman, l’emballage sous-vide du café altère ses arômes. Un café moulu se conserve dans une boîte hermétique au frigo, le café en grains au surgélateur. Mais jamais dans une armoire de la cuisine : à la chaleur, les gaz s’échappent, les huiles sortent des alvéoles et rancissent !

La préparation

  • Filtrer l’eau élimine ses impuretés (calcaire, chlore…). Le percolateur est à proscrire, comme l’utilisation de filtres bruns, qui altèrent le goût du café. Pour un café traditionnel, utiliser une cafetière en faïence ou en porcelaine, un filtre blanc, 1 c.à.s. de café fraîchement moulu pour deux tasses et de l’eau frémissante.

Le top de la machine

  • Même si le beau George ne cesse de vanter les mérites d’une célèbre marque (“What else ?”), les professionnels lui préfèrent d’autres machines, utilisant du café en grains et non des dosettes. Parmi ce qui se fait de mieux pour la maison, la gamme de la marque suisse Jura débute à… 700 € ! Mais elle dispose d’un moulin à café intégré !

La mouture

  • En fonction de l’ustensile choisi pour “percoler” son café, on adaptera la taille de la mouture. Si la cafetière à moka italienne nécessite une mouture très fine, les machines à piston type Bodum réclame un café moulu grossièrement. Tandis que les cafetières traditionnelles préfèrent une mouture moyenne.

Moins de caféine

  • Pour limiter la quantité de caféine, on augmentera la quantité de mouture et l’on réduira la quantité d’eau. Le café sera ainsi plus fort – on pourra ensuite le diluer à l’eau chaude –, plus concentré en goût mais allégé en caféine. De la même manière, un ristretto contient moins de caféine qu’un caffè lungo.