Ça c’est un choc! L’un des chefs les plus adulés de la planète gastronomique, éternel second de Ferran Adría au Top 50 des meilleurs restaurants du monde, Heston Blumenthal (photo) a été contraint de fermer son restaurant trois étoiles « The Fat Duck » à Bray-on-Thames dans le Berkshire. Contrairement à ses collègues français Marc Veyrat ou Olivier Roellinger, il ne s’agit pas ici de raisons de santé. Ou plutôt si mais pas celle du chef, celle de ses clients. Le 25 février dernier, Blumenthal a en effet pris la décision de fermer, sine die, son restaurant-laboratoire suite à une série alarmante d’intoxications alimentaires provoquant diarrhées et vomissements qui avait fini par alerter les autorités!

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D’après les premières enquêtes de la police, la listériose et la salmonellose (dues à des aliments crus ou cuits à basse température) ne semblent pas en cause. Et le chef restait perplexe, peu enclin à croire que sa cuisine et ses techniques « révolutionnaires » puissent être en faute. Parmi ses nombreux joujoux, on compte, outre le désormais commun azote liquide utilisé pour les glaces et sorbets, les perles d’alginates, la méthylcellulose, les amidons modifiés, le monoglutamate de sodium, les carraghénanes et gommes variées. « Au-delà de certaines quantités, plusieurs de ces produits sont laxatifs, d’autres allergisants ou indigestes », nous apprenait « Le Monde » le 6 mars dernier.

Adria.jpgVoilà une nouvelle pas si anodine que cela et qui apporte du grain à moudre aux voix de plus en plus nombreuses qui se lèvent contre la gastronomie moléculaire. On se souvient en effet que l’été dernier, la guerre avait fait rage entre deux chefs espagnols l’un tenant de la cuisine classique et l’autre de la gastronomie moléculaire, sur les dangers de cette dernière pour la santé puisque basée en grande partie sur des additifs chimiques à même de créer des textures nouvelles. Suite à une intoxication alimentaire survenue chez « El Bulli », le chef barcelonais Santi Santamaria, trois étoiles Michelin, avait attaqué frontalement le roi Adría (photo), l’accusant d’« empoisonner ses clients ».

La polémique n’est d’ailleurs pas prête de s’éteindre après la publication il y a peu en Espagne d’un ouvrage du journaliste allemand Jörg Zipprick intitulé « No quiero volver al restaurante ! » (« Je ne veux pas retourner au restaurant ! »), dans lequel il déconstruit les recettes d' »El Bulli » ou du « Fat Duck », mettant en avant les dangers qu’elles représentent pour la santé. Il affirme notamment que les produits employés par la gastronomie moléculaire ont été « élaborés et testés en Allemagne par TTZ, un centre de transfert technologique (à Bremerhaven), dans le cadre du programme Inicon, financé depuis 2003 par la Communauté européenne et l’industrie chimique », toujours selon « Le Monde ».

Roellinger.jpgCette attaque de la cuisine moléculaire comme la tête-de-pont de l’industrie agro-alimentaire est désormais récurrente, reprise par de grands chefs comme Olivier Roellinger (photo).  “Cette forme d’imposture ne m’intéresse absolument pas. La cuisine moléculaire, c’est de la cuisine pouêt-pouêt, un leurre pour des gens qui n’ont pas beaucoup de connaissances au départ. C’est vraiment vendre du vent. Et qui finance tout ce lobbying ? Tout est financé par le syndicat des arômes d’Europe et en particulier Givaudan. En réalité, il s’agit de faire rentrer les arômes de synthèse par la grande porte dans les grandes cuisines d’Europe. C’est absolument abominable. D’autant que je crois que l’aspiration profonde de nos contemporains, c’est plutôt le naturel, le plus sain. Il faut retrouver un équilibre avec une nourriture plaisir, saine, diverse et chargée d’un brin de culture. Voilà mon idéal”, nous déclarait récemment le chef de Cancale.

Sans doute, après quelques années d’effet de mode, la gastronomie moléculaire, amusante et décomplexée, est-elle déjà en train de montrer ses propres limites, flirtant désormais avec le diable en vendant son âme à l’industrie agro-alimentaire. Le restaurant d’Adría resssemble d’ailleurs surtout à un prétexte pour vendre une gamme de produits dérivés vers le grand public (alginates, sodium, seringues…). Face aux inquiétudes écologiques, d’autres mouvements comme le Slow Food, apparaissent définitivement plus modernes, plus en phase avec le monde actuel.

Dévoilé d’ici quelques semaines, le Top 50 des meilleurs restaurants du monde devrait en tout cas voir disparaître le « Fat Duck » de son palmarès. Cette édition 2009 marquera-t-elle également la chute de la gastronomie moléculaire de son piédestal? Réponse le 20 avril prochain à Londres…