A la retraite depuis 1995, Christian Millau (le Millau dans GaultMillau) continue de suivre avec délectation les évolutions de la gastronomie française. Il livre son guide de restaurants imaginaires… Vieil homme toujours vert, il n’a rien perdu de sa verve et de sa plume pour croquer les ridicules de la société française.
=> Article paru dans « La Libre » du 29 septembre
Révolutionnaire de la gastronomie français
En 1959, Christian Millau a la petite trentaine. En compagnie de son ami HenriGault, il lance un pavé dans la marre gastronomique en créant le guide et le mensuel “GaultMillau”. En quelques années, ils acquièrent une renommée mondiale et viennent concurrencer la toute-puissance du guide Michelin, qui régnait alors en maître, faisant et défaisant les réputations en distribuant ses étoiles.
Collaborateur à “Paris-Match”, “Elle” ou “L’Express”, chroniqueur à Europe 1 pendant 26 ans, Christian Millau n’a jamais cessé de dénicher les nouveaux talents de la cuisine française. Si, depuis 1995, il se consacre à l’écriture avec talent – il a reçu en 1999 le Grand Prix de la biographie de l’Académie française et le Prix Joseph Kessel pour “Au galop des hussards”–, l’écrivain est resté attentif aux évolutions de la gastronomie.
Un guide à clés
Son “Guide des restaurants fantômes” n’a évidemment rien d’un énième guide gastronomique. Croquant une cinquantaine d’adresses imaginaires (où certains se reconnaîtront sans peine), il livre autant de petits tableaux de la société française actuelle. Bien qu’inventés de toutes pièces, les restaurants de Millau et leur faune hétéroclite ressemblent à s’y tromper à la réalité.
D’ailleurs, l’auteur aime brouiller les pistes en faisant intervenir des personnages réels. S’il déclare sa flamme aux Chapel, Guérard, Loiseau, Ducasse, Troisgros, Robuchon, Gagnaire et autres Wynants, Blanc, Girardet –autant de
souvenirs de “repas exquis, souvent admirables et, quelquefois même, inouïs qui ont jalonné cinquante années de ma vie” –, Millau tire à vue sur la nouvelle nouvelle cuisine et même sur l’ancienne. Sous le nom de Paul Baratin près de Lyon, se cache évidemment Bocuse, décrit en demi-dieu vénéré tous les samedis par des cars de touristes avides d’objets de culte ou d’un autographe de la légende vivante…
Ce que tente de faire Christian Millau dans cet ouvrage, c’est simplement de replacer la gastronomie à sa place. Pour lui, sa définition n’a pas changé depuis plus d’un siècle –n’a-t-il pas choisi Grandville, grand caricaturiste du XIXe pour illustrer son ouvrage?–: ses maîtres restent les Escoffier, les Dumas et autres tenants de la grande tradition française, de la cuisine bourgeoise ou de la cuisine paysanne.
Dénoncer les modes culinaires
Au risque de paraître pour un “vieux con”, terme que cet ancien hussard ne renierait sans doute pas, il déglingue toutes ces modes gastronomiques qui se succèdent à toute berzingue depuis une dizaine d’années: world cuisine, fusion, fooding, Slow Food, spoon food, lèche food… D’une plume alerte, Millau pratique l’art de la caricature et du pastiche avec un plaisir tout sauf coupable. Ses descriptions de plats ou de concepts, assassines, suffisent à clore le bec à tous les effets d’une soi-disant modernité: “Dylan, un formidable agitateur tradition-fusion qui a fait son cookingout”, “envolée de coco au yazu”, “béatitude de riz aux cacahuètes”, “plénitude de chocolat-barbe à papa”… Ons’y croirait !
Politiquement très à droite, Christian Millau ne cache pas ses convictions, qui ponctuent chacun de ses tableaux, mais sait se faire tendre pour José Bové, Daniel Cohn-Bendit ou Marie-George Buffet. Et se pose en défenseur de notre pays. Celui qui “aime la Belgique et même les Belges sans avoir jamais eu l’envie de se soigner” se montre moins vache sur les adresses belges que sur les restos branchés parisiens. Car c’est là que se concentrent attachées de presse, journalistes de mode, bobos, vedettes médiatiques, sans oublier les chroniqueurs gastronomiques dans le vent. Tous ceux qui, à ses yeux, ont contribué à transformer la gastronomie en jungle où le marketing l’a emporté sur l’assiette… Peut-on réellement lui donner tort?
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=> “Le guide des restaurants fantômes ou Les ridicules de la société française”, Christian Millau, chez Plon (240 pp., env. 20€).