Dernier rendez-vous de notre série estivale consacrée aux métiers de bouche à La Roche-en-Ardenne, chez Michel Bosquée, boucher-charcutier.

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Photo Gaëtan Nerincx

Calendrier de la série

Dans la saumure, Michel Bosquée est tombé dedans tout petit. Car la famille Bosquée, ce sont trois générations de bouchers-charcutiers. Enfant, il aidait son grand-père, puis son père dans la boucherie familiale, installée depuis 1951 en plein cœur de La Roche-en-Ardenne, après la destruction de l’ancien magasin durant la Guerre. C’est donc naturellement que Michel choisit de faire ses classes à l’école de boucherie de Namur. Là, il apprend l’art de la découpe et du désossage à blanc (les os doivent être débarrassés de toute trace de viande), les recettes de saumures, l’usage du fumoir… Mais c’est dans la boucherie paternelle et après une expérience de 6 ans dans un établissement d’Houffalize qu’il mettra au point ses propres recettes.

Son métier, Michel Bosquée avoue cependant ne plus pouvoir le pratiquer comme avant. Car en 1978, à la mort du grand-père, la ferme familiale est vendue. C’en est donc fini de la viande maison et il faut trouver des producteurs de confiance. Pas facile quand on constate que la qualité de la viande n’a fait que baisser en Belgique, tandis que certains consommateurs ne comprennent pas qu’“un bon bœuf, ce n’est pas une viande toute rouge mais persillée de gras, ou que le veau, ce n’est pas blanc mais rosé qu’il doit être”. D’ailleurs, s’il pouvait arrêter de vendre du bœuf, Bosquée le ferait sans hésiter. D’autant qu’il est difficile de trouver un steak digne de ce nom aujourd’hui. En partie à cause de l’Afsca (Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire), qui, si elle ne peut réellement l’interdire, décourage par exemple aux bouchers de faire rassir la viande. Une pratique qui fait pourtant la fierté des Anglo-Saxons, permettant de sublimer le goût de la viande. “Avant, les restaurateurs payaient leur viande trois semaines à l’avance et venaient la chercher lorsqu’elle avait mûri, mais c’est fini”, constate lui aussi Michel Bosquée, qui précise qu’il est de toute façon devenu très difficile de faire rassir du bœuf belge pendant 30 ou 40 jours sans qu’il ne se perde…

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Ses fournisseurs, le boucher les cherche dans la région. A l’abattoir de Marc Deom, il s’approvisionne ainsi en bêtes locales dont il connaît la provenance. Tandis qu’il travaille avec P.Q.A. (Porcs Qualité Ardennes), société installée à Malmédy qui cherche à développer des standards de qualité pour l’élevage et l’engraissement des porcs (qualité fermier, bio, plein air…).

Michel Bosquée est un homme discret, à l’image de sa toute petite boucherie. Timide, il laisse volontiers le comptoir à sa femme pendant qu’il s’affère dans son atelier à préparer boudins et pâtés. Sa clientèle, ce sont avant tout les locaux et quelques hôtels; les touristes préfèrent les grandes boucheries clinquantes de La Roche, qui ne fument pourtant même plus leurs jambons eux-mêmes. Il n’y a d’ailleurs plus que deux fumoirs dans la ville. C’est un artisanat qui se perd, confie Michel, “aucun jeune n’a envie de travailler 11h par jour 7 jours sur 7”.

Depuis toujours, Bosquée se sent plus charcutier que boucher, son côté créatif y trouvant plus facilement à s’exprimer. Même s’il est parfois difficile de faire acheter un nouveau produit aux gens de la région, il aime proposer des choses différentes. Il a par exemple créé ce saucisson au Purnalet, liqueur locale à base de prunelles sauvages, ou ces cigares à la Féod’Ale, la bière de La Roche. Mais ce qu’on vient surtout chercher chez lui, c’est son jambon. S’il ne fume plus de jambons entiers, ne parvenant plus à les écouler, il travaille encore les cobourgs et les noix (les deux parties du jambon une fois désossé). Ceux-ci passent respectivement un mois et 15 jours dans la saumure (bouillon de légumes et sel) puis sont dessalés pendant 12 h dans l’eau, avant d’être mis à sécher. Noix et cobourgs sont alors placés à différentes hauteurs dans le fumoir, qui va de la cave au grenier, rempli de sciure de hêtre et de “poudre à fumer” (un mélange d’épices avec notamment du genévrier) achetées chez les grossistes en épices.

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Dans son fumoir, installé à une centaine de mètres de sa boucherie, c’est 4 jours de fumage qui attendent la quarantaine de noix produites chaque semaine et les 7 à 8 cobourgs. Au total, pour une noix, il faudra attendre plus ou moins 5 semaines depuis la viande fraîche jusqu’au produit fini. Soit beaucoup moins que pour le “Jambon d’Ardenne” à l’os, âgé au min. de 5 mois. Mais c’est bien plus qu’au niveau industriel, où tout est accéléré et où le fumage en machine avec des copeaux confère surtout un aspect visuel correct mais laisse à désirer au niveau du goût. Au contraire, fondant, légèrement fumé, le jambon de Michel Bosquée se fait très délicat en bouche.

Le bonhomme aime le travail bien fait. Par principe, il a pourtant renoncé à l’IGP (indication géographique protégée) “Jambon d’Ardenne”. Si, par tradition, il respecte naturellement le cahier des charges, il refuse de payer une cotisation aussi élevée que des géants comme Marcassou ou Les Nutons. Quelle que soit la taille de la boucherie, la redevance annuelle fixe est en effet la même, tandis que l’on paye ensuite un écusson par jambon produit. Pour une petite boucherie comme celle de Michel Bosquée, le jeu n’en vaut pas la chandelle, d’autant que ce label n’a jamais fait exploser les ventes.

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Michel Bosquée et sa femme Martine

Le problème du “Jambon d’Ardenne” est sans doute là aujourd’hui. Aux côtés de bons bouchers qui travaillent le label (cf. ci-dessous), d’autres font aussi bien sans celui-ci, la réputation du “Jambon d’Ardenne” n’étant pas aussi prestigieuse que celles des jambons de Parme (Italie), Iberico (Espagne) ou Bayonne (France). A tort ou à raison, car pour le Parme par exemple, la zone d’élevage des porcs est plus large que la zone de transformation elle-même, qui garantit l’appellation. Comme en Ardenne, où la plupart des porcs utilisés ne proviennent pas d’élevages locaux.

L’asbl qui gère l’appellation reconnaît aujourd’hui la nécessité de retravailler son image, en resserrant le cahier des charges. L’IGP est ainsi en passe d’être complètement revue, un projet ayant été présenté au ministre wallon de l’Agriculture Benoît Lutgen. Au programme notamment, la création d’un jambon d’Ardenne “Grand cru”, fabriqué uniquement à partir de porcs élevés en Ardenne. Une bonne chose pour mettre en avant la qualité. Même si les porcheries n’ont pas bonne presse dans la région, très dépendante du tourisme.

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Photo Gaëtan Nerincx

Envie d’y goûter?

  • Toute petite, la boutique de Michel Bosquée est située en plein cœur de la ville de La Roche, dans l’artère commerçante.
    Boucherie Michel Bosquée. 33 rue de l’Eglise 6980 La Roche-en-Ardenne.
    Tél.: 084.41.11.57. Fermé le lundi.

D’autres excellents jambons en Ardenne

  • Charcuteries1.jpgBoucherie charcuterie Lefebvre.
    Un des meilleurs jambons avec appellation. De nombreux prix ont couronné les salaisons et pâtés de chez Lefebvre. La viande, notamment le contre-filet, vaut également le détour.
    182A rue de Beauraing 6920 Welin.
    Rens. : 084.38.83.59 ou
    www.boucherielefebvre.com.
  • Boucherie charcuterie Thill.
    On y trouve un excellent jambon fumé (sans appellation), qu’on pourra également retrouver dans divers endroits à Bruxelles, au Hilton ou au “Pigeon Noir” à Uccle par exemple.
    201 rue des 2 Eglises 6717 Attert.
    Tél. : 063.22.56.15
    .
  • Jambon Ligot1.jpgBoucherie charcuterie Ligot.
    Récompensés par plusieurs médailles, le jambon, qui a l’appellation “Jambon d’Ardenne”, et les saucissons sont excellents. Ligot fabrique aussi le Borquin, spécialité de St-Hubert, et une série de “saucissons du monde”, assaisonnés de chimichurri par exemple.
    18 place de l’Eglise 6681 Lavacherie.
    Tél. : 061.68.80.19.

Une phrase

  • “S’il a des ris, ça signifie que le veau n’a pas été piqué.”
    Michel Bosquée veille à choisir ses viandes avec précaution, cherchant, quand c’est possible, à se fournir localement.

Un site

  • Sur le site officile du « Jambon d’Ardenne, on trouvera toutes les infos sur le produit, l’appellation, sa fabrication ainsi qu’une liste des boucheries labellisées.
    http://www.jambondardenne.eu.