Le duo d’enfer à la tête de « Crab Club », Philippe Emanuelli et son associé Yoth Ondara.

Photo Johanna de Tessières.

Magicien des fourneaux et homme orchestre, le Breton bruxellois signe avec « Crab Club » une nouvelle adresse très réussie.

Lorsqu’on pénètre dans la nouvelle adresse de Philippe Emanuelli, située à deux pas de la Porte de Hal à Saint-Gilles, on est tout de suite frappé par la décoration industrielle épurée et efficace. Une scène qui sied parfaitement au caractère franc et sincère de Philippe Emanuelli.

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Photo La cuisine à quatre mains

 

Son « Crab Club », il l’avait dans le coeur depuis quelques années. Il avait d’ailleurs fait un clin d’oeil au « Crab Club de Landerneau » dans les remerciements de son bel ouvrage paru chez Marabout en 2012, « Coquillages et crustacés ». Un lieu alors seulement imaginaire… « J’avais déjà l’âme du lieu, ça me démangeait de lui donner un corps », sourit-il. Un corps matérialisé par le créateur de lieux à succès Frédéric Nicolay (« Bar du matin », « Flamingo », « Potemkine », « Walvis »…).

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Photo Johanna de Tessières

 

Seules quelques lampes suspendues, qu’on dirait sorties d’un bateau, rappellent pourtant qu’on est ici dans le ventre de la baleine… On ne vient effectivement pas au « Crab Club » pour manger de la barbaque mais du poisson, des coquillages et des crustacés en tout genre. Normal dans un bistrot signé par un Breton au nom Corse qui avait déjà fait parler de lui en ouvrant en 2004 avec deux associés le fameux « Café des spores », revendu en 2010 à Nicolas Scheidt, le jeune chef alsacien de « La buvette »).

Quel vent vous a mené de la Bretagne à la Belgique?

J’ai suivi des cours de sommellerie à Toulouse et j’ai été le second du sommelier Eric Beaumard à « La Poularde » de Montrond-les-Bains, alors doublement étoilée au Michelin. J’ai ensuite travaillé à Londres chez Marco Pierre White, mais c’était l’enfer. Puis, fin des années 90, j’ai rencontré Eric Boschman, à l’époque à la tête du « Pain et le Vin » à Uccle. Un bon copain dans un village!

Quel est le concept de « Crab Club »?

Je suis Breton, j’adore le poisson, les coquillages… Je voulais travailler de manière dynamique, accessible. Il y a bien sur des défauts ou des approximations, la vaisselle et les verres sont dépareillés et on ne change pas les couverts à chaque service. Mais on ne triche pas, nos prix sont très abordables. On ne fait pas un coefficient x3 sur les vins par exemple, car on veut rendre accessible des bouteilles qui ne le sont jamais au resto! On ne fait pas une cuisine démonstrative, on n’a rien à prouver. On n’a pas non plus un discours sur le produit. C’est chiant le discours des chefs sur le produit. Ethique, propre, naturel, bio, c’est la base. C’est la seule manière de progresser, tout le monde devrait pouvoir être à ce niveau là.

Comment définiriez-vous le style de cuisine du «Crab Club»?

Je ne suis pas chef, je ne suis pas un technicien, j’assemble les choses. C’est surtout la qualité du produit qui compte. Mais mon associé Yoth Ondara (ex « Wine Bar Sablon »), un Nîmois d’origine thaïe, est vraiment chef. Il me laisse m’occuper de la partie fantaisiste. Pour l’instant, on travaille surtout les poissons entiers au four, le plus simplement possible! Sur commande, on sert une rascasse ou même un poulpe flambé. J’aime théâtraliser la table. On privilégie un système à la grecque avec des plats à partager. On a aussi envie de travailler des poissons plus locaux, comme les truites bio d’Ardennes. La carte change en fonction des arrivages.

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Photo Johanna de Tessières

 

Peut-on toujours consommer du poisson avec les problèmes de surpêche etc.?

Oui, et même du thon! Mais du thon blanc péché à la ligne comme à Saint-Jean-de-Luz par exemple. Les gens sont prêts aujourd’hui à changer leurs modes de consommation. Dans tous les ports de Bretagne, à 17h, des gens viennent chercher leur poisson directement au cul des bateaux pour favoriser les circuits courts. Toujours en Bretagne, les ligneurs de l’île Vierge pratiquent l’Ikéjimé, une technique japonaise qui évite de stresser les poissons. On les assomme, on les saigne et on neutralise leur système nerveux central. Il n’y a pas de rigidité cadavérique, pas d’acide lactique: le poisson reste bien blanc et se conserve plus longtemps. C’est plus compliqué d’avoir du poisson durable à la Mer du Nord qu’en Bretagne mais ce n’est pas non plus une pêche catastrophique.  

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Photo La cuisine à quatre mains

 

Le résultat dans l’assiette?  

Au « Crab Club », on mange des plats simples et savoureux comme des tellines en persillade (12€) — lorsqu’il était enfant et que la famille était fauchée, Philippe Emanuelli les mangeait ainsi ou avec des spaghettis après les avoir récoltées avec son frère sur la plage. Quel plaisir de voir arriver un paire breton cuit entier au four sans plus de fioritures (28€), pour mettre en valeur le produit.

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Photos La cuisine à quatre mains

Mais Emanuelli est aussi capable d’imaginer des propositions plus folles et assez bluffantes. Qui n’a pas un souvenir ému de cette fameuse glace aux cèpes et à l’arrope, un classique inventé pour le « Café des Spores»? Emanuelli travaille toujours à l’intuition et se montre un assembleur de talent lorsqu’il marie calamar et mozzarella — un joli ton sur ton de couleur — ou en associant poulpe, figatellu corse et figue, l’une des nombreuses propositions terre-mer de la carte.

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Photos La cuisine à quatre mains

Mais Ondara et Emanuelli font la paire quand il s’agit de donner une touche asiatique aux préparations. Renversantes ces palourdes aux cocos de Paimpol et « thon coton » (tuna floss vietnamien) ou ce pot-au-feu de légumes dans un bouillon de dashi et nuoc-mâm. Tandis qu’en goûtant à leurs saucisses fermentées à base de couenne de porc qui seront servies avec des huîtres, on se dit que ces deux-là nous promettent de beaux moments gourmands!

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Photo La cuisine à quatre mains

  • « Crab Club ». 7 chaussée de Waterloo à 1060 Saint-Gilles.
    Ouvert tous les jours de 18h à 22h. 
    Rens. : 0475.37.75.78.

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L’homme orchestre

Depuis 2011, Philippe Emanuelli est également à la tête de la marque « Supersec ». « J’ai toujours eu un intérêt pour les techniques vivrières. Le séchage est la manière la plus simple pour faire durer une ressource qui est éphémère. C’est que j’ai fait avec les champignons. Récoltés dans des parcs naturels, ils révèlent des composés aromatiques plus complexes et originaux que certains champignons frais qui ont déjà perdu leur signature aromatique et ont surtout des parfums d’humus et de sous-bois, un signe de décomposition. »

Parmi les produits «Supersec », Il y a toujours des champignons, récoltés en Grèce ou en Gaspésie, séchés sur place et acheminés à Bruxelles, mais la gamme s’est considérablement élargie avec des épices, des purées, des pâtes… Emanuelli lance en ce moment un crowdfunding pour pouvoir acheter un four à installer dans un atelier protégé bruxellois et destiné au séchage de variétés anciennes et locales de pommes cultivées en biodynamie. Il compte ainsi revaloriser le travail des petits producteurs et le produit, victime de surproduction saisonnière.

Philippe Emanuelli travaille aussi sur un nouveau livre, une « Monographie du poulpe » qui devrait sortir, comme ses autres opus, chez Marabout.

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