Partagée entre tradition et innovation, la bière belge se réinvente. C’était le thème d’un atelier passionnant organisé au Salon du Goût de Turin. Tandis que cet engouement d’un nouveau genre (plus foodie que traditionnel) s’accompagne de nouvelles tendances…

bière belge,tendances bières,fermentation spontanée,luca dabove,gypsy brewers

Un labo sur les bières belges artisanales

Lors du dernier Salon du goût Slow Food de Turin, fin octobre, une large place était réservée à la bière belge. Considéré comme l’un des meilleurs spécialistes des bières belges, l’Italien Lorenzo Dabove y animait un passionnant “laboratoire du goût” intitulé “Bière belge, une révolution de styles”. Face à un public international, composé d’Italiens et de Belges mais aussi de nombreux Américains, il a crié son amour pour les brasseries artisanales de notre pays. Il y a 15 jours, il participait d’ailleurs au dernier brassin public de chez Cantillon.

bière belge,tendances bières,fermentation spontanée,luca dabove,gypsy brewers

Son point de vue est clair : “La Belgique produit parmi les meilleures bières de l’histoire” mais elle doit faire face aujourd’hui à une véritable révolution, avec l’explosion des microbrasseries un peu partout dans le monde, un mouvement parti des Etats-Unis. “La Belgique, en particulier, est dans une période de conflit entre la tradition et l’avenir de la bière, avec l’apparition les brasseries, qui tentent de dire quelque chose de nouveau, d’innover.” Bref, de faire le grand écart entre la tradition locale – notamment celle de la fermentation spontanée à base de levures sauvages et qui confère aux gueuzes et aux lambics leur acidité particulière – et les tendances actuelles  : jeu sur les levures, le houblon, le vieillissement…

Le retour du lambic

A la théorie, le laboratoire turinois adjoignait la pratique. Dabove faisait ainsi déguster une dizaine de bières artisanales pour montrer à l’œuvre cette révolution de l’univers brassicole belge. Très acidulée et fruitée, passée en petites barriques pendant un an, la Verzet Oud Bruin (6 %), produite à Anzegem, illustre bien la volonté de jeunes producteurs de revenir aux gueuzes et aux lambics et de l’évolution des goûts. “Elle a une note vinaigrée subtile, pas agressive. Il y a dix ans, tout le monde aurait détesté cette acidité. Aujourd’hui, plus personne n’est gêné. Le goût à changé en dix ans”, s’amuse l’Italien.

bière belge,tendances bières,fermentation spontanée,luca dabove,gypsy brewers

Qui mettait aussi en lumière le travail de la brasserie artisanale de Rulles en Gaume, première à utiliser le houblon américain pour ses cuvées avant que la mode soit passée par là. Et faisait partager sa passion pour la Rulles estivale (5,2 %), simple mais excellente.

La vague IPA

Si la tradition en Belgique se trouve plutôt du côté de l’acidité (kriek, lambic, gueuze…) et bien sûr des trappistes, les brasseurs belges ne peuvent ignorer la folie du houblon actuelle, avec l’apparition de bières sans cesse plus amères de type IPA (Indian Pale Ale), fortement dosées en alcool et très houblonnées. Le houblon n’apporte pas seulement l’amertume, c’est aussi un conservateur naturel. Les IPA ont en effet été créées en Angleterre au XVIIIe siècle pour pouvoir voyager jusqu’en Inde.

bière belge,tendances bières,fermentation spontanée,luca dabove,gypsy brewers

“Le houblon est très à la mode mais ce qui compte, c’est son interaction avec les levures à la belge”, explique Dabove. La preuve avec la bien connue Tarras Boulba (4,5  %) de la Brasserie de la Senne à Bruxelles ou avec la Chouffe Houblon (9  %), une “Double IPA Triple” produite par la brasserie d’Achouffe dans les Ardennes, créée en 1982 et rachetée par Duvel en 2006. “En utilisant de la coriandre pour la fraîcheur et du houblon américain, on s’ouvre au monde américain. Mais on garde les levures belges. Et malgré ses 9  %, c’est une bière qui reste très élégante. Depuis sa création en 2006, c’est une bière très imitée en Belgique”, commente le spécialiste… Qui faisait également goûter l’excellente XXX Bitter (6  %), une IPA de la brasserie De Ranke à Dottignies. “Un chef-d’œuvre  !”, résume Dabove.

Le pèlerinage en terres belges

La bière reste profondément inscrite dans l’identité belge et ce savoir-faire est reconnu à l’international. Il suffit de se promener dans les rayons d’un “Whole Food” à Manhattan ou de parcourir la carte d’un bar à bières à Brooklyn, pour comprendre combien les Américains sont fous des bières belges. Pour les spécialistes US de la bière, un pèlerinage sur nos terres s’impose et celui-ci est indissociable d’une visite à Diksmude à la brasserie De Dolle, notamment pour venir goûter à l’Arabier (8  %), mythique outre-Atlantique et pourtant peu connue chez nous  !

Mais attention aux excès… Comme dans le monde des spiritueux, la montée en puissance du marketing est frappante dans le monde de la bière, avec notamment la multiplication de ce qu’il est convenu d’appeler les “bières d’étiquette”, où tout est dans l’emballage et le discours qui va autour plutôt que dans le contenu lui-même…

bière belge,tendances bières,fermentation spontanée,luca dabove,gypsy brewers

bière belge,tendances bières,fermentation spontanée,luca dabove,gypsy brewers
La Brasserie Cantillon a fêté son centenaire en 2000 mais son succès va grandissant. On estime sa demande 20 fois supérieure à sa production  ! C’est pourquoi Jean Van Roy a annoncé l’acquisition d’une nouvelle brasserie de 1 500 m² à moins de 300 m de la première pour pouvoir passer de 35 à 75 brassins annuels. Photo Bernard Demoulin.

 

Une mode: les gypsy brewers

Ou quand les bières étrangères sont brassées en Belgique…

Une revue : « Bière Grand Cru »

bière belge,tendances bières,fermentation spontanée,luca dabove,gypsy brewersEditée par Baudouin Havaux, qui officie toutes les semaines dans les pages Papilles de La Libre Belgique, « Bière Grand cru » est une nouvelle revue entièrement consacrée à la culture de la bière en Belgique. A sa tête, deux passionnés: Thomas Costenoble et Luc De Raedemaeker, créateurs du concours mondial Brussels Beer Challenge.

Au menu de ce premier numéro automnal (5€), une revue des nouvelles bières, des adresses shopping (de Portland à la rue des Bouchers), des news mais aussi quelques articles plus consistants sur le foodpairing (avec des recettes), sur le succès de la brasserie de la Senne ou un dossier en forme de question: « La bière a-t-elle sa place dans les restaurants gastronomiques? » Soit une discussion dans les cuisines du « Comme chez soi » entre spécialistes doublée d’une dégustation de 12 bières classiques. Et même un moment pipole en compagnie de Bert Kruismans.

Le prochain numéro, disponible en janvier, reviendra notamment sur la dernière édition du Brussels Beer Challenge, qui s’est tenue au début du mois à Louvain (et où les brasseurs américains ont devancé leurs homologues belges, avec 53 médailles contre 43…). Mais il sera également question du mariage entre bières et huîtres, de la bière belge vue des Etats-Unis ou encore d’une dégustation d’IPA.

  • Disponible en librairie en français ou en néerlandais (5€).

  

Un livre: La cuisine à la bière trappiste

bière belge,tendances bières,fermentation spontanée,luca dabove,gypsy brewersLa cuisine à la bière est profondément ancrée dans l’identité culinaire belge. Parmi les innombrables ouvrages qui lui sont consacrés, notons celui que viennent de publier chez Racine les chefs de l’Ecole hôtelière de Bruges. Ceux-ci ont créé une trentaine de recettes à base des 10 bières trappistes officielles : six belges (Achel, Orval, Westmalle, Westvleteren et Chimay), deux hollandaises (La Trappe et Zundert), une autrichienne (Engelszell) et même une américaine (Spencer). Tandis que le fromage du monastère français du Mont-des-Cats joue les appétissants intrus.

Chaque abbaye a droit à une présentation historique, avant une fiche de dégustation de ses bières. Lesquelles sont ensuite déclinées en deux ou trois propositions classiques ou plus modernes. A l’image de cette choucroute coréenne à la Rochefort 6 ou de cette glace à la Zundert garnie de praliné, pomme et cerise.

Soit un ouvrage très classique dans sa forme, mais qui donne envie de s’intéresser aux trappistes, surtout les moins connues.

  • Publié par Tim Cornille, Carl Delaey et Gido Van Imschoot chez Racine (178 pp., env. 27,50 €). Photos Karl Brunnix.