Ces 29 et 30 mars, le convivium bruxellois Slow Food organise un week-end « Be Slow Food » pour conscientiser les consommateurs aux choix qu’ils posent en remplissant leurs assiettes. Celui de défendre une agriculture paysanne par exemple…
Cultiver ses vignes au cheval de trait pour protéger les sols? Une hérésie pour l’AOC Anjou…
Début 2013, « Karikol », le convivium bruxellois Slow Food, changeait de cap, en nommant une nouvelle présidente à sa tête, Catherine Piette. Rebaptisé « Slow Food Brussels » pour plus de visibilité, l’association s’est recentré sur les idéaux du mouvement international: manger « bon, propre et juste ». Non plus cantonné à une semaine très médiatique, le label « Goûter Bruxelles » se décline désormais toute l’année, pour mettre en lumière les différentes activités Slow Food dans la capitale. Les 29 et 30 mars, le convivium organise ainsi son premier week-end « Be Slow Food » (cf. ci-dessous), pour aider les Bruxellois à s’approvisionner en produits locaux de qualité, chose moins aisée en ville qu’à la campagne…
L’aglio di Resia est un Presidio Slow Food de la province d’Udine
Alors que le Slow Food International se fait de plus en plus actif à Bruxelles en termes de lobbying auprès de l’Union européenne, il se doit de montrer l’exemple en Belgique, où le mouvement peine à s’implanter. Mais les choses semblent enfin bouger. Il y a quelques semaines, on a ainsi assisté au lancement de la première Sentinelle Slow Food en Belgique, une dénomination privée destinée à soutenir la production d’un produit alimentaire en voie de disparition. Celle-ci concerne pour l’instant deux producteurs de fromage de Herve au lait cru et se veut beaucoup plus restrictive que l’Appellation d’origine protégée du Herve, qui tend à favoriser la production semi-industrielle.
Le Herve au lait cru est la première Sentinelle Slow Food belge
Cette constatation, on ne la trouve pas que dans le monde du fromage… Le procès d’Olivier Cousin devant le tribunal correctionnel d’Angers, le 6 mars dernier, a été largement médiatisé en France. La Fédération des viticulteurs de l’Anjou et de Saumur lui réclamait 5 000 € de dommages et intérêts avec sursis. Ce viticulteur d’une cinquantaine d’années basé à Martigné-Briand, dans le Maine-et-Loire, est accusé d’utiliser le mot « Anjou » sur ses étiquettes (il ose même écrire « AOC » pour « Anjou Olivier Cousin ».
Or, producteur en biodynamie, « sans sulfite ni sucre ajouté », Cousin n’entre pas dans le cahier des charges de l’AOC, notamment parce qu’il utilise… un cheval de trait pour travailler ses 4 ha de vignes! Malin, le viticulteur s’est servi de cette affaire comme d’une tribune – et le bonhomme a un sacré bagou, comme on a pu s’en rendre compte l’autre matin alors qu’il était invité dans la matinale de France Inter. Il dénonce haut et fort le rôle des ses collègues (interprofessions et fédérations viticoles) dans « la standardisation des AOC » et surtout « la destruction des terres ». Le tribunal d’Angers rendra son délibéré le 4 juin prochain.
Cette histoire a passionné la France. Mais au-delà d’un petit côté Clochermerle tellement terroir qui amuse la presse parisienne, ce bras de fer est exemplaire… « Mon produit, complètement artisanal, ne peut pas entrer dans la catégorie des vins industriels. Et ne peut pas les concurrencer », affirme Olivier Cousin. Comme bien viticulteurs, il a choisi de sortir du jeu des AOC pour imaginer ses propres vins. Des vins « d’auteur », « de pays », « nature » que l’on s’arrache à l’export dans le circuit des vinothèques…
Certains producteurs du renommé jambon San Daniele ont créé un Presidio Slow Food pour défendre leur savoir-faire…
Le Slow Food est exactement sur la même ligne avec ses Sentinelles, dont le cahier des charges est beaucoup plus strict que les appellations traditionnelles, et ce en vue de défendre une agriculture paysanne à échelle artisanale. Berceau du Slow Food, l’Italie est un bel exemple de ce qui peut être fait en la matière. On y compte en effet plus de 220 Sentinelles, regroupant plus de 1600 producteurs: fermiers, fromagers, pêcheurs, bergers, boulangers, pâtissiers… Surtout, leurs produits du terroir étiquetés « Presidii Slow Food » sont intégrés à un vrai circuit de distribution. Que ce soit à travers les chefs du réseau des « Osterie Slow Food », qui les mettent à l’honneur à leur carte, ou via la chaîne d’épiceries gourmet « Eataly », associée au mouvement.
Au « Eataly » de Turin, la boucherie met en valeur la Granda, race bovine piémontaise protégée par une Sentinelle Slow Food
Créées pour défendre les productions spécifiques à une région, les appellations existent depuis le XVIIIe siècle. Les producteurs de Porto défendent ainsi leur vin depuis 1756, lorsque le marquis de Pompal, Premier ministre portugais, créa un comité chargé de garantir un certain niveau de qualité. Le mot « Champagne » est, lui, protégé par la loi depuis la fin du XIXe siècle. Mais il faut attendre 1935 pour voir apparaître le système des AOC français, le premier au monde.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts et les appellations, plus ou moins officielles, plus ou moins commerciales, se sont multipliées: Label rouge, bio, AB, IGP… Tandis que les AOC s’alignent désormais sur les AOP (Appellations d’origine protégée) européennes. Mais il suffit de parler avec les producteurs, que ce soit d’huitres, de fromages, de vins, de charcuteries… pour se rendre compte des faiblesses de ces appellations, qui reposent essentiellement sur l’autocontrôle.
La voix de Carlo Petrini, pape du Slow Food, porte de plus en plus, même auprès des Institutions européennes…
Aussi peu restrictives soient-elles, ces appellations sont par ailleurs menacées par la logique de production néolibérale. Elles sont en tout cas au cœur du Traité de libre-échange que l’Union européenne négocie en secret avec les États-Unis. Les industriels américains ignorent en effet la notion de terroir, préférant la marque à l’appellation. Ils plaident donc pour pouvoir utiliser sur leurs étiquettes les mots “Brie”, “Gouda”, “Champagne”, « Roquefort »…
Les négociations viennent de reprendre à Bruxelles, ce 10 mars, et cette question capitale risque d’enrayer sérieusement les pourparlers. Cet accord de libre-échange transatlantique était d’ailleurs au cœur d’une rencontre organisée à Bruxelles jeudi 13 mars par l’association « Les amis de la Terre », à laquelle participait le Slow Food, pour alerter sur les conséquences de la signature d’un tel traité. Les interventions vidéo de Richard McCarthy, directeur exécutif de Slow Food USA, et d’Ursula Hudson, présidente du Slow Food Allemagne, sont à revoir en ligne sur le site Slowfood.com.
Un Salon pour une alimentation durable
Cette année, « Goûter Bruxelles » a pour thème « la qualité dans nos assiettes ». C’est dans ce cadre que s’inscrit le premier week-end « Be Slow Food », consacré « à la promotion d’une alimentation de qualité, de proximité, avec une approche éthique du marché ». Ce rendez-vous des producteurs et des consommateurs se tiendra dans la Halle des Tanneurs. Au menu, une vingtaine de stands de producteurs et artisans recommandés par les différents conviviums du pays (Namur, Liège, Anvers, Ostende…) ou issus d’autres filières (Saveurs paysanes, BioWallonie, Nature et Progrès…). Mais le salon accueillera également des associations actives dans le domaines de l’alimentation durable et des entreprises « eco-friendly ».
Par ailleurs, de nombreuses activités sont prévues, comme la projection de documentaires consacrés à la problématique (« LoveMeatTender », « Slow Food », « Les moissons du futur »…) et des micro-conférences sur le thème « Ralentir dans un monde de plus en plus virtuels », le samedi. Ou, le dimanche de 13h30 à 15h30, deux tables rondes, l’une pour les professionnels (« Vers un autre approvisionnement »), l’autre pour les particuliers (« L’accès à des produits de qualité »). Sans oublier, pour les gourmands, un apéro Slow Food suivi d’un cooking show, le samedi dès 19h, et un « slow brunch », le dimanche à midi.
- Be Slow Food, les samedi 29 et dimanche 30 mars à partir de 10h à l’Atelier des Tanneurs. 60 rue des Tanneurs 1000 Bruxelles.
Rens. et programme complet: www.slowfoodbrussels.be. - Les Ateliers des Tanneurs proposent un marché bio du mercredi au vendredi de 11h30 à 18h et le samedi et le dimanche de 10h à 16h.