Si peu sont ceux qui, sans doute, ont eu la chance de pouvoir goûter à la cuisine de Marc Veyrat, nombreux sont ceux qui le connaissent, même au-delà du cercle fermé des passionnés de cuisine. Difficile en effet de ne pas avoir déjà remarqué la dégaine atypique de ce chef qui a troqué blouse et toque blanches contre une cape et un chapeau à larges bords noirs.

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Mais ceux qui n’avaient pas encore fait le pèlerinage en Haute-Savoie vont devoir remiser leur rêve au placard. A 58 ans, le Savoyard a en effet annoncé ce matin à l’AFP son retrait de la cuisine ou en tout cas des fourneaux de “L’auberge de l’Eridan”, son restaurant gastronomique sur les bords du lac d’Annecy. “J’arrête, j’ai donné toute ma vie à mes clients, je vais me reposer. J’ai été un enfant pas gâté par la vie. J’ai eu tous les honneurs mais je n’ai jamais été riche. C’est ma vie qui l’a été”, confie-t-il à François Simon, chroniqueur gastronomique du “Figaro”.

Tout comme Olivier Roellinger, qui rendait ses trois étoiles Michelin il y a quelques mois – et qui rouvre cette semaine son bistrot marin “Le coquillage” –, la raison invoquée est la santé. Lors d’un grave accident de ski à Megève en 2006, Veyrat avait été victime de multiples fractures (tibia, péroné, épaule, cervicales), desquelles il ne s’était jamais vraiment remis. Se disant “handicapé”, il préfère donc partir “en maison de rééducation” pour se faire traiter “une bonne fois pour toutes”.

Il est vrai que, ces dernières années, Marc Veyrat s’était montré affaibli, boitant sévèrement, au point de devoir marcher à l’aide de béquilles, après une année passée en chaise roulante. C’est ainsi qu’il apparaissait récemment lors du grand dîner donné avec ses collègues Guy Savoy, Michel Guérard et Joël Robuchon à l’Hôtel de Lassay à Paris pour défendre la candidature de la gastronomie française au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco. Il y avait préparé notamment une incroyable émulsion de foie gras à l’herbe d’ache. Laquelle résume à merveille son approche de la cuisine.

Une cuisine de terroir complexe

Veyrat montagne.jpgUne cuisine dont les influences revendiquées sont à chercher, comme l’explique très bien François Simon, chez Michel Bras à Laguiole (pour les herbes des montagnes) et Jacques Maximin (pour le classicisme régional). Avec une petite touche de Ferran Adrià, pour la complexité des préparations, que l’on rattache un peu abusivement à la gastronomie moléculaire. Mais celui qui l’a finalement le plus aidé, en l’ouvrant aux racines, fleurs, plantes et autres herbes sauvages, c’est sans doute François Couplan : “Il est le plus grand botaniste au monde. Il m’a permis de progresser dans mon métier et d’apporter une image complètement inédite.”

Autodidacte, recalé de l’école hôtelière de Bellegarde-sur-Valserine dans l’Ain à 17 ans, Marc Veyrat a ouvert sa première auberge à Manigod en 1978. Il a alors 28 ans. En 1986, le Michelin lui confie sa première étoile, doublée l’année suivante. Tandis qu’en 1989 et 1990, GaultMillau en fait son “cuisinier de l’année”. De quoi ouvrir l’appétit de Veyrat, qui se bat avec les banques pour obtenir les prêts nécessaires à l’ouverture en 1992 de “L’auberge de l’Eridan” à Veyrier-du-Lac, près d’Annecy. Le troisième macaron ne tarde pas (1995), lui conférant une reconnaissance désormais internationale, le magazine américain “The Wine Spectator” en faisant par exemple son “meilleur chef” en 1996.

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La salle de « L’auberge de l’Eridan », avec vue sur la cuisine-laboratoire

C’est alors qu’il se lance dans un projet fou, ouvrir en hiver une seconde adresse en montagne, “La ferme de mon père” à Megève, réplique de la ferme où il passa son enfance. Avant d’être finalement revendu en janvier 2007, ce deuxième restaurant a permis à son chef d’être deux fois triplement étoilé au Michelin et de décrocher, en 2003, un 20/20 historique au GaultMillau, qu’il conservait dans l’édition 2009. Révélé lundi, le palmarès du Michelin 2009 nous dira si Veyrat conserve ses trois macarons malgré un restaurant qui ferme ses portes ou s’il avait déjà prévenu le guide rouge de son départ.

Un départ mais plein de projets

Un départ provisoire, confie néanmoins le chef à l’AFP. “Pour l’instant, l’Eridan est en stand by, on verra pendant combien de mois car il peut être transformé. Je ne renonce pas, ce n’est qu’un au revoir et j’espère pouvoir repartir quand je serai en forme.” Il ne faut en effet pas voir dans ce retrait des fourneaux un renoncement à la gastronomie. Car le Savoyard, qui se dit “le chef le plus heureux du monde”, croule sous les projets, très marqués par l’écologie.

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Outre un fast-food bio, le “Cozna Vera” ouvert avec sa fille à Annecy et aux prix très abordables (7-15 €), il planche en effet sur une “fondation pour lutter contre la malbouffe” et sur deux restaurants écologiques. Récemment, il a annoncé le lancement dans une forêt à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Prague de “L’Auberge de la clairière”, un resto bio dessiné par Petr Suske, spécialiste tchèque d’architecture écologique. Tandis qu’en 2010, Veyrat souhaite retourner là où il a débuté, à Manigod, pour ouvrir un restaurant écologique complètement autonome, possédant, à 1 800 m d’altitude, ses propres jardins potagers et son propre système de récupération d’eau. Là, le chef voudrait une table de 25 couverts uniquement pour pouvoir s’amuser avec tout ce qui a construit son univers culinaire. Bref, comme il le confiait à François Simon, retrouver l’autarcie de son enfance : “On faisait les foins, on cultivait le jardin, on cueillait les myrtilles, on savait tuer le cochon.”

 

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Le site www.marcveyrat.fr propose notamment des recettes, des infos sur sa cuisine, ses restos…