Il pleut sur Anvers. Un temps bien belge… Qu’importe! L’office du tourisme de la ville a réuni une belle brochette de journalistes, venus du monde entier pour assister, le 5 octobre dernier, aux World’s 50 Best Restaurants, et entend bien leur faire découvrir les lieux.
Rendez-vous donc dans le lobby du Radisson Blu Astrid, dont les plus belles chambres offrent une vue magnifique sur la gare d’Anvers, inaugurée en 1905… C’est l’auteur, journaliste, importateur de vins et de produits (Swaffou) et foodie notoire, Luc Hoornaert, qui se chargera de la visite. D’origine anversoise, le bonhomme a notamment vécu à New-York ou au Japon.
Les mille et une identités d’Anvers
Premier arrêt à deux pas de la gare. Passée la traditionnelle porte qui marque l’entrée du quartier chinois, on fait étape chez Fong Mei, exceptionnellement ouvert ce matin-là. C’est pourtant le meilleur moment pour déguster des dim sum! Et ceux de chez Fong Mei sont particulièrement bons, notamment les cheung fun (rouleaux de pâte de riz farcis), car préparés à la minute. « En 1979, il y avait un seul magasin qui vendait des poivrons une fois par semaine… Ce sont les Chinois qui ont commencé à importer de plus en plus de produits », raconte Luc Hoornaert, à l’étonnement général.
En fait, Anvers abriterait plus de 175 nationalités différentes et serait la ville avec la plus grande diversité au monde, selon l’office du tourisme… On a un peu de mal à croire qu’Anvers ferait mieux que New York, mais une chose est sûre, c’est la ville la plus cosmopolite de Belgique!
La visite se poursuit à Berchem, chez Sail & Anchor. Si le chef Michael Yates et son équipe viennent d’ôter les mots « British cuisine » de la devanture (pour cause de Brexit…), on vient ici pour le Sunday roast, le meilleur de ce côté-ci de la Manche!
De retour près de la gare centrale, Luc Hoornaert tient à nous faire découvrir Aahaar Delux, un resto indien qui ne paye pas de mine, mais où l’on découvrira la cuisine jaïn. « Une cuisine végétarienne à l’origine du véganisme », explique notre guide. Avec la particularité qu’ici, on ne consomme pas non plus de racines, car leur cueillette pourrait tuer des organismes vivants…
Les deux écoles anversoises
Si la balade s’arrête là, Luc Hoornaert a encore pas mal d’atouts en poche. Comme 5 Flavors, autre institution chinoise qui a déménagé dans le quartier plus branché du ’t Zuid. « Ici, le décor est modeste, mais le chef envoie du lourd! On y mange de la cuisine médicinale chinoise ou des dim sum ludiques préparés à la minute », commente le spécialiste.
À Anvers, il faut aussi découvrir la cuisine juive! « Hoffy’s propose depuis 1985 la quintessence de la cuisine kasher à Anvers », toujours selon le journaliste flamand, qui nous parle aussi d’un nouveau venu, Bokertov, sorte de deli comme à Tel Aviv.
Cette facette cosmopolite de la ville, c’est aussi ce qui réjouit Peyo Lissarague, journaliste français installé à Anvers, qui travaille pour Omnivore, un guide et un festival friands d’adresses qui secouent la scène culinaire française et internationale. Lui ne jure que par I Ro HA, un japonais authentique tenu par un vieux couple nippon, ou Nimmanhaemin, un « formidable thaï ». « Cette influence internationale à Anvers, on la doit au port, mais aussi aux étudiants étrangers venus étudier la mode ou la danse », commente Peyo.
« Mais ce qui marque la scène culinaire anversoise, c’est l’influence de deux chefs. La génération Julien Burlat (ancien étoilé au Dôme, NdlR), c’est celle influencée par la jeune cuisine française. Par des gens comme Grégory Marchand ou Bertrand Grébaut à Paris, avec des adresses comme Nage ou Nathan. Et puis il y a ceux marqués par le chef hollandais Sergio Herman. Pas forcément dans l’assiette, mais dans le type de clientèle friquée qu’ils veulent attirer, le type de musique, la déco lounge… », analyse le Français.
De la jeune cuisine aux institutions
Si le côté bling bling anversois attire peu le journaliste Français, il est touché par des adresses comme Soma, où un couple, Adriana et Frédéric, mêle leurs origines, belgo-grecques pour elle, franco-colombiennes pour lui. Mais aussi par le formidable Schnitzel de Geert Weyn, qui a créé le parfait bistrot de copains. Un ancien du Dôme. Tout comme Victor Avonds, passé aussi par le Frenchie à Londres et qui vient d’ouvrir Victor. « Une cuisine végétale pleine de promesses! », se réjouit le journaliste d’Omnivore. Enfin, Peyo Lissarague a un faible pour Lewis, « une adresse de style plus scandinave, vraiment contemporaine » ou l’inévitable Davy Schellemans et son Véranda.
Les deux spécialistes sont d’accord sur la grande évolution culinaire qu’a connu Anvers ces dix dernières années, celle du passage d’une cuisine bourgeoise à la française à des adresses plus modernes. Mais certaines institutions sont toujours là, comme ’t Fornhuis de Johan Segers « Dans les années 1970, Anvers comptait plus d’étoilés qu’aujourd’hui. Depuis dix ans, après un passage à vide, Anvers fait beaucoup d’efforts pour retrouver la scène gastronomique d’autrefois. Au ’t Fornuis, Johan Segers est le dernier des Mohicans, mais c’est grâce à des types comme lui qu’un Nick Bril ou un Sergio Herman peuvent être là », affirme Hoornaert.
Une institution qui n’a pas forcément été mise en avant durant le 50 Best — tout comme le Ciro’s, excellent bistro ouvert en 1964, qui sert des classiques belges. Sans doute parce qu’Anvers préfère véhiculer une image de modernité et miser sur les nouveaux étoilés…
Une pluie d’étoiles à venir…
Anvers accueille en effet depuis janvier 2021 le nouveau trois étoiles belge, le splendide restaurant Zilte du chef Viki Geunes, niché tout en haut du MAS (Museum aan de Stroom) au nord de la ville. Mais avec l’arrivée, le 5 octobre, du Hertog Jan, l’ancien trois étoiles de Gert De Mangeleer et Joachim Boudens, au Botanic Sanctuary, Anvers pourrait faire un doublé. Dans le même complexe hôtelier luxueux installé dans un monastère du XIIIe siècle entièrement rénové, Jacob Jan Boerma (chef hollandais qui a eu trois étoiles au feu De Leest à Vaassen) et Thomas Diepersloot vont ouvrir le Fine Fleur, encore un potentiel étoilé.
En juin 2020, le Hollandais Sergio Herman (ancien trois macarons au Oud Sluis) a, lui, inauguré Le Pristine, un restaurant à peine ouvert et déjà auréolé d’une étoile, où il propose sa nouvelle cuisine italienne. Tandis que certains prédisent déjà une troisième étoile à Nick Bril et à son The Jane, installé dans une superbe chapelle du début du XXe siècle…
Trois coups de coeur
Mico & Jon
Un couple d’origine hong-kongaise qui fait des étincelles dans un resto branché à quelques pas du MOMU, le musée de la mode. Ici, on ose la fusion, la création et, pour une fois dans un restaurant asiatique, on prend du plaisir jusqu’au dessert…
Rens. www.mico-and-jon.com
Dôme
Reprendre le restaurant de Julien Burlat n’était pas chose facile mais Frédéric Chabbert et sa femme Evangeline ont su comment s’y prendre, en proposant une cuisine gastronomique droite et gourmande, sans trop de fioritures, basée sur des produits de qualité.
Rens. www.domeantwerp.be/en
Bistrot du Nord
Michaël Rewers propose une cuisine de bistrot réjouissante et raffinée dans un quartier décentré du nord d’Anvers. Ici on maîtrise les classiques sur le bout des ongles, comme la tête pressée ou les anguilles au vert, à tomber.£
Rens. www.bistrotdunord.be
Les multiples atouts anversois
Implantée le long de l’Escaut, à 20 km à peine de la frontière néerlandaise, Anvers, ville moteur de la Flandre, a toujours joui d’une position maritime clé. Ce qui lui a permis de devenir, au milieu du XVIe siècle, la plus grande ville et le centre économique des Pays-Bas, mais aussi le premier marché international et la première place bancaire au nord et à l’ouest des Alpes.
Diamants & co
Anvers est aussi connue depuis le Moyen-Âge pour la taille et le commerce du diamant. Un travail historiquement réalisé par les Juifs — Anvers est, après Londres mais devant Paris, le plus grand centre du judaïsme hassidique en Europe —, même si, depuis quelques années, la communauté indienne a pris sa part du marché dans le commerce du diamant.
Du point de vue international, sans rivaliser avec Paris ou Milan, Anvers est aussi l’une des capitales européennes de la mode, avec des designers comme Dries van Noten ou Anne Demeulemeester. Elle a même son musée de la mode, le MOMU.
Anvers, c’est enfin le deuxième plus grand port européen après Rotterdam. Le magnifique édifice signé par l’architecte Zaha Hadid en 2016 pour la Maison du Port, une immense structure à facettes qui surplombe une ancienne caserne de pompiers des années 1920, est déjà devenue l’un des symboles de la ville. Tout comme la main que Silvius Brabo arracha au géant Druon Antigone, qui exigeait un droit de passage sur l’Escaut et tranchait la main des mauvais payeurs… Un épisode légendaire immortalisé par la très belle fontaine signée Jef Lambeaux en 1887, qui trône sur la Grand-Place, et duquel Antwerpen tirerait son nom (« hand », la main, et « werpen », jeter).
Traditions culinaires
La main de Brabo est aussi déclinée en chocolats ou en biscuits dans toutes les chocolateries ou pâtisseries de la ville. Mais ce n’est pas le seul biscuit à faire la joie des gourmands anversois… Les Koffiekkookjes, des pâtisseries variées qui accompagnent le café, sont aussi une des spécialités. Au point qu’on surnomme Anvers de koekenstad, la ville des biscuits.
Après le café, on goûtera aussi à la liqueur d’Anvers aux vertus digestives, à base de 32 plantes et épices, préparée depuis 1863 par la distillerie De Beukelaer.
Le lundi après l’Epiphanie, une autre tradition qui fait battre le coeur des anversois, celle du Verloren Maandag, littéralement le « lundi perdu ». Ce jour-là, sur la table des Sinjoren — surnom des anversois, de l’espagnol señor, héritage de l’époque où la ville faisait partie de l’Empire habsbourgeois de Charles Quint —, se doivent de figurer worsten broodjes et appelbollen, des feuilletés à la saucisse et d’autres emprisonnant une pomme entière.
Les Anversois les commandent dans les meilleures boulangeries de la ville, comme Goossens, la plus ancienne, datant de 1884, ou chez Domestic, la petite chaîne de boulangeries haut de gamme créée par le chef Julien Burlat (ex-Dôme).
Plus d’infos sur www.visitantwerpen.be.