Luca Picchi en train de préparer un Negroni ©Campari
On sait que le Negroni est un cocktail à base de Campari, de gin et de vermouth.
Mais saviez-vous que le Negroni aurait été inventé entre 1917 et 1920 au « Bar Casoni » de Florence?
Aux sources du Negroni
Mardi 24 novembre, rendez-vous était pris avec quelques journalistes à Sesto San Giovanni, dans la banlieue de Milan, au superbe siège du Groupe Campari, conçu en 2009 par l’architecte Mario Botta, pour découvrir l’histoire du « Negroni ».
La visite débute par un tour du musée consacré à la marque, où sont notamment exposées les très belles publicités signées Fortunato Depero, l’artiste futuriste qui a également conçu l’iconique bouteille de Campari Soda en 1932. Au détour de quelques objets vintage, on retient aussi cette bouteille datant de 1920 destinée au marché américain, alors en pleine Prohibition, sur laquelle on peut donc lire: « à usage médical »…
Pour nous embarquer dans cette fabuleuse épopée du « Negroni », qui mieux que Luca Picchi, barman au « Caffè Rivoire » à Florence et auteur en 2015 de « Negroni Cocktail, an Italian Legend »? Plus à l’aise derrière le bar qu’au crachoir, c’est lorsqu’il prépare son cocktail signature qu’on ressent toute la passion de cet homme pour ce cocktail historique. Son « Negroni insolite » est une délicieuse variation où il utilise le principe de percolation, en filtrant les alcools à travers des grains de café!
Un cocktail presque centenaire
Selon les recherches de Luca Picchi, le « Negroni » aurait été inventé entre 1917 et 1920 au « Bar Casoni » de Florence, dont le comte Camillo Negroni était un habitué. Ce jour-là, le comte, qui avait des racines britanniques et avait roulé sa bosse du Far-West à New York, au temps de l’âge d’or du cocktail, commande un « Americano » plus corsé. Premier cocktail italien créé fin du XIXe siècle, l’« Americano » (reflet du rêve américain) n’avait pas de recette figée, simplement composé de vermouth et d’un autre alcool (souvent un amaro, comme le Campari). Le barman Fosco Scarselli s’exécute et ajoute du gin, à la demande de son client aristocrate. Le « Negroni » était né! De nombreux documents attestent cette paternité, comme le témoignage de Fosco Scarselli, qui fut barman jusqu’en 1963. Ou cette lettre du 13 octobre 1920 d’un antiquaire anglais, ami du comte, qui lui conseille « de ne pas boire plus de 20 Negroni par jour » (le cocktail était alors servi dans des verres beaucoup plus petits qu’aujourd’hui…).
« Negroni Cocktail. An Italian Legend », publié en anglais et en italien chez Giunti (222 pp., env. 22€).
Le « Negroni » est ainsi le cocktail dont l’histoire est la plus documentée. Un cocktail qui a connu un succès phénoménal dès sa création qui ne se dément pas aujourd’hui. Les clés de la réussite: des proportions simples, une recette facile à réaliser, un nom qui fonctionne dans toutes les langues et donc facile à retenir, sans compter une versatilité à toute épreuve.
Bientôt sur toutes les tables…
Grâce au succès international du « Spritz » — Aperol est d’ailleurs une marque d’apéritif également dans l’escarcelle du groupe Campari depuis 2003 —, les gens ont découvert l’amertume si chère aux Italiens lorsqu’il s’agit de débuter ou de finir un repas. Et alors que les saveurs amères gagnent du terrain (cf. ci-contre), le « Negroni » a toutes les chances de supplanter l’apéritif vénitien… Si le « Negroni » est si populaire dans tous les bars du monde, c’est qu’il est facile aux barmen d’en imaginer des recettes toutes plus originales les unes que les autres. A l’image de Sofie Ketels, du « Sofie’s Living room » à Saint-Idesbald, qui a remporté, début décembre, la première édition du Campari Bartender Competition avec sa création « The Mistress », à base de Campari, de vermouth Cocchi di Torino et de rhum Appleton Estate infusé à l’orange grillée et au thym fumé. Le tout servi avec des billes de tapioca marinées au Campari…
The Mistress by Sophie Ketels @Campari
Paru en anglais début novembre 2015, « The Life Negroni » venait confirmer le statut iconique de ce cocktail, en évoquant les barmens, les artistes et les stars qui ont fait sa renommée. Un livre qui met aussi en avant la dolce vita italienne, l’art de vivre intimement lié à cette boisson qui n’en finit pas de faire rêver…
Negroni, la recette de Luca Picchi
Ingrédients (pour un verre):
3 cl de Campari, 3 cl de gin (Gordon’s), 3 cl de vermouth rouge (Martini Riserva Speciale Rubino) 1/2 tranche d’orange.
Préparation:
Remplir un verre à Old fashioned de glaçons. Rafraîchir le verre en mélangeant la glace avec une cuillère à cocktail. Vider l’excédent d’eau et ajouter tous les ingrédients. Mélanger de nouveau à la cuillère et ajouter 1/2 tranche d’orange dans le verre.
Tchin!
A Milan, Negroni et Cie
Le mythique « Caffè Camparino » dans la Galleria Vittorio Emanuele II de Milan.
Si le Negroni est né à Florence, à Milan, ville où l’on prend l’apéritif au sérieux, de nombreux bars permettent de déguster des « Negroni » classiques, créatifs et autres variations. Au centre-ville, impossible de passer à côté du Caffè Camparino, créé en 1915 par Davide Campari dans la magnifique Galleria Vittorio Emanuele II. On y grignote l’aperitvo autour d’un « Negroni » traditionnel, tout en admirant l’impressionnante cathédrale gothique de la ville, le Duomo.
Des barmen experts préparent les délicieux cocktails du « Rita »
Dans la très agréable zone des Navigli, aux abords du canal, on goûte aussi au délicieux « Negroni » du Rita, où le twist consiste à ajouter une liqueur à base de chinotto (un agrume ligure). Tandis que non loin de là, au Mag Cafè, on se laisse séduire par un « Milano-Torino », ancêtre du « Negroni » créé en 1860 au « Caffè Camparino ». Présenté ici dans une version qui a remporté la « Campari Competition 2014 », le « Milano-Torino Via Novara » mixe Campari, vermouth, Cynar, bitter à la framboise et brins de romarin, dans un verre dont le bord est décoré d’un mélange de cacao et de sel.
Le « Milano-Torino Via Novara » du « Mag Cafè »
Au speakeasy 1930, on goûte à un excellent « Boulevardier », une variation classique sur le « Negroni » où le gin est remplacé par du bourbon.
Le « boulevardier » du « Speakeasy 1930 »
La promenade se termine avec un « Negroni sbagliato » (littéralement « Negroni manqué»), inventé en 1972 par Mirko Stocchetto au Bar Basso, où son fils le prépare toujours de la même façon, dans des verres à pied gigantesques! Si la légende dit qu’il s’est trompé — difficile de croire qu’un bon barman puisse confondre deux bouteilles si différentes —, c’est plutôt d’un commun accord avec son client qu’il a eu l’idée de troquer le gin contre du Prosecco!
Un gigantesque « Negroni sbagliato » au « Bar Basso ».
L’amer a la cote
Ouvrage publié par Emmanuel Giraud en 2011, « L’amer » n’a jamais eu autant de résonance. Selon une étude récente réalisée auprès de 1000 Belges par la KULeuven pour Campari, l’amer est ainsi devenu la seconde saveur préférée des Belges après le sucré, avec le chicon et le café en tête.
L’auteur a découvert cette saveur malaimée en Italie, où elle est omniprésente. « Là-bas, l’amertume est joyeuse, sociale, évidente. [Elle] est de sortie à chaque repas, aiguillonne les sens, du premier ristretto matinal jusqu’au sombre amaro digestif que l’on sirote, repu, dans la quiétude nocturne », écrit Giraud.
L’amertume est un des marqueurs des poisons de la classe des alcaloïdes, son rejet gustatif, logique, existe déjà chez les bébés. Il faut donc éduquer son goût pour maîtriser cette saveur qui s’acquière souvent avec le temps… Cet ouvrage incite sans nul doute le lecteur à ouvrir son champs de dégustation.
« L’amer », publié par Emmanuel Giraud chez Argol, (104 pp., 12,70€).
Merci de nous faire partager, avec tellement de talent Et d’Intelligence, vos experiences.
Vous lire est toujours un moment tres agreable et enrichissant
EH Ben!!! si vous avez goûtez tous cescoktails j’espère que c’est en plusieurs mois! A quand votre propre cocktail?
Ceci dit, c’est un article intéressant qui nous fait voyager…
Merci beaucoup Philou! C’est un plaisir de vous emmener avec nous dans nos pérégrinations gourmandes.
Merci Eloise! Inventer un cocktail signature ce n’est pas pour tout de suite…
Un bonheur de lire des commentaires aussi érudits sur ce cocktail qui revient en grâce et pourrait bien remplacer l’inévitable mojito (prononcer mogito pour avoir l’air en-dehors du coup – on préfère toujours être en-dehors de coups comme ça…). De là à prendre la place de l’aperol, il y a un monde que ne sauraient franchir les 20° d’alcool qui séparent l’un de l’autre. Difficile, en effet, d’apprécier l’un ET l’autre.