Vingt-deux ans après “Le grand paysage d’Alexis Droeven”, Jean-Jacques Andrien revient en pays de Herve pour dresser un constat amer sur l’agriculture aujourd’hui. Avec le magnifique  Il a plu sur le grand paysage, il signe un documentaire magnifique sur le quotidien des producteurs de lait, victimes oubliées du libéralisme. A voir ce jeudi à 21h05 sur La trois RTBF.

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Le film s’appelle « Il a plu sur le grand paysage ». Il aurait pu s’appeler “Il a pleuré sur le grand paysage”. Les visages que filme Jean-Jacques Andrien en octobre 2010 en Pays de Herve sont en effet marqué d’une profonde tristesse. Les sanglots affleurent souvent, la résignation se lit dans les mines fermées. En accord avec cette image incroyable, triste à pleurer  : le 16 septembre 2009, en pleine crise du lait, quelques dizaines de producteurs préfèrent déverser 3 millions de litres de lait dans un champ à Ciney (l’équivalent de la production journalière de la Wallonie) plutôt que de le vendre à vil prix. Une image forte, bouleversante, celle du désespoir à l’état pur.

Vingt-deux ans après “Le grand paysage d’Alexis Droeven”, qui enregistrait une agriculture en pleine mutation, forcée de se moderniser ou de disparaître, le cinéaste Jean-Jacques Andrien revient en Pays de Herve pour interroger les éleveurs. Tous aiment leur métier mais dressent un constat amer de ce qu’il est devenu. De la paysannerie, on est en effet passé, en un demi-siècle, à une industrie agricole. Ce vieux paysan se souvient de la ferme de son père, avec 25 vaches, autant de cochons, ses arbres fruitiers… Mais les primes à l’abattage sont passées par là, tout comme l’Afsca, qui impose des mesures toujours plus strictes, ne favorisant que l’industrie agroalimentaire et les plus grosses exploitations. Au fil des ans, il a donc fallu abandonner les porcs, se spécialiser, acheter toujours plus de vaches pour vivre. Ou plutôt survivre… Aujourd’hui, certains songent d’ailleurs à la robotisation pour la traite, dans une vision cauchemardesque d’une agriculture futuriste déshumanisée, coupée du lien à la Terre.

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“On nous met toujours plus de normes, de réglementation mais ce sont plus des chaînes d’esclavage, explique cet éleveur. C’est pour nous ligoter dans un système. Ça fait hurler les agriculteurs quand j’en parle, mais je pense que les normes n’ont jamais été aussi strictes et que la qualité alimentaire n’a jamais été aussi malsaine. Les allergies alimentaires ont augmenté de 900  % en 30 ans. On se détourne du lait et du beurre. J’ai l’impression que les consommateurs sentent, d’instinct, que le lait maintenant n’est plus celui de 1980…”

Si le constat est si amer, c’est que l’avenir est bouché pour les producteurs laitiers qui n’ont eu d’autres choix que de se lancer à corps perdu dans la modernisation imposée de leurs installations avec des coûts exorbitants. Tandis que le prix du lait ne cesse de baisser. De quoi décourager, souvent, leurs enfants de suivre la trace de leurs parents. Et l’objectif de l’Union européenne de supprimer les quotas laitiers en 2015 – là encore, ce sont les noms d’Angela Merkel et de José Manuel Barroso qui sont dans le collimateur… – est vécu comme une mise à mort de leur métier. L’horizon est en effet celui d’une libéralisation totale du marché du lait, où le lait wallon sera mis en concurrence avec le lait polonais, chinois, américain… Où l’on mesure que les politiques ultra-libérales ne sont pas seulement injustes, elles sont tout simplement criminelles ! Prêtes à jeter une profession entière dans la misère et à fermer les yeux sur les coûts environnementaux (du transport notamment) au profit de quelques géants de l’agroalimentaire et de la distribution.

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La seule note positive de ce magnifique documentaire est dans la mobilisation provoquée par cette injustice. Le temps de la crise du lait de 2009, les agriculteurs, peu habitués aux mouvements sociaux, se sont mobilisés, ont retrouvé le sens de la solidarité, du combat politique. Espérons qu’ils soient entendus par le pouvoir politique…