« Chateaubriand », « Septime », « Saturne », « Clamato », « Clown Bar »… Paris vibre depuis quelques années au rythme d’une bistronomie 2.0 décomplexée, menée par de jeunes chefs bien formés et créatifs qui bousculent les lignes de la gastronomie.

De Camdeborde à Aizpitarte

Avouons-le. On n’envisage pas un week-end à Paris uniquement pour aller voir une expo au Grand Palais ou flâner sous la coupole des Galeries Lafayette. Si l’on grimpe dans le Thalys, c’est aussi pour profiter de ses bons petits bistrots. Car si la capitale française possède parmi les tables les plus exclusives au monde, animées par des noms mythiques comme Alain Ducasse, Guy Savoy, Pierre Gagnaire, Alain Passard (photo) ou Pascal Barbot, on y trouve aussi quantité de restos pas chers, à l’addition souvent bien plus douce qu’à Bruxelles!

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Mais si Paris est si excitante, c’est aussi grâce à toutes ces jeunes tables qui font bouger la ville et parfois se déplacer les foodies dans des quartiers plus excentrés. Notamment dans le nord-est, où cela bouge désormais du côté de Belleville, Ménilmontant, Bastille ou Nation.

Aux origines de la bistronomie

Les origines de ce mouvement sont déjà anciennes. Il s’inscrit dans la lignée de la « bistronomie », lancée par Yves Camdeborde en 1992, quand il ouvre « La Régalade » au fin fond du XIVe arrondissement. Formé à la cuisine de palace aux côtés de Jean-François Piège et Eric Fréchon sous les ordres de Christian Constant, le jeune chef pyrénéen commet un sacrilège! Au lieu, comme ses petits camarades, de persévérer dans la haute gastronomie et la course aux étoiles, il revient à la cuisine de bistrot, mais en lui appliquant la même exigence en termes de produits et de technique. Aujourd’hui, Camdeborde continue à régaler de ses petits plats canaille au « Comptoir du Relais Saint-Germain » (photo) au carrefour de l’Odéon.

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Dans son sillage, se sont engouffrés de jolis bistrots comme « L’ami Jean » de Stéphane Jégo, « L’assiette » de David Rathgeber (photo), « La Cantine du Troquet » de Christian Etchebest ou encore le « Café Constant »… de l’ancien mentor de Camdeborde, Christian Constant.

Réinventer la cuisine française

Depuis le début de la décennie, sous l’impulsion du Basque Iñaki Aizpitarte au « Chateaubriand » (photo), Paris vibre désormais aux rythmes endiablés de tables que l’on pourraient qualifier de « post-bistronomiques ». De la bistronomie, elles ont conservé l’idée d’offrir une cuisine de produits de haute qualité mais à travers des assiettes plus modernes et aux inspirations plus internationales.

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Souvent formés dans de grandes maisons, ces jeunes talents ont fait voler en éclats les frontières de la gastronomie. Qu’on les appelle bistronomiques ou gastronomiques, qu’ils soient étoilés ou non, n’a aucune importance: chacun dans leur style, ces restaurants ont réussi à imposer la créativité et la personnalité de leurs chefs, de jeunes auteurs qui sont en train de chambouler la cuisine française.

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Les incontournables

Iñaki Aizpitarte

En inaugurant son Chateaubriand en 2006, Iñaki Aizpitarte a, le premier, réinventé la bistronomie. Installé dans un bistrot à la déco ultra-classique de Belleville, le cuisinier autodidacte — jardinier-paysagiste de formation, il n’a débuté derrières les fourneaux qu’à 27 ans, au « Café des Délices » de Gilles Choukroun — sort une cuisine moderne et audacieuse qui ne renie pas le passé.

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Son menu unique à 70€ (135€ avec les vins) débute ainsi par de classiques gougères. Avant de se poursuivre par une excellente morue d’Alcorta vapeur, où transparaissent divinement les origines basques du chef: poivron jaune, oignon de Tropea, citron confit, jus de chorizo… Et de se clore sur un tocino de cielo dans une version revisitée, soit un macaron customisé avec un jaune d’oeuf et du dulce de leche.

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On ne comprend toujours pas l’absence d’un autre macaron, celui du Michelin, pour récompenser ce bistrot 2.0 avant-gardiste… Qui est par contre l’un des chouchous du Fifty Best où, en 2011, Aizpitarte devançait ses pairs largement étoilés comme Pascal Barbot, Joël Robuchon ou Alain Ducasse en se hissant à la 9e place — même s’il a depuis dégringolé à la 93e place…

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En 2010, Aizpitarte montrait à nouveau le chemin à la jeune garde en inaugurant le Dauphin, une seconde adresse située à deux pas de son restaurant amiral, où il fait ce qu’il fait le mieux: travailler les beaux produits sous la forme de tapas inspirés, arrosés de jolis flacons.

Sven Chartier

A 31 ans seulement, Sven Chartier est à la tête de l’une des tables les plus en vues de Paris: Saturne*. Après deux années et demi passée chez Passard à « L’Arpège »***, le jeune homme a voyagé en Asie avant de revenir en France pour diriger les les cuisines du « Racines » de Pierre Jancou. Et en 2010, à 24 ans, il ouvre son propre restaurant en association avec Ewen Le Moigne, sommelier passionné de vins nature.

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Chez « Saturne », l’esprit est scandinave, chic mais épuré, dans la déco comme dans l’assiette. Une cuisine tendance, locavore, qui plait pour le coup à tous et même en haut lieu, puisque le « Saturne » a décroché une étoile en 2016.

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L’attente était sans doute un peu trop élevée mais ce soir-là, ça sentait un peu le déjà vu et certaines propositions manquaient de peps. Le menu carte blanche 5 serv.  (85€/150€ avec les vins) proposait néanmoins d’excellents cèpes en escabèche aux haricots coco, beurre fondu et origan frais. Ou un très gourmand homard breton, lard de Bigorre, pêche braisée, poivron corne de taureau.

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Mais là où le jeune chef a frappé fort, c’est avec l’ouverture en juin 2014 du Clown bar, à côté du Cirque d’hiver. Dans ce « sophistroquet » de quartier au caractère bien trempé, comme on dirait au Fooding (qui a largement soutenu l’émergence de cette nouvelle génération de chefs), on est tout autant emballé par la déco — avec sa frise de clowns art nouveau datant de 1920 — que par les assiettes à partager inventives et maîtrisées, signées Sota Atsumi (ex-« Vivant »). Inoubliable cette cervelle de veau ultra-fondante servie avec une vinaigrette au ponzu (12€)!

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Bertrand Grébaut

Avec « Septime »* et « Clamato », on dit banco! Venu à la cuisine sur le tard, la vingtaine passée, diplôme de la prestigieuse Ecole Ferrandi en poche et un passage chez Alain Passard et un voyage en Asie plus tard, Bertrand Grébaut a rapidement décroché une étoile chez « Agapé ». Avant de devenir le chef fascinant de deux adresses à ne surtout pas manquer à Paris.

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Depuis son ouverture en 2011 rue de Charonne, Septime* est littéralement pris d’assaut. Il faudra donc s’armer de patience (et réserver des semaines à l’avance) pour espérer décrocher une table… Mais une fois attablé, ce n’est que délices. Et l’on se dit que Grébaut a réussi à créer un restaurant gastronomique décontracté et abordable (menu unique 6 serv. à 80€; 55€ pour les vins) comme on en trouve New York, à mille lieues des codes classiques français.

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Dans l’assiette, la créativité déborde et la légèreté est toujours au rendez-vous, tout comme la gourmandise. On a encore en mémoire ce cœur de salade, réveillé par des salicornes, des épinards sauvages et un superbe beurre blanc au savagnin et caviar d’Aquitaine.

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On se souvient, aussi, de ce magnifique morgon 2009 du Domaine Chamonard-Chanudet (68€). Et l’on comprend pourquoi « Septime » a intégré le Fifty Best. Classé cette année à la 35e place, Grébaut a également décroché le prix du restaurant le plus « durable », notamment parce qu’il utilise 99% de produits français.

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Des étincelles dans les yeux, on en a eu aussi chez Clamato, le convivial bistrot de la mer que Grébaut a installé juste à côté. Où l’on vient, sans réserver, grignoter joyeusement de la seiche crue d’Oléron au sésame, piment, shiso et menthe (14€).

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Ou des couteaux au beurre d’herbes et amandes de Sicile (13€). Dieu que c’est bon et pas cher!

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Reste maintenant à essayer, à quelques pas de là, Septime La Cave

David Toutain

Avec son restaurant éponyme situé dans le chic 7e arrondissement de Paris, David Toutain* ne joue pas tout à fait dans la même catégorie, même si l’on est loin des adresses gastronomiques françaises ampoulées. On est ici dans un lieu élégant, où l’on sert une cuisine contemporaine raffinée et recherchée, avec une attention toute particulière accordée aux arts de la table et au service. Mais où l’on a choisi de ne pas mettre de nappe et de véhiculer une ambiance plus chaleureuse.

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Formé chez lui, dans une école hôtelière en Normandie, le trentenaire est passé par un étoilé local avant d’égrainer les grandes maisons: Bernard Loiseau, Alain Passard, Marc Veyrat et même le très tendance « Mugaritz » au Pays basque espagnol. Un parcours émaillé aussi d’un tour du monde qui a sans nul doute fini de façonner le palais et les techniques du chef. Seul en cuisine chez « Agapé Substance » en 2011, il ouvre enfin son propre restaurant fin 2013.

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Toutain pratique une cuisine du goût, travaillant de sublimes produits de saison avec une relative simplicité ou plutôt une évidence, car jamais le chef ne tombe dans la démonstration. Chaque assiette laissant transparaître sa passion. Et c’est peut-être là que tient toute la différence…

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Sa marque de fabrique: une cuisine naturelle et subtile. Comme avec cette simple tomate brûlée, garnie d’amandes fraîches, de fraises, de poudre de basilic, d’oeufs de saumon, d’aneth et de persil. Ou encore cette intrigante anguille fumée, qui se faufile dans une mer de sésame noir acidulée par quelques dés de Granny Smith.

Au dîner, on choisira entre le menu coquelicot à 110€ ou reine des prés à 140€ (70 à 100€ pour la sélection de vins). A l’issue duquel on se demandera pourquoi le Michelin ne lui a pas encore  accordé une seconde étoile…

Autres valeurs sûres

Un Frenchie à Paris

Dans le Sentier, Grégory Marchand règne en maître sur la rue du Nil, où il a ouvert son Frenchie en 2009. Formé au « Fifteen » de Jamie Oliver à Londres (où il décrochera son surnom et une étoile au « Frenchie ») mais aussi à Hong Kong et New York, à la géniale « Gramercy Tavern », il y pratique une cuisine fortement marquée par ces voyages.

C’est encore plus vrai juste en face au Frenchie Bar à vins, où son nouveau chef new-yorkais propose, pour accompagner de bons petits vins bio, de jolies petites assiettes à l’américaine à une clientèle qui l’est tout autant… Un peu plus loin dans la rue, on trouve encore le fast-food américain Frenchie to Go (hot dog, Reuben sandwich, pastrami, pulled pork, lobster roll…), ainsi que le Frenchie Caviste.

Et Marchand a déjà fait des petits, dont le Catalan Nicolau Pla Gomez. Lequel a été choisi par la bande du « Little Red Door » (un des meilleurs bars à cocktails de Paris) pour développer la carte de leur Bonhomie, ouvert il y a un an du côté de Strasbourg-St Denis. Déco classieuse et lumineuse, grands bars, tables confortables… L’endroit a de la gueule et la cuisine envoie des assiettes néo-méditerranéennes bien senties à prix doux.

Ledeuil & co

Roi parisien de la cuisine fusion entre la France et l’Asie, William Ledeuil est à la tête de Ze Kitchen Galerie*, KGB (pour « Kitchen Galerie Bis ») et depuis le printemps de Kitchen Ter(re), petite adresse du boulevard Saint-Germain spécialisée dans les pâtes (photo).

C’est aussi un passeur. C’est ainsi chez lui qu’a été formé Romain Tischenko. Sorti vainqueur de la première édition de « Top Chef », le gamin en a profité pour ouvrir, aux pieds des Buttes Chaumont, Le galopin, petit bistrot aux petits plats simples et efficaces et au rapport qualité-prix imbattable.

Restaurant « Le galopin » à Paris Xe de Romain Tichenko

Dans son minuscule et regretté « Rino », Giovanni Passerini s’est imposé grâce à sa cuisine italienne Inspirée. Formé chez Passard et Aizpitarte, il officie depuis deux ans dans un lieu plus confortable, le Passerini, à Bastille, où il séduit toujours (le côté bohème en moins) avec ses petites assiettes résolument transalpines, qui lui ont permis de décrocher le prix du meilleur chef au Guide Fooding 2017. A côté, son Pastificio Passerini propose pâtes fraîches et produits fins italiens.

Les jeunes pousses

Fraîchement déménagés rue de Cotte dans le XIIe arrondissement, Chiho Kanzaki et Marcelo Di Giacomo sont en train de se faire un nom chez Virtus.  Elle est Japonaise, lui Argentin et tous deux sont des anciens du « Mirazur »** de Mauro Colagreco à Menton. Toutes ces origines et ces influences se bousculent harmonieusement dans leurs petits plats pleins de peps.

Dans l’agréable rue du Cherche-Midi, Sauvage est une « cave à manger » comme Paris en raffole. Au menu de ce micro-local branché attirant une faune 100% parisienne, des vins (très) nature et la cuisine en mode impro de Sébastien Leroy, inventive, juste et gourmande!

Fulgurances gastronomiques

Enfin, impossible d’évoquer ces tables qui font bouger Paris sans parler de Fulgurances, revue en ligne qui s’est fait un nom grâce à son magnifique mook bilingue français-anglais « Itinéraires d’une cuisine contemporaine » (quatre numéros depuis septembre 2014), qui part à la recherche de jeunes chefs innovants partout dans le monde. L’équipe a décidé de passé de la théorie à la pratique en lançant « Les seconds sont les premiers », des soirées mensuelles qui mettaient à l’honneur les seconds de grands chefs. Depuis 2 ans, le concept se décline chez Fulgurances l’adresse.

Dans l’esprit du « Carrousel » londonien, mais avec des résidences plus longues, ce joli bistrot accueille de jeunes chefs étrangers qui viennent ici cuisiner pendant quelques mois en attendant d’ouvrir leur propre restaurant. En ce moment et jusque fin décembre, c’est l’Australien Sebastian Myers qui est aux manettes.

Installé à Londres depuis 6 ans, où il s’est fait la main aux côtés du Portugais Nuno Mendez (d’abord chez « Viajante »** puis à la « Chiltern Firehouse »), celui-ci semble inspiré par Paris! Son lunch à 19 ou 24€ est juste incroyable d’imagination et les assaisonnements sont canon.

Tandis que l’on adore la sélection de vins nature proposée par Pierre Buffet, qui s’occupe depuis mai de la cave à vins Fulgurances en face située, on l’aura compris, juste de l’autre côté de la rue Alexandre Dumas, près de Nation.

Ah Paris! A peine rentrés qu’il serait déjà l’heure d’y retourner. La scène culinaire parisienne est décidément bourdonnante. On parle déjà du Servan, Carbon, Elmer ou Orties

Cet article est paru dans le « Trends-Tendances »
du 23 novembre 2017

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