Installée dans le très vivant quartier de la Bastille, voilà l’une des plus belles nouvelles tables de Paris. Dans cette brasserie moderne cossue, c’est la cuisine qui occupe toute la place. On prendra dès lors soin de réserver au comptoir, afin d’échanger directement avec le maître des lieux: Bruno Verjus. Ancien blogueur (du site « Food Intelligence ») et critique gastronomique, celui-ci a décidé de passer de l’autre côté du miroir en ouvrant sa très chic « Table », qui décrochait haut la main sa première étoile Michelin en février dernier.
Un autodidacte de génie
Chef autodidacte, Verjus pratique une cuisine instinctive, avec comme leitmotiv l’expression la plus pure possible de l’identité de produits d’exception, dont il connaît personnellement chacun des artisans. Il faut l’entendre parler amoureusement de ses petits pois, une variété du XIXe siècle originaire du Lincolnshire, cultivée à Saint-Rémy-de-Provence par son copain Sylvain. Au début du printemps, minuscules, tendres, ces petites merveilles cueillies la veille éclataient en bouche, simplement agrémentées de zestes de pamplemousse, d’éclats de pistaches et d’un beurre demi-sel au lait cru parfumé à l’angélique. On est en extase face à la sobriété et l’évidence de cette entrée (22€).
Mais c’est toute « La carte et le territoire » (en hommage mutin à Houellebecq) de Bruno Verjus, très courte et imprimée sur du papier de récup’ de carte topographique, qui est un enchantement.
Très mature, le quinqua originaire de Roanne (comme la famille Troisgros) sait se mettre en retrait derrière ses ingrédients, d’une fraîcheur exceptionnelle. Comme ce formidable maigre sauvage de l’Île-d’Yeu (49€) ou ce chevreau de lait des Pyrénées de la ferme Ixuribeherea à Ayherre (39€). Infusé en vapeur d’herbes sauvages, le poisson est déposé sur une mousseline froide de petits pois, avec quelques févettes crues, des œufs de turbot semi-séchés comme une poutargue et de belle coques pêchées à pied à Utah Beach.
Que l’on retrouve également aux côté de l’épaule de chevreau, simplement grillée au herbes sauvages et rehaussée d’un jus court.
Une technique discrète
Si le produit prime chez Verjus, la technique, bien que discrète, est en fait très présente. La preuve avec ces premières morilles (39€), revenues au sautoir dans une sauce savante au vin jaune, crème crue, eau de mer et jaune d’oeuf osmosé, assaisonnée de fèves crues de cacao Criolo et de poivre à queue sauvage du Bénin.
En vrai cuisinier, Bruno Verjus flatte la gourmandise de ses clients jusqu’aux desserts, exceptionnels. Il rend ainsi hommage au grand Alain Chapel en reprenant la recette de tarte aux pralines roses mise au point par Henry Cornil pour le maître de Mionnay (14€), présentée ici avec une glace à l’oseille fraîche. Aussi bon qu’à Lyon!
Des desserts de compétition
Mais on craque complètement pour son riz au lait (14€), qui allie riz bombita d’Albufera espagnol, lait cru de rouge des Flandre, huile d’olives cultivées sur terre non irriguée à Teruel en Aragon et une crème glacée au citron noir loumi d’Iran, miel et yaourt de brebis.
Là où sa mousse au chocolat grand cru porcelana du lac Maracaibo au Vénézuela nous emporte dans un tourbillon de décadence (16€). Ce chocolat amer signé François Pralus (chocolaterie originaire de Roanne) est assaisonné d’huile d’olive, de nacre de sel mais surtout proposé dans une étonnante crème anglaise infusée au gochujang (pâte de piment coréenne)! Une audace payante qui résume à elle seule la philosophie de Verjus, chef sans oeillères qui a transcendé son absence de formation par son amour des produits et sa connaissance de l’histoire de la gastronomie française. On s’incline…
Cet article est paru dans le « Trends-Tendances » du 9 août 2018
Envie d'y goûter?
- Adresse: 3 rue de Prague, 75012 Paris, France.
- Cuisine: française.
- Cadre: brasserie chic.
- Cave: belle carte.
- Terrasse: non.
- Parking: non.
- Rens.: www.table.paris ou +33.1.43.43.12.26.
- Ouverture: fermé samedi midi et dimanche.
L'avis de La fille & du Garçon
Le garçon: « Bien sûr, c’est cher 22€ pour une assiette de petits pois mais franchement, ce sont les meilleurs que je n’ai jamais mangé. Meilleurs encore que ceux du jardin… »