Est-ce l’effet Brusselicious (l’année de la gastronomie bruxelloise) ? La cuisine envahit en tout cas les musées de la Capitale cet été. Depuis le 15 mai dernier, les musées royaux d’Art et d’Histoire et des Beaux-Arts se sont ainsi associés pour mettre sur pied l’expo en deux temps. Bon appétit!.

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 “Le roi boit”, Jacob Jordaens (1593-1678).

Au Cinquantenaire, il est question d’appréhender l’alimentation dans ses dimensions historique et anthropologique, à travers la présentation de 340 pièces. On est ainsi accueilli par le très beau charriot de glacier “Bij Joseph” de 1895, qui témoigne de la popularisation de la crème glacée dans la seconde moitié du XIXe siècle. Avec ses cuves en cuivre pour conserver la glace, son piano mécanique Mazzoletti et son éclairage à acétylène pour les soirées d’été, il fait de l’ombre à nos petites camionettes actuelles. D’autant qu’il était capable de désservir les régions de Louvain, Bruxelles, Wavre, Eghezée, Tirlemont et Liège !

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Située au sous-sol, l’expo mérite que l’on s’arrête en profondeur sur ses panneaux explicatifs, au risque de passer à côté de la richesse de la thématique. Tout débute (vase à blé égyptien de 2450 ans av. J.-C. à l’appui) avec les céréales, qui constituent la base de l’alimentation humaine depuis le Néolithique. Mais tout l’artisanat lié à la nourriture est envisagé : pot à cuire la saumure de la fin du Ier millénaire retrouvé à La Panne, jolie verseuse à nuoc-mâm vietnamienne (XII-XIIe s.), moules à beurre et planches à spéculoos en bois des XVIIIe et XXe… Sans compter la richesse de l’univers du haricot et de la courge dans l’ère amérindienne, avec notamment de beaux vases en terre cuite péruviens du Ier millénaire apr. J.-C.

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Momie de blé, en provenance de Cheikh Fadl (Cynopolis) – Époque romaine.

Mais c’est dans sa salle consacrée aux boissons (thé, café, chocolat, vin, bière, alcools…) que l’exposition est la plus riche, mettant notamment l’accent sur leur dimension sacrée. Où un calice des Pays-Bas méridionaux du XVIe côtoie une coupe à libation étrusque (600 av. J.-C.), un canthare à Dyonisos (300-250 av. J-C.) ou un service à mélanger et servir le vin de millet chinois (XII-XIe s. av. J.-C.).

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Cratère en calice grec (500 av. J.-C.).

Côté profane, un service à vin en bronze des côtés phéniciennes du VIe s. av. J.-C., un très beau cratère en calice grec (500 av. J.-C.), qui servait à mélanger le vin et l’eau, ou des étiquettes à amphores égyptiennes (1 300-1100 av. J.-C.) témoignent du raffinement depuis toujours lié au service du vin. Tout comme ces délicats verres de la manufacture de Blumenbach en Bohème (1925), ce magnifique calice en verre façon Venise des Pays-Bas de la 2e moitié du XVIIe ou encore ces magnifiques verres à vin signés René Lalique (1860-1945).

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Superbes verres à vin signés René Lalique.

La visite peut se clore sur une tradition bien de chez nous, celle du genièvre et du pékèt, et sur une interrogation plus sérieuse : nous qui vivons à l’heure du plastique et du fast-food, quelle image laisserons-nous à la postérité quand sera organisée une telle exposition dans quelques siècles ?

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Corne à boire en verre de la région bruxelloise, fin VIe-début VIIe siècle.

Au Musée d’Art ancien, la surprise est moins grande puisque la seconde partie de l’exposition “Bon appétit !” revisite la collection permanente. Mais le plaisir est intense… Au gré des salles, Liesbeth De Belie et Dominique Maréchal ont épinglé 18 toiles. Le voyage à travers les siècles commence au XVIe avec “La cuisinière” de Pieter Aertsen (1559), qui côtoie un très beau “Jésus chez Marthe et Marie” de Joachim Beuckelaer (1565), où le thème religieux est prétexte à une description d’une cuisine de l’époque, avec ses volailles à plumer et ses quartiers de viande embrochés.

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 “La cuisinière” de Pieter Aertsen (1559).

Dans la salle des Brueghel, le fameux “Combat de Carnaval et de Carême” regorge de détails gourmands. Tandis qu’avec “Le roi boit”, Jacob Jordaens (1593-1678) nous montre que la tradition de la galette des rois est très ancienne. Tout comme celle du cougnou, dont on découvre un très bel exemplaire, avec ses écus colorés en terre à pipe, dans une nature morte d’Hans Francken (1581-1624), aux côtés de petits pains, crêpes, gaufres, miel et autres délices de Noël.

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« Nature morte d’hiver aux crêpes, gaufres et pain de Noël », Hans Francken, huile sur bois (1581-1624).

La nature morte est évidemment le genre idéal pour appréhender la table de nos ancêtres. La délicate composition de Maerten Boelema de Stomme autour d’une tête barbue (1644) et le riche retour de chasse de Willem van Aelst (1667), avec sa magnifique gibecière en bleu outremer et fils dorés, contrastent avec la frugalité du “Repas champêtre” attribué à Hieronymus van der Mij (1687-1762), où une famille modeste se contente de pain de seigle, de fromage et de plie séchée. L’expo se termine avec 8 toiles du XIXe, d’où se détache la grande sobriété du “Bénédicité” (1861) de Charles Degroux, l’un des premiers représentants belges du réalisme social qui inspirera Van Gogh pour ses célèbres “Mangeurs de pommes de terre”.

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« Nature morte à la tête de barbue et coupe nautile », Maerten Boelema de Stomme (1644).

Nettement plus modeste, l’exposition Tables en majesté au Musée Belvue de la Fondation Roi Baudouin relit, elle, le faste déployé par la monarchie lors de ses dîners de gala. Pour ce faire, quatre tables sont reconstituées. Celle du banquet de mariage de la princesse Louise (1875), tout en argenterie, se fait austère, alors que celle du dîner en hommage au haut fonctionnaire du Congo Edmond Van Eetevelde (1897) est tout en raffinement. Argenterie des frères Wolfers, porcelaine de Limoges aux motifs floraux et verres du Val Saint-Lambert ont accueilli un menu 12 services concocté par le chef du “Chien vert”, célèbre restaurant de l’époque.

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Mais les tables du XXe n’ont rien à envier à celle du XIXe en termes de faste. Durant 6 mois, quelque 135 000 invités se succéderont au Belvédère à l’occasion de l’Expo 58 pour découvrir le génie du jeune Pierre Romeyer. Pour cette occasion, Wolfers Frères a fourni un service d’argenterie de 1 000 pièces d’une valeur d’1,3 million de francs belges !

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A côté de ce classicisme, explose la modernité de la salle à manger Gioconda, imaginée par Philippe Wolfers pour l’expo internationale des Arts décoratifs et industriels de Paris en 1924. Un chef-d’œuvre de l’Art Déco belge où n’a jamais été servi aucun repas…

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Agrémentée de fac-similés de menus de gala servis entre 1853 et 1959, cette petite expo permet également de prendre conscience de l’évolution des arts de la table liée au passage, au cours du XIXe siècle, du service à la française (tout était apporté en même temps à table) au service à la russe, où l’ordre des plats et la recherche de perfection gastronomique prennent de l’importance…

Envie d’y faire un tour?

  • “Bon appétit”, jusqu au 16/9 au Musée du Cinquantenaire (4-6-8 €) et au Musée d’art ancien (2-5-8 €). Guide du visiteur gratuit.
    Rens. : 02.741.72.11 ou www.mrah.be et 02.508.32.11 ou www.fine-arts-museum.be.
  • “Tables en majesté”, jusqu’au 9/9 au musée Belvue. Entrée gratuite.
    Rens. : 070.22.04.92 ou www.belvue.be.