Timides et modestes, les Français Nicolas Scheidt et Nicolas Darnauguilhem ont importé à Bruxelles une cuisine bistrotière gastronomique tout à la fois créative et conscientisée.

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A gauche, Nicolas Darnauguilhem, à droite, Nicolas Scheidt
Reportage photos: Jean-Christophe Guillaume 

Ils ne partagent pas seulement le même prénom, Nicolas Darnauguilhem et Nicolas Scheidt partagent aussi une même philosophie de la cuisine. Le premier est Haut-Savoyard, formé à l’école hôtelière de Genève. Il a ouvert le “Neptune” il y a un peu plus d’un an. Le second est Alsacien, formé à Londres. Il a quitté son resto parisien pour ouvrir “La Buvette”. Avec leurs micro-restos, tous deux ont offert à Bruxelles deux de ses tables les plus enthousiasmantes, grâce à une approche décomplexée de la gastronomie.

Darnauguilhem a œuvré dans le premier resto bio de Genève, ouvert en 1986. Là, il a été marqué par la cueillette sauvage et urbaine. Parti faire son droit à Londres, Scheidt s’est laissé gagné par une passion dévorante pour la cuisine. Chez Jamie Oliver, il apprend la saisonnalité des produits, à privilégier les légumes, des choses incontournables aujourd’hui mais qui, à l’époque, étaient loin d’être à la mode. Dans leur formation respective, ils ont développé une approche différente de la cuisine, libérée des codes, spontanée. Une cuisine qui, parfois, atteint ses limites car il manque chez ces deux-là l’expérience des grands chefs… Comme d’autres cuisiniers de leur génération, ils ne sont en effet pas passés chez un Passard ou un Gagnaire. Mais ce qu’ils perdent en technique, ils le gagnent en liberté !

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Tous deux partagent un projet de resto identique. “Si on ouvre son resto, explique Scheidt, c’est parce qu’on n’est pas bien dans le resto des autres.” Darnauguilhem acquiesce. “L’idée, c’est de tout remettre à plat, de retrouver une liberté qu’on pensait inaccessible dans les restos des autres. Cela explique certains travers dans lesquels on tombe nécessairement au début : manque de matériel, d’organisation. On s’est tous les deux formés avec l’ouverture de nos restaurants. C’est à la fois une approche très personnelle et évolutive du métier.”

Le chef de “La Buvette” enchaîne. “Je voulais une certaine nudité dans l’assiette et dans la salle, toucher à l’essentiel. Proposer une cuisine franche, directe. Mais c’était un idéal. Car cette cuisine essentialiste, je mettrai des années à l’atteindre. ”

De la même génération, ces deux garnements ont en commun une même approche conscientisée de la cuisine, mettant notamment l’accent sur la saisonnalité des produits. “Dans la saisonnalité, il n’y a pas d’ennui, explique Scheidt. Moi, je fais ça pour m’amuser. Faire le même plat toute l’année, c’est la dépression assurée. L’idée, c’est d’être réactif par rapport aux produits qui arrivent. Après, il faut vraiment se calmer sur les quantités de viande. C’est la prochaine étape. On doit prendre conscience des implications de notre métier sur la santé, l’environnement. En cuisine, on pollue énormément : C’est super énergivore, avec une quantité hallucinante d’emballages plastiques… C’est la folie !”

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Nicolas Scheidt sur la scène d’Omnivore Bruxelles en mars 2012

“Un menu unique qui change tous les jours, c’est une liberté que l’on s’octroie”, précise Darnauguilhem. Lequel, très free style, quelques semaines avant de lancer son “Neptune”, pensait ouvrir un bar à vins ! “C’était un peu de l’impro. J’ai jamais été chef nulle part… Mais c’était clair, si j’ouvrais un restaurant, c’était aussi pour véhiculer des idéaux. J’ai toujours été un peu militant écolo. Il fallait jouer avec les saisons, c’est évident, mais aussi amener les gens à manger local et bio. Qu’on travaille avec ce genre de producteurs, c’est écrit nulle part sur la carte, mais ça se ressent dans l’assiette. On a un discours plus percutant et persuasif. On est des acteurs importants, en se faisant plaisir et en gardant un endroit plus ou moins démocratique.”

Rester abordable (une quarantaine d’euros pour un menu dégustation) fait en effet partie intégrante du concept du “Neptune” et de “La Buvette”. “J’ai quand même envie de relativiser, nuance Scheidt. Quand on vient chez Nico ou moi, c’est quand même cher. Moi, mon idée première, c’était que mes potes viennent manger. Mais mes clients, ce sont des gens qui ont du fric. Bien sûr, ce sont des tickets qui sont bien en dessous de bien des restaurants gastronomiques mais il y a une vraie exigence dans l’assiette, dans le choix des produits.”

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Même s’ils sont à la tête de petits restaurants, l’exercice n’est pas toujours facile pour autant. “On met beaucoup de volonté, on y passe des heures. Il faut avoir le moral bien accroché”, explique Nicolas Darnauguilhem, qui ressent la pression de la clientèle et de la critique. “A “La Buvette”, tout ce qui sort sur l’assiette, c’est moi qui l’ai fait, s’enflamme Nicolas Scheidt. Quand j’arrive le matin, je ne sais pas ce que je vais faire ! Je ne peux pas déléguer… Ensuite, je n’ai pas l’impression d’être assez mûr en tant que chef ! J’ai vraiment encore l’impression de me former… A “La Buvette”, c’est vraiment ma cuisine. Je peux pas lâcher ça. C’est un laboratoire, un work-in-progress.”

Heureux d’être installés à Bruxelles, tous deux sont satisfaits des produits qu’ils trouvent ici, même si c’est plus difficile de se fournir localement en viandes ou en poissons… “Il y a de bons produits. Je les trouve différents, donc séduisants, estime Scheidt. Les produits locaux sont déconsidérés. Souvent les Belges ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont d’habiter la Belgique ! Il y a une diversité, une richesse assez époustouflante. Pour avoir bossé à Paris, je trouve que les légumes sont vraiment mieux ici.” Darnauguilhem préfère mettre des personnalités en avant. “Mes légumes, je les achète chez Yo de Beule et Vincent Cantaert, de véritables orfèvres. Si je suis implanté en Belgique géographiquement c’est grâce eux.” Au-delà des produits, les deux hommes ont trouvé à Bruxelles un vrai art de vivre. “Le lien entre les gens, tes voisins, tes nouveaux amis, tes fournisseurs, c’est quelque chose que j’avais oublié à Paris”, s’enthousiasme Scheidt.

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S’ils se sont ancrés dans le terroir belge, ils sont marqués par leurs voyages, notamment en Asie. “Le choc, c’est toujours le Japon. Après, il y a le Vietnam, la Chine, qui est absolument incontournable au niveau des textures. Moi, j’intègre les techniques et les ingrédients. Après, le truc mystérieux, c’est que j’ai beau faire du chinois ou du japonais, ça aura toujours le goût de la cuisine de ma grand-mère à Isenbourg en Alsace. Il y aura toujours un truc, le côté un peu rustique, rassurant”, estime Scheidt. Son comparse enchaîne. “Le Japon, c’est la claque. Mais je suis aussi intéressé par les cuisines d’Asie mineure, d’Orient… La cuisine est fascinante lorsqu’elle est implantée géographiquement et culturellement, quand elle véhicule l’histoire d’un peuple, d’une région, d’une famille…”

Les deux hommes partagent aussi un intérêt particulier pour le vin. “Je trouve qu’au niveau des structures aromatiques, on atteint des perfections et des sensations qui ont peu d’égal dans la cuisine”, dit Darnauguilhem, qui a travaillé comme sommelier au “Bistrot du Mail” et chez “Inada”. “On est une génération de chefs qui ont des vins qui leur ressemblent et qui ressemblent à leur cuisine, ajoute le patron de “La Buvette”. Dans le vin, il y a beaucoup d’autodidactes, des gens qui essayent de sortir des poncifs, de schémas de pensée qui ont un peu emprisonné la manière de vinifier pendant de trop nombreuses années. Il y a des gens qui essayent de casser les codes, comme il y a une nouvelle génération de chefs qui ont essayé de le faire. C’est en ça que les nouveaux vignerons ressemblent aux nouveaux chefs. Même si, après, on peut regretter une certaine uniformisation. On est tellement marqué par ça qu’on a tendance à tous avoir les mêmes vins. Mais avec cette cuisine-là, les vins de nos parents, ça marche moins bien.”

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Bien que possédant leur personnalité propre, le “Neptune” et “La Buvette” sont des endroits frères. C’est en effet une même approche de la restauration qui s’en dégage. Si Scheidt et Darnauguilhem refusent le terme galvaudé de “bistronomie”, ils ont pourtant bien importé à Bruxelles le principe de ces petits bistrots gastro qui fait fureur à Paris. Pour Darnauguilhem, ces similitudes s’expliquent facilement. “Le fil conducteur est hyper simple. On est tous de la même génération, on a tous démarré sans thunes. On a tous pris des endroits chouettes, plein d’inconvénients de gestions. Nous, en cinq plats, on doit nourrir, faire voyager et peut-être un peu rêver. On travaille les mêmes produits, au même moment, avec les mêmes contraintes, avec les mêmes influences culturelles…” On propose le même deal aux gens, conclut Scheidt   Venez chez nous, c’est un peu pourrave mais c’est sympa et on fait le maximum pour que l’assiette soit top !  ”

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Le Neptune

Près de la place Flagey, le petit restaurant de Nicolas Darnauguilhem propose un lunch 3 plats à 25 € et menu unique à 43 €.

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La Buvette

En son petit bistrot saint-gillois, Nicolas Scheidt propose une cuisine inspirée et savoureuse selon ses envies.

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Le café des spores

Juste en face de « La Buvette », Nicolas Scheidt continue de décliner le très chouette concept du « Café des spores »: une cuisine uniquement centrée sur les champignons…

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Un même pain

Pour leur pain, les deux chefs français ont choisi le même fournisseur, le Saint-Aulaye, l’excellente boulangerie-pâtisserie ixelloise.

  • 4 rue Jean-Chapelié. 
Rens. 02.345.77.85 ou www.saintaulaye.be.
  • Autre adresse,  consacrée au pain, “Le fournil du Saint-Aulaye”
    30 rue Américaine 
1050 Ixelles.
    
Rens : 02.538.48.15.

Les vins

Pour la sélection de vins nature, au “Neptune”, on travaille notamment avec l’ancien sommelier de l’excellent “Dôme” de Julien Burlat, Wouter de Backer, premier sommelier de Belgique en 2007 (www.terrovin.be). Mais aussi, comme à “La Buvette”, avec Basin (www.basin-marot.be) et Titulus Pictus (www.titulus.be).

Le beurre

Les deux lascars utilisent les deux beurres les plus en vogue du moment, et tous deux excellents. Nicolas Scheidt a opté pour le beurre Bordier (www.lebeurrebordier.com) et Nicolas Darnaughuilem pour le Beillevaire (www.fromagerie-beillevaire.com).