Réunis à Séville dimanche et lundi, quelque 150 membres des Grands chefs Relais & Châteaux, l’une des associations gastronomiques les plus importantes au monde, ont apporté, mardi, leur soutien à l’initiative hexagonale d’inscrire la gastronomie française au Patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco, comme bien immatériel.
Voilà le feuilleton qui agite le monde de la gastronomie depuis plus d’un an. La cuisine française doit-elle être inscrite au Patrimoine mondial de l’humanité? Pourquoi pas? La pizza napolitaine a bien eu droit en Italie à une protection. Ceci dit, n’y a t-il pas un danger dans une telle démarche de scléroser encore un peu plus une gastronomie française en recul, en tout cas médiatiquement, depuis quelques années. S’il faut concurrencer désormais l’Espagne et l’Angleterre, qui ont entamé une véritable révolution grâce aux innovations de la cuisine moléculaire, c’est sans doute plutôt en regardant vers l’avant que vers l’arrière qu’il faut procéder.
Une autre question intéressante, soulevée en Italie il y a quelques années, pourrait aussi être celle de la protection des recettes des chefs par un système de copyright ou de droits d’auteur. A l’heure où la gastronomie se donne de plus en plus souvent à voir comme un art à part entière, l’idée ne paraît pas si saugrenue… Ceci dit, là encore, n’y a-t-il pas une dérive dans une pratique qui, de tout temps, s’est inspirée du travail des uns et des autres pour avancer?
Toujours est-il que les Grands chefs Relais & Châteaux, comme ils se nomment désormais (une autre décision adoptée en début de semaine) se sont fendus d’un « Appel de Séville » (voir ci-dessous). Ils apportent ainsi leur soutien à une idée lancée par des chefs français il y a un petit temps déjà, avant d’être reprise par leur gouvernement et Nicolas Sarkozy en personne. Car pour être prise en compte par l’Unesco, une demande de classement doit émaner d’un Etat.
Protéger la gastronomie mondiale
Les « Grands chefs », de 55 nationalités différentes, voient là l’occasion de créer un précédent pour permettre à d’autres cuisines de par le monde d’être ainsi reconnues et donc, de manière générale, la gastronomie au sens large. Comme le souligne le président international de Relais & Châteaux Jaume Tàpiès: « La valeur ajoutée de Relais & Châteaux est de permettre le rassemblement des meilleurs chefs de toute nationalité, au-delà de leurs frontières, lorsqu’il s’agit de soutenir la reconnaissance de la gastronomie. Du succès de cette initiative de la France dépend le succès d’initiatives similaires dans les autres pays. »
Jean-Robert Pitte, chef de la Mission française du Patrimoine et des Cultures alimentaires, est évidemment ravi de ce ralliement des plus grandes toques de la planète et enfonce le clou: « Avec le soutien des Grands chefs Relais & Châteaux, notre initiative prend une nouvelle dimension. Au-delà de la gastronomie française, il s’agit également de reconnaître la gastronomie comme premier bien immatériel au Patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco. »
Ceci dit, la partie n’est pas gagnée d’avance… L’idée de faire classer une cuisine n’est pas neuve, le Mexique s’y est déjà cassé les dents. Pour obtenir cette reconnaissance internationale, la Mission française du Patrimoine et des Cultures alimentaires devra en effet proposer, début 2009, un dossier solide en effectuant un relevé des connaissances, des recettes, des techniques et savoir-faire….
Une Librairie des 5 sens
De son côté, l’association Relais & Châteaux prévoit de créer une « Librairie des 5 sens » réunissant, dans ses représentations à New York, Londres et Paris, l’ensemble des livres écrits par ses membres. Plus pragmatiquement, une déclinaison virtuelle de cette bibliothèque sera disponible sur le site www.relaischateaux.com avec des liens vers le site de vente en ligne Amazon.
Dans le même ordre d’idée, l’association professionnelle planche également sur la mise sur pied d’une Fondation, sorte de Conservatoire de son patrimoine (recettes…) qui pourrait également venir en aide aux jeunes chefs, notamment lors de la transmission en leurs mains d’une maison estampillée « Relais & Châteaux » (achat du bien, soutien financier, médiatisation…).
L’appel de Séville
Nous, Grands chefs Relais & Châteaux,
Réunis de par le monde par notre esprit de famille et notre engagement personnel, ayant pour ambition de promouvoir la gastronomie au firmament de son excellence.
Sommes convaincus que la gastronomie est une marque de l’excellence et de l’authenticité, un savoir-faire mêlant tradition et inventivité.
Sommes convaincus que la promotion d’expériences culinaires uniques est une réponse à l’uniformisation des goûts et à la standardisation.
Sommes convaincus que la gastronomie se nourrit du mélange des saveurs, de la rencontre des terroirs et de l’ailleurs; qu’elle porte en elle une ouverture à l’universel et au métissage des cultures.
Entendons, en tant qu’ambassadeurs du goût dans de nombreux pays, montrer combien le savoir-faire des créateurs de saveurs est un patrimoine à défendre et à valoriser.
Entendons apporter notre soutien à la valorisation des arts du goût et de la table dans le monde, inséparables de la conversation et de la capacité à ‘faire société’.
Entendons soutenir la mise en valeur d’un patrimoine immatériel, construit dans les échanges entre les peuples et les traditions culinaires de chaque pays.
Entendons, forts de nos traditions et de la diversité de nos origines, placer la gastronomie au service de la qualité, de la transmission des savoir-faire et du dialogue interculturel.
Nous, Grands chefs Relais & Châteaux,
Apportons notre soutien unanime à l’initiative de la France visant à inscrire la gastronomie française au patrimoine mondial de l’Unesco.
Séville, le 20 mai 2008