Et si les secrets de la diplomatie se révèlaient dans les fonds de sauce et la robe des millésimes ? Un journaliste japonais dévoile la cuisine de la haute diplomatie, quand les arts de la table font ou défont l’amitié entre les peuples.

« La courtoisie reflète la diplomatie. Les Japonais ignorent l’importance des bonnes manières, des arts de la table et de la réception dans la diplomatie », explique Mégumi Nishikawa, 60 ans, éditorialiste du quotidien « Mainichi ». « Quand j’ai couvert l’Elysée, la manière de recevoir était fondamentale. On ne raconte jamais ces détails. C’est une histoire secrète, négligée », souligne M. Nishikawa, ex-chef de bureau du « Mainichi » à Paris (1986-93).

 

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Que cachent les portes de l’Elysée?

 

De son séjour parisien, il a tiré un best-seller au Japon: « La Table de l’Elysée », en 1996. Le journaliste vient de publier un second livre, « Vin et Diplomatie », qui en est à sa 4e édition depuis la sortie fin février. Il a voulu « élargir l’horizon » de l’Elysée en décortiquant les menus de la Maison Blanche, du Palais de Buckingham et des banquets officiels de Pékin.
M. Nishikawa consacre deux chapitres à la Cour impériale du Japon: « Les Japonais ne voient pas d’éléments politiques dans la conduite de l’Empereur et de l’Impératrice mais en fait leurs visites à l’étranger sont politiques », témoigne-t-il. « Il y a une diplomatie de la Cour », plaide-t-il.

L’ex-confident du président François Mitterrand, Jacques Attali, a raconté comment, à la fin d’un dîner offert par le président à l’ambassade de France à Tokyo en avril 1982, le chanteur Guy Béart parvint à faire chanter à l’Empereur Hiro Hito « Le Temps des Cerises » devant des dignitaires japonais médusés.

« Les arts de la table expriment la culture d’un pays, ses goûts, ses manières. Souvent, les hôtes n’ont pas le temps de visiter. Le menu est la vitrine du pays », relève M. Nishikawa. Pourtant, le Palais, le Kantei (services du Premier ministre) et le Gaïmushô (Affaires étrangères) se gardent bien de servir de la « vraie » cuisine japonaise: pas de sashimi de peur d’empoisonnement, rien que du cuit.
Tout le monde a en mémoire le malaise de George Bush père au milieu d’un banquet donné en son honneur à Tokyo en janvier 1992 par le Premier ministre Kiichi Miyazawa, en présence de 130 convives. Livide, le président américain vomit sur son hôte.

 

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Quand Junichiro Koizumi rencontre George W. Bush, que mange-t-il?

  

Le message politique n’est jamais loin des nappes. Lors de sa dernière visite à la Maison Blanche en juin 2006, Junichiro Koizumi eut droit à du boeuf de Kobé élevé au Texas – au moment où Washington exigeait que Tokyo reprenne ses importations de boeuf américain, suspendues pour cause de vache folle.

« Au Japon, aristocratique, la cuisine impériale est signe de continuité, on ne change jamais de goût. Aux Etats-Unis, démocratiques, on change souvent de cuisinier. Aujourd’hui, le chef de la Maison Blanche est une femme d’origine philippine, signe des temps », note M. Nishikawa.

A la table des princes et des présidents, tout n’est pas sans accroc. Ainsi, en juin 2005, lors d’un sommet entre le président sud-coréen Roh Moo-hyun et le Premier ministre japonais Junichiro Koizumi: « Les relations commençaient à se dégrader sérieusement. Les Sud-Coréens avaient imposé la cravate obligatoire, contrairement à l’habitude, et après la conférence de presse, ils annoncèrent aux Japonais un dîner « léger ». Le mot « léger » est important, il exprime la froideur de l’atmosphère, l’absence de conversation pendant le dîner, et de vin, alors que Koizumi aimait beaucoup le vin. Un simple dîner de travail », se souvient le journaliste.

A l’opposé, il cite l’ultime dîner entre Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schroeder le 14 octobre 2005 à l’Elysée: « Un beau plateau de fruits de mer, accompagné d’un Corton-Charlemagne 1994, un repas certes léger mais qui traduit la cordialité et l’intimité des deux dirigeants. » (AFP)