Les éditions Payot viennent de lancer une jolie collection de « biographies culinaires ». Où l’on plonge dans l’univers très gourmand de Winston Churchill, un alcoolique qui a gagné la Seconde Guerre mondiale. Et où l’on s’invite au Petit Trianon de Marie-Antoinette pour un repas frugal en compagnie de la reine de France…
La cuisine comme angle d’attaque
Depuis 20 ans, l’engouement pour la cuisine a cru de façon quasi exponentielle, touchant à peu près tous les secteurs: télévision, cinéma, documentaires, jeux et bien sûr livres. Et dans ce domaine, les éditeurs ne manquent pas d’imagination pour réinventer le livre de cuisine.
Après les recettes de telle ou telle série télévisée ou celles des films d’Hitchcock (l’excellent « La sauce était presque parfaite » d’Anne Martinetti et François Rivière aux « Cahiers du cinéma ») ou de Chabrol (dans le succulent « Chabrol se met à table » chez Larousse), voici un nouveau genre: la biographie culinaire!
Fin 2016, les éditions Payot ont lancé « Biographie gourmande », une collection de livres de poche dirigée par Marion Godfroy. Où il ne s’agit pas de raconter la vie de figures marquantes de la gastronomie comme Vatel (dont une bio existe chez Fayard) ou Brillat-Savarin, mais bien de se servir de la gastronomie comme d’une porte d’entrée dans l’existence de personnages illustres. Non pas dans de longues biographies très fouillées mais dans des ouvrages brefs qui reviennent de façon vivante et accessible sur le parcours de grands noms comme Churchill ou Marie-Antoinette, auxquels sont consacrés les deux premiers titres de la collection.
Churchill, le bon vivant
Sait-on que la Seconde Guerre mondiale a été gagnée par un alcoolique? Depuis l’âge de 16 ans, Winston Churchill a en effet consommé au minimum un litre d’alcool par jour! Avec une prédilection pour le champagne Pol Roger, dont il gardait une bouteille près de lui à chaque repas (au cas où le maître d’hôtel oublierait de le resservir…). La célèbre marque champenoise a d’ailleurs rendu hommage à l’ancien Premier ministre britannique par une cuvée spéciale millésimée à son nom.
Réalisée uniquement les meilleures années, celle-ci respecte le goût de Churchill pour l’élégance avec une dominante de pinot noir, un dosage en sucre légèrement plus élevé qu’aujourd’hui et une vinification longue. S’il aimait avec la même passion le brandy (cognac et armagnac) et les cigares habaneros (un amour hérité d’un séjour à Cuba), le Vieux Lion n’était par contre guère fan de whisky, qu’il noyait dans l’eau…
Professeur d’histoire de la civilisation britannique à Sciences Po et à l’université de Reims, Catherine Heyrendt-Sherman quitte ses publications académiques très sérieuses le temps d’une plongée amusante et gourmande dans la vie de Winston Churchill, symbole même du bon vivant! Ce qui s’explique par sa naissance en 1874 en pleine période victorienne, au sein d’une famille aristocratique très fortunée.
La diplomatie de la table
Son enfance, Churchill la passe en effet au sublime Benheim Palace, résidence des Ducs de Marlborough, où la cuisine était d’un grand raffinement. Ce qui tranchera avec celle des collèges chics où il fit ses études puis de l’armée. Comme il s’en plaindra régulièrement dans les lettres adressées à sa mère, la suppliant de lui envoyer des colis de nourriture. Il fera de même quelques années plus tard avec sa femme, alors qu’il combattait dans les tranchées de la Première Guerre mondiale…
Ce goût pour la bonne chère, le très carnivore Churchill (qui aimait aussi les légumes de saison, et surtout les petits pois) va même le transformer en une arme de guerre! C’est la thèse défendue par l’historienne, qui raconte très bien comment le bonhomme usa et abusa de la « diplomatie de la table ».
A Yalta comme à Potsdam avec Staline ou au large de Terre-Neuve lors d’une rencontre en mer avec son ami Roosevelt, Churchill a toujours su régaler ses hôtes pour mieux les convertir à ses visées avec, comme bottes secrètes, son célèbre consommé de tortue et sa grouse écossaise! Le volatile a peut-être changé la face du monde puisqu’il aida Churchill à convaincre le président américain d’entrer en guerre en Europe…
« Si seulement je pouvais déjeuner une fois par semaine avec Staline, il n’y aurait plus de problème… »
Winston Churchill
Le Premier ministre britannique était un adepte de la « diplomatie de la table ». Malgré son anticommunisme affiché, il s’entendait très bien avec son homologue soviétique, qui le fournissait généreusement en caviar!
Dans sa dernière demeure, Chartwell House, Churchill avait fait aménager un vivier, un potager et possédait une ferme, avec des cochons et des volailles… A sa table, il reçoit le gratin: Chaplin, Einstein…
Marie-Antoinette, végétarienne avant l’heure
Historien spécialisé dans le siècle des Lumières, Pierre-Yves Beaurepaire s’est quant à lui attaqué à la biographie de Marie-Antoinette. Croquait-elle des macarons colorés comme ceux de chez Ladurée, comme on le voit dans le portrait assez libre que dressait Sofia Coppola en 2006? Il s’agissait évidemment d’une image tout à fait anachronique. Si elle avait eu un penchant pour ce biscuit, nous dit l’historien, il aurait été plus proche du palet dur et craquelé, tel qu’on le mange encore aujourd’hui à Nancy! Il est toutefois vrai que l’Autrichienne avait un goût pour les meringues.
Mais les sources directes ne semblent pas être suffisantes pour offrir un portrait gourmand très étoffé de la reine de France décapitée en 1793. Pierre-Yves Beaurepaire passe d’ailleurs la majeure partie du livre à recontextualiser l’arrivée de cette jeune fille de 14 ans à la Cour de France, où la gastronomie est érigée en art et où Louis XVI, fieffé glouton, est un digne descendant des Bourbons.
Passionné par la châsse, ce colosse d’1 m 90 passait son temps dans les forêts de Rambouillet et se régalait ensuite de gibiers cuits au sang — notamment de lièvre à la royale —, le tout arrosé des plus grands crus de Bourgogne, de Champagne ou… d’Afrique du Sud! Marie-Antoinette, elle, a hérité des usages simples et familiaux des Habsbourg-Lorraine un goût pour les produits naturels et authentiques. Et contrairement au roi, elle n’aimait pas la viande et buvait… surtout de l’eau!
Repas intimes au Petit Trianon
Offert par Louis XVI à son épouse en 1774, le Petit Trianon sera d’ailleurs le parfait théâtre des passions simples de la reine lorsque quelques années plus tard, elle y développe un hameau inspiré par les écrits de Rousseau. Habillée en paysanne, elle vient y voir traire vaches et brebis. Elle peut ainsi fuir les contraintes de la Cour et des Grands Couverts. Aux repas publics ritualisés par les rois de France depuis le XVIe siècle, Marie-Antoinette préférait les repas intimes qu’elle faisait donner au Petit Trianon. Dans une sublime porcelaine de Sèvres, la reine servait du lait de ses vaches, du miel de ses abeilles et des fraises du jardin…
Mais ce que l’on retient de cette lecture, c’est surtout l’envie de la reine d’être une femme de son temps. « Elle partageait le goût d’une nouvelle génération qui se voulait inspirée par la nature et en communion avec elle », écrit l’historien. Ainsi aime-t-elle le sucre de canne et les fruits, à la mode chez ses contemporains. Tandis qu’elle soutient avec le roi — père nourricier de la nation — les progrès de la botanique et Antoine-Augustin Parmentier, qui veut répandre la consommation de la pomme de terre pour endiguer les famines.
Mais on se dit tout de même qu’il aurait été sans doute plus intéressant de consacrer un portrait au roi Louis XVI, personnage plus truculent et gourmand que Marie-Antoinette…
- « Churchill », publié par Catherine Heyrendt-Sherman chez Payot (160 pp., 15€).
- « Marie-Antoinette », publié par Pierre-Yves Beaurepaire chez Payot (172 pp., 15€).