Le Périgord a aujourd’hui perdu le monopole de la truffe noire au profit de la Provence… Notamment aux pieds du Mont Ventoux.
Sous de petits chênes, un homme se promène accompagné de sa chienne, Mirette. Par moments, celle-ci file vers un but invisible, creuse fébrilement la terre de ses pattes. Son maître la stoppe net, gratte lui-même la terre et en sort une truffe… Classique, la scène pourrait se passer dans le Sud-Ouest, la truffe noire étant intimement associée dans l’inconscient collectif au Périgord… Nous sommes pourtant dans le Sud-Est de la France, à Monteux, au cœur du Vaucluse…
Si on élargit un peu le plan, on découvre le trufficulteur Eric Jaumard entouré d’une trentaine de touristes, à qui il fait découvrir sa passion et son métier aussi. En effet, il n’est pas seulement producteur de truffes, c’est aussi l’un des principaux négociants de France. Chaque année, il commercialise environ une tonne de truffes, vendues pour moitié aux particuliers, pour l’autre à des restaurateurs, comme Michel Roux à Londres, Anne-Sophie Pic à Valence mais aussi, à Bruxelles, au “Chalet de la Forêt” de Pascal De Valkeneer ou à “La Villa lorraine”.
Aujourd’hui, le Vaucluse est devenu la première région productrice de tuber melanosporum en France et le marché aux truffes de Carpentras a largement détrôné le petit marché de Lalbenque, dans le Lot. A Cahors, le négociant Pierre-Jean Pebeyre a beau travailler avec les plus grands restaurants français, il est très pessimiste : “La truffe est morte !” La faute à qui ? Aux anciens, qui ont épuisé les truffières sans les entretenir et “ont cassé le jouet”.
A Monteux, Eric Jaumard rappelle, lui aussi, que la production française est passée de 1 500 tonnes fin XIXe-début XXe à seulement 50-60 tonnes cette année… Dans les années 1870, le phylloxéra ayant détruit les vignes, on a beaucoup planté de chêne dans le Sud-Ouest et la région du Mont Ventoux, permettant à la production de truffes d’atteindre son apogée. Un chêne truffier n’étant productif qu’une trentaine d’années en moyenne, le long déclin s’entame après la Première Guerre mondiale. Obligées de remplacer les hommes aux champs durant la Guerre, les femmes vont délaisser l’entretien des truffières naturelles, tandis que le savoir ne s’est pas transmis…
Eric Jaumard montre les radicelles d’un jeune chêne où s’accroche le mycélium…
Pour autant, M. Jaumard n’est pas aussi pessimiste que son homologue périgourdin. “En Provence, nous avons replanté des chênes truffiers beaucoup plus tôt que dans le Périgord”, explique-t-il. Dès les années 70 en effet, l’Institut national de la recherche agronomique a mis au point des chênes mycorhizés. Mais le procédé est long. Il faut attendre 8 à 12 ans après la plantation pour espérer caver ses premiers diamants noirs… Sans garantie de résultat…Chaque arbre peut en effet produire pendant 5 ou 30 ans, 100 g ou 3 kg de truffes, petites ou grosses… Décidément, la truffe n’a pas révélé tous ses mystères !
Eric Jaumard possède 18 ha de chênes truffiers, les premiers ayant été plantés par son père en 1979 déjà. Aujourd’hui, le trufficulteur peut compter sur une belle récolte de quelque 150 kg/an. De quoi en faire un gros producteur même si, pour en vivre, il estime qu’il lui faudrait 100 ha ! Il compense donc avec une activité de négoce mais aussi avec des chambres d’hôtes (cf. ci-dessous).
Ce virage mieux négocié en Provence porte ses fruits. Aujourd’hui, 80 % de la production de truffes se fait dans le Sud-Est de la France, contre 20 % seulement pour le Sud-Ouest, explique M. Jaumard. Si le Vaucluse est désormais le principal producteur (avec 40 % de la production), on trouve aussi de la truffe dans la Drôme, l’Ardèche, le Gard, le Var, le nord des Bouches-du-Rhône et les Alpes de Haute Provence. La truffe aime en effet le climat méditerranéen, pas trop froid en hiver, et le sol calcaire filtrant.
En Provence, la truffe, c’est un donc vrai business. On recense d’ailleurs pas mal de vol (souvent entre trufficulteurs…) et même un mort de temps en temps, quand le voleur se fait surprendre par un propriétaire de truffière au sang chaud… En tout cas, on ne fait pas ici dans le folklore. On ne cave donc pas au cochon (toujours des truies en fait, la truffe ayant une odeur proche de celle des hormones des mâles) mais avec des chiens. “C’est plus facile à gérer”, reconnaît M. Jaumard. Il lui faut un an environ pour dresser un chien truffier. Comment ? En le gavant de truffes ! D’abord dans du lait quand c’est un chiot puis en commençant à cacher des truffes et en offrant une récompense au chien quand il les trouve… Un chien bien dressé se négocie autour de 3 à 5000 € (1500-2000€ pour un chien “débourré”).
En cette mi-novembre, les truffes que Mirette sort de terre sont toujours immatures, indignes de figurer sur les meilleures tables de France. La truffe, tout d’abord pas plus grande qu’une tête d’épingle, se forme en mai, rouge à l’extérieur et blanche à l’intérieur. Grâce à l’eau et en symbiose avec les racines d’un arbre, elle grossit jusqu’au mois de septembre. Arrive alors la période de maturation, de novembre à mars, où elle commence à dégager son parfum si envoûtant. Si on consomme essentiellement la truffe durant les fêtes, c’est pourtant de la mi-janvier à la mi-mars qu’elle est la meilleure.
Pourtant, on cave dès la mi-novembre. Les premières truffes, de piètre qualité, partiront pour l’industrie (à env. 80 €/kg), pour produire les pâtés truffés, des brisures de truffe… Eric Jaumard garde néanmoins une partie des truffes immatures et pourries, qu’il congèle. Au mois de mars, en fin de saison, il les mélangera avec du sable pour réensemencer ses chênes truffiers. A 650 €/kg environ, rien ne se perd dans la truffe noire !
Les prédateurs de la truffe
Quels sont les prédateurs de la truffe? L’homme tout d’abord (les voleurs) mais aussi la mouche (qui pond ses oeufs près des truffes, dont les vers raffolent. Ce qui explique la technique de cavage à la mouche) et les liodès (petits coléoptères rouges dont les larves se nourrissent de la truffe) et enfin les sangliers qui ne mangent pas les truffes mais qui abîment les truffières en remuant la terre.
Les différents types de truffes
A côté des fameuses tuber melanosporum (truffe noire) et magnatum (truffe blanche d’Alba), on trouve des truffes nettement moins chères, mais aussi moins parfumées : les tuber aestivum (truffe d’été), uncinatum (de Bourgogne), brumale (truffe noire d’hiver) ou encore la tuber indium (truffe de Chine, sans parfum).
La Truffe du Ventoux
Eric Jaumard fait visiter ses truffières, vend de la truffe (également en ligne), propose des menus truffes dans son auberge mais aussi des chambres d’hôtes.
- 634 chemin du Traversier 84170 Monteux.
Rens.: www.truffes-ventoux.com ou +33.4.90.66.82.21.
Marché aux truffes de Carpentras
Le marché aux Truffes de Carpentras se tient le vendredi matin, de la mi-novembre jusqu’à la fin mars, dans la cour d’Honneur de l’Hôtel-dieu, place Aristide Briand à Carpentras.
- Rens. : www.carpentras.fr/truffe.
Week-end truffe de luxe
Situé aux pieds du Mont Ventoux, qui culmine à 1912 m, à 30 km d’Avignon, Crillon-le-Brave est un petit village médiéval sur lequel ont régné les ducs de Crillon (la même famille qui a donné son nom au célèbre palace parisien).
Après un long déclin marqué par un fort exode rural, ce magnifique village vauclusien a aujourd’hui retrouvé vie sous l’impulsion de deux Canadiens, tombés sous le charme de la région au début des années 80 : Peter Chittick et Craig Miller, qui ont créé l’hôtel Crillon Le brave, membre des Relais & Châteaux depuis 1995. Aujourd’hui, ce palace pas comme les autres occupe 7 belles maisons autour de l’Eglise, proposant à une clientèle fortunée très sélect 24 chambres et 8 suites, dans une ambiance provençale campagnarde très confortable.
Le trufficulture Eric Jaumard & le jeune chef Jérôme Blanchet
A l’automne et au printemps, le Crillon Le Brave propose des week-ends truffes pour découvrir de façon gourmande la belle région de Carpentras. Au menu notamment, une séance de cavage en compagnie d’Eric Jaumard (cf. ci-dessus), une dégustation dans un vignoble à Châteauneuf-du-Pape, la visite du très beau marché de l’Isle-sur-La-Sorgue, le village des antiquaires, un cours de cuisine avec le chef Jérôme Blanchet, à la tête du restaurant gastronomique de l’hôtel et du « Bistrot 40K ». Sans oublier, évidemment, un menu-dégustation 100 % truffes.
Il y a quelques semaines, le très talentueux jeune chef proposait par exemple un savoureux effiloché de civet de lièvre, mousseline de céleri-rave et truffe noire.
Suivi, en entrées, d’un très joli pot-au-feu de foie gras, solférino de légumes d’hiver et gnocchi à la tuber melanosporum et d’un risotto carnaroli à la truffe croquant, agrémenté d’un jus de volaille et de Saint-Jacques. Sans oublier, en plat, une très classique mais délicieuse longe de veau rôtie, mousseline de topinambours à la truffe noire et poêlée de girolles.
Le repas se termine par un vacherin Mont d’or truffé et bouquet de mâche et, en dessert, une très savante sphère craquante de meringue au café Blue mountain et truffe noire, glace chocolat blanc.
- Les prochains week-ends truffes se déroulent du 27/2 au 2/3 (en anglais), du 6 au 9/3 (en anglais) et du 13 au 16/3 (en français). Prix : 1 185 € (chambre standard) ou 1 425 € (chambre luxe) pour 2 pers. : hébergement 3 nuits, petit-déjeuner et dîner compris (hors boissons).
- Rens. : www.crillonlebrave.com ou +33.4.90.65.61.61.