Le stylisme culinaire fait partie de ces nouveaux métiers à la frontière de l’art et de la gastronomie devenus incontournables dans l’édition culinaire… Rencontre avec la styliste culinaire Malika Hamza et le photographe Alexandre Bibaut.
En mars, paraîtra chez Racine un recueil de recettes du Breton Christian Tirilly, depuis 20 ans à Bruxelles et aujourd’hui aux commandes des cuisines de l’hôtel Sheraton. Il y a quelques jours, le chef terminait les prises de vue avec le photographe Alexandre Bibaut et la styliste culinaire Malika Hamza. Si ce nom n’est pas inconnu, c’est que Malika est également la présidente de Karikol, le Convivium Slow Food bruxellois, qui organise chaque année l’événement “Goûter Bruxelles”. Après 15 ans de consultance en stratégie territoriale – où elle a notamment travaillé sur un projet de recensement du patrimoine culinaire de Flandre orientale –, la jeune femme a décidé de changer de vie et de se lancer comme styliste culinaire, mais avec une réelle approche saisonnière des produits et donc des recettes. Son nouveau métier, elle l’a appris sur le tas, tout en se formant continuellement en faisant des stages à l’étranger et chez des chefs étoilés.
Styliste culinaire ? Il y a encore quelques années, ce métier était invisible. Aujourd’hui, il sort de l’ombre. Et ses représentants deviennent aussi reconnus que les auteurs eux-mêmes. Si l’on remonte 30 ou 40 ans en arrière, on ne faisait pas grand cas de la présentation des plats dans le “Grand Larousse de la gastronomie” ou les recueils de recettes de Raymond Oliver : les assiettes étaient photographiées sans apprêts, telles qu’elles sortaient des cuisines, ou presque. Il y avait le chef, le photographe et le graphiste pour la mise en page. Mais aujourd’hui – et pas seulement dans l’édition –, on voit apparaître des métiers de plus en plus spécialisés, dotés d’une réelle dimension artistique.
Ainsi le designer culinaire Pierre Tachon (agence Soins graphiques). Collaborateur du Groupe Alain Ducasse, il a par exemple imaginé l’assiette “Structure” avec le célèbre fabricant de porcelaine de Limoges J.L. Coquet. Un objet spécialement créé pour le “Jules Vernes”, restaurant étoilé au 1er étage de la Tour Eiffel. Cette superbe assiette organique rend hommage à l’architecture de Gustave Eiffel. Dans un autre genre, Frederick e. Grasser-Hermé (FeGH), qui aime à se définir comme une “Food Thinkie” (penseur en nourriture), est sans aucun doute la personnalité qui a poussé le plus loin la frontière entre conception culinaire et art. Réelle excentrique, elle pousse parfois loin la démarche, comme récemment lors de sa performance à “Paris des chefs”, où, métamorphosée en Rita Hayworth vêtue d’une robe en crépine de porc, elle était accompagnée de chippendales… Mais ses happenings s’exposent jusqu’au Centre Pompidou ! Véritable créatrice de tendances, elle est aussi l’auteure d’ouvrages intéressants, comme “Le blanc. Dix façons de le préparer” aux éditions de l’Epure.
Parmi tous ces métiers à la signification un peu floue, celui de styliste culinaire est devenu indispensable dans le milieu de l’édition. Apparu il y a une dizaine d’années, il consiste à mettre en scène les plats en vue de les photographier. Le but ? Les rendre plus esthétiques et plus appétissants. Les recettes sont parfois celles d’un chef que le styliste sublime pour la publication d’un bouquin mais c’est aussi parfois celles que le styliste culinaire a lui même créées autour d’une thématique pour la presse ou la publicité par exemple. En général, le styliste collabore avec un photographe même si il peut parfois avoir les deux casquettes. Cette mode du stylisme culinaire a également fait un boom depuis quelques années avec l’apparition des blogs culinaires. Surtout outre-Atlantique, où les foodies ont développé un all-in-one en créant des recettes et en cherchant à les présenter joliment à travers de belles photos. A l’image du blog « Cannelle et vanille ». Au point parfois d’en faire leur métier!
A quelques semaines de la publication de “Du terroir dans nos assiettes”, Malika Hamza est en pleine séance de travail à l’hôtel Sheraton. Au milieu de la pièce, on découvre un mini-studio photo : éclairages pros, trépied, écran d’ordinateur étalonné et logiciel de capture… Au fond, sur une grande table, est disposée une collection de vaisselle et de couverts. Si elle travaille avec des grossistes ou des importateurs, Malika Hamza passe aussi beaucoup de temps à chiner ou à faire des vide-greniers pour dénicher l’objet rare. Sa cave est ainsi remplie d’étagères, où les bacs étiquetés s’empilent. Classés en « petites cuillères en métal vieilles », « petites cuillères en plastique »…
Plus loin dans la pièce, les épreuves imprimées des recettes déjà réalisées donnent une vision d’ensemble du livre à venir. Permettant de voir d’un coup d’œil quels fonds et quelles assiettes ont déjà été utilisés. Ailleurs, on remarque un détail essentiel, un fer à repasser, utilisé pour repasser les tissus qui serviront éventuellement de fonds…
“C’est la première fois que je travaille sur un projet de livre avec un chef, explique Malika Hamza. Mon travail a surtout consisté à organiser les recettes en fonction des saisons et à trouver un style pour les présenter. Il s’agissait ici de coller à l’esprit du livre et de privilégier une mise en scène sobre pour raconter une histoire, valoriser les producteurs et les recettes du chef.” Autre partie du travail : la simplification et la réécriture de la soixantaine de recettes de Christian Tirilly. “Car il y a une manière d’écrire les recettes, de les calibrer pour la ménagère. On ne s’improvise pas auteur de recettes.” Il faut ensuite s’occuper des accessoires, chercher la vaisselle et les couverts, choisir les fonds, qu’il s’agisse d’un tissu ou de pierre de France. De son côté, en fonction du plat et de sa mise en scène, le photographe Alexandre Bibaut choisit son cadrage.
En communication par sms avec le chef, en cuisines, le duo doit être prêt au moment où le plat va débarquer. Car il faudra faire vite pour le mettre en scène. Le but est ici d’être le plus naturel possible, sans trop de chichis, pour coller à l’univers de Christian Tirilly et à l’accroche terroir du bouquin. Même si, parfois, une même recette nécessite l’essai de plusieurs dressages avant de trouver la bonne photo. Mais pas question ici de laque ou de vernis : il n’y a en effet pas beaucoup de “triche”, comme c’est souvent le cas dans la pub. Les plats restent “mangeables”, malgré le vinaigre utilisé pour nettoyer les assiettes et les faire briller. « Il faut aimer l’odeur du vinaigre quand on est styliste culinaire », plaisante Malika Hamza. Et même si une huile de sésame peut, pour gagner du temps, remplacer un caramel…
Malika Hamza envisage son travail comme de l’art appliqué à la nourriture : “Je crée un tableau.” On le comprend en la voyant s’agenouiller pour sublimer cette “tuile aux moules”, organisant un à un les éléments du plat : les moules décortiquées par-dessus, avec un peu de roquette pour le volume, les moules dans leurs coquilles tout autour, pour le côté rustique. Tandis qu’elle dispose à la petite cuillère le jaune d’œuf. L’attention apportée aux détails est en effet capitale pour que la photo soit parfaite. “Je fais souvent du casting de feuilles de salade”, s’amuse Malika, choisissant les plus belles feuilles chez les maraîchers, qui la regardent d’un œil suspicieux. A chaque étape, Bibaut prend plusieurs clichés, recadrant le stylisme de Malika en fonction du résultat à l’écran. “L’appareil photo n’a qu’un axe”, explique le photographe, alors qu’un plat, au restaurant, peut être observé dans tous les sens…
Avec le chef, ils choisiront le meilleur cliché. Quitte à en superpositionner plusieurs pour recomposer la photo idéale. Ce sera le cas pour cette omelette norvégienne revisitée, qui fond à vue d’œil sous les éclairages… Mais ce travail de retouche du photographe, on ne le verra pas. On découvrira le résultat en librairies dès le mois de mars…
Bientôt en rayons
Au menu de Du terroir dans nos assiettes: 65 recettes de Christian Tirilly, réalisées à partir de produits locaux fermiers, des astuces de chef, 19 portraits de producteurs et un carnet d’adresses.
- A paraître chez Racine le 20 mars (192 pp., 29,95 €)
Malika Hamza
La styliste culinaire collabore pour de nombreux magazines (celui de Delhaize, “Le journal des médecins”, “Nest”, “Femmes d’Aujourd’hui”), donne des cours de cuisine… Mais elle travaille aussi avec de nombreuses marques, dont Le creuset, pour qui elle a créé un livre sur les tajines.
- Rens. : www.innovative-cuisine.com.
Alexandre Bibaut
Spécialisé en photographie publicitaire et culinaire, Alexandre Bibaut est aussi un passionné de gastronomie. Il a notamment collaboré avec Benjamin Collombat pour son livre “Soupçons d’épices” ou avec Carlo de Pascale et Sergio Moschini pour “Cucina Nostra”.
- Rens. : www.les2b.be.
Un blog
Animé par trois blogueuses culinaires, “Culinographie” se propose d’expliquer les secrets du stylisme et de la photographie culinaires. Très tendance !
- Rens. : http://www.culinographie.com.
Une démarche artistique et un article très intéressant! la confirmation que notre époque est marquée par l’image( peut-être au détriment du goût et de l’odorat…)
Petite question: peut-on servir quelque chose dans la superbe assiette en porcelaine de Limoges de Pierre Tachon?
Malika est talentueuse et rend délicieux tout ce qu’elle cuisine…elle choisit avec soin les aliments, les utilisent entièrement, les détournent des sempiternelles recettes pour les faire redécouvrir… et non seulement c’est très bon et très particulier, mais elle y ajoute toujours la dernière touche finale qu’est la présentation… toutes ces étapes réunies aboutissent toujours par le plaisir des yeux et le régal des papilles… Bravo!!
Bonjour Eloïse,
L’assiette est très belle en effet. Quand on arrive au « Jules Vernes », elle est posée sur la table avec cette structure en évidence. Elle sera ensuite retournée pour la transformer en assiette creuse…
Alors comme ça » le stylisme culinaire est apparu il y a une dizaine d’années » ?
et Jacqueline Saulnier, la première styliste culinaire française , elle faisait quoi avec Jean-Louis BLoch- Lainé à Marie Claire il y a plus de 20 ans ? et Martine Albertin, elle a fait quoi au figaro Madame avec Bernhard Winkelmann il y a 20 ans ?
Elles ont été les premières en France à faire du stylisme culinaire, et ont été suivies rapidement par toute une génération de filles qui ont construit ce métier , défriché auprès des rédactions et des photographes pour faire respecter leur travail et qu’on les considère autrement que comme des boniches. Et si les stylistes d’aujourd’hui peuvent frimer sur les blogs, elles feraient bien de ne pas oublier qu’elles n ‘ont rien inventé.
Merci Brigitte pour ce précieux rappel historique!
Il y a évidemment des précurseurs mais ce métier a vraiment explosé il y a 10-15 ans, dans les magazines, les livres et puis, plus récemment, les blogs…
Vous avez raison Brigitte, je voulais évoquer Jacqueline Saulnier qui a travaillé pour Marie-Claire mais manque de place dans le journal…