Longtemps doublement étoilé au Michelin pour son fameux “Il Gambero Rosso” de San Vincenzo, en Toscane, Fulvio Pierangelini est considéré par beaucoup comme le plus grand chef italien de son temps. Pourtant, en octobre 2008, suite à des problèmes personnels, le chef choisit de fermer son restaurant et se reconvertit en consultant de luxe pour la chaîne d’hôtels britannique Rocco Forte. Un nouveau métier qui le fait voyager de la Sicile à Florence, de Londres à Saint-Pétersbourg, en passant par les cuisines du “Bocconi”, restaurant de l’hôtel Amigo à Bruxelles. Où il conseille le jeune chef Adriano Venturini, arrivé il y a 7 mois pour refaire du “Bocconi”, longtemps endormi, l’une des meilleures tables italiennes de la capitale.

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Fulvio Pierangelini et Adriano Venturini, le chef du « Bocconi »

“Ça me plaît ce boulot de consultant, mais ce n’est pas mon travail”, confie Fulvio Pierangelini. Le chef cherche donc en ce moment un lieu, à Rome, Londres ou ailleurs, où il pourrait ouvrir un atelier, une école, un resto. Bref, un espace de rencontres entièrement dévoué à la gastronomie. “Aujourd’hui, je voyage beaucoup, à Gstaad, Saint-Moritz… Je suis un cadeau que l’on offre”, explique-t-il en racontant qu’il a cuisiné pour l’anniversaire d’un richissime Indien…

On sent bien dans sa voix que le costaud Pierangelini, sûr de son talent et sans fausse modestie, garde une réelle nostalgie d’une période désormais révolue. Un temps où on lui faisait des ponts d’or pour rejoindre les grandes capitales mondiales de la gastronomie. “On m’a offert des millions pour aller à New York. On me proposait un million de dollars pour être 4 semaines par an à Tokyo ! Mais j’ai passé 32 ans sans prendre l’avion, dont j’avais peur. J’ai dû refuser, alors que je n’avais pas d’argent… Mon resto ne m’a jamais permis de vivre.” Ce qui explique pourquoi Fulvio Pierangelini a régulièrement prêté son talent à de grandes marques. “J’ai essayé d’apporter la gastronomie dans l’industrie et pas l’inverse”, déclare-t-il en décochant une pique aux tenants de la cuisine moléculaire…

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Diplômé en Sciences Po à l’université de Rome, Fulvio Pierangelini, Romain d’origine, mais qui a vécu toute sa vie en Toscane, a découvert la cuisine à l’âge de 13 ans. “J’ai reçu un talent. Mais j’ai beaucoup travaillé pour nourrir ce talent.” Ses débuts, il les fait dans des restos de plage ou dans de grands hôtels. “Je ne suis d’aucune région particulière en Italie”, explique-t-il quand il parle de son style. “J’ai passé une semaine chez Roger Vergé au “Moulin de Mougins”. J’avais les recettes, il me manquait la technique…” En 1979, il reprend le “Gambero Rosso”, nom tout ce qu’il y a de plus commun pour un restaurant italien du bord de mer.

Au milieu des années 80, Pierangelini est acclamé de toute part, et il prêtera même le nom de son restaurant au désormais célèbre guide “Gambero Rosso”, équivalent italien du “GaultMillau” ou du “Michelin”… Outre son plat fétiche, la purée aux pois chiches et crevettes, qui sera copiée et recopiée, le chef aime citer son “pigeon aux épices d’Orient”. Souvenir d’un voyage jamais fait au Liban et en Syrie”…

“La première chose que j’ai faite en arrivant à Bruxelles, c’est d’aller au marché matinal. Il n’est pas énorme, mais l’ambiance est sympa. C’est un petit Rungis.” Installé depuis 1973 le long du canal – après s’être longtemps tenu au pied de L’Amigo, sur la Grand-Place et dans les rues avoisinantes –, le marché matinal de Bruxelles (Mabru) occupe désormais cinq halles réparties sur 40 000 m². On y trouve tout, du meilleur au plus banal, en fruits, légumes, viandes, poissons, produits laitiers, vins, boissons…

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Parcourant les allées du marché, déjà à demi désertées à 6 h du matin, le chef italien cherche les produits qui serviront à préparer les plats du midi au “Bocconi”. Il met ainsi la main sur des mandarines de Sicile, de plus en plus difficiles à trouver, remplacées par les clémentines, sans pépins mais nettement moins parfumées. “C’est bon, on en prend une caisse, glisse-t-il à son sous-chef Adriano Venturini. On fera un sorbet”. Plus loin, des champignons attirent le regard du chef. Fulvio touche les produits, les caresse. Mais il délaisse ces King Oyster Mushroom, gros champignons coréens très jolis, “mais qui ne servent à rien !”.

Passionné de cuisine, Fulvio Pierangelini connaît les produits, capable de décrire chaque type d’orange selon sa provenance. Ces pêches, par exemple, pas question de les travailler, elles viennent du Chili, “trop loin, trop de pollution”. Ce qui n’empêchera pas ce militant Slow Food de la première heure, d’acheter un peu plus tard les meilleures tomates du marché matinal pour sa sauce de pâtes, des petites tomates cerises Mini Star à 13 €/kg, cultivées sous serres chauffées…

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De retour dans les cuisines du “Bocconi”, c’est le branle-bas de combat, et Fulvio Pierangelini redevient chef, strict avec sa brigade bruxelloise, qu’il côtoie environ toutes les six semaines. Son travail consiste à mettre au point des recettes faciles à reproduire dans l’ensemble des cuisines qu’il coache pour Rocco Forte. “Une recette, c’est un produit, de la technique, de l’exécution, mais c’est aussi de l’émotion, de la sensibilité que je ne peux pas donner si je ne suis pas là…” Alors, le chef conseille et n’hésite pas à donner de la voix si les choses ne se passent pas exactement comment il les a prévues…

Ainsi, avec les petites tomates cerises ramenées du marché, Pierangelini propose une petite démonstration. Avec, exactement, les mêmes ingrédients (ail, basilic, huile d’olive), il prépare deux sauces. Dans les deux cas, les tomates sont mondées, mais d’un côté, elles sont vidées, de l’autre entières, avec un peu de sucre. Le résultat est totalement différent ! La première sauce est plus sucrée, même sans rajout de sucre… C’est, en effet, dans les pépins que se concentre toute l’acidité.

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Sa petite salade d’asperges vertes, quartiers d’oranges pelées à vif, gambas pochées quelques secondes à l’eau bouillante et vinaigrette à base de jus d’orange réduit et émulsionné à l’huile d’olive, est un régal. Tout comme son risotto aux petits pois préparé sans bouillon, juste avec l’eau dans laquelle on a blanchi les cosses de petits pois. “Je ne cherche pas des plats parfaits, commente Fulvio Pierangelini. Un plat parfait, c’est un plat mort qui ne peut plus évoluer. C’est sans intérêt”. Et s’il lui restait un rêve ? “Terminer ma carrière en cuisinant comme j’ai commencé : en pratiquant une cuisine sauvage.” Une cuisine sauvage mais exigeante, qui tire le meilleur de ce que peut offrir l’Italie !

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Envie d’y goûter?

  • Sous les conseils de Pierangelini, Adriano Venturini prépare à “L’Amigo” une cuisine italienne raffinée, basée sur les produits.
    Ristorante Bocconi. 1 rue de l’Amigo 1000 Bruxelles.
    Rens. : 02.547.47.15 ou www.ristorantebocconi.com.

Une chaîne de palaces

  • Fulvio Pierangelini ne conseille pas que le “Bocconi” mais l’ensemble de la restauration des hôtels de la Rocco Forte Collection : 13 en Europe (le Savoy à Florence, le Brown’s à Londres ou l’Hôtel de Rome à Berlin) et quatre à venir (Abu Dhabi, Marrakech…).
    Rens. : www.roccofortecollection.com.

Un restaurant mythique

  • De 1980 à 2008 à la tête du “Gambero Rosso”, Fulvio Pierangelini a mis San Vincenzo (Livourne) sur la carte des gourmets… Notamment grâce à son plat fétiche, la passatina (purée) de pois chiches aux crevettes.

Courses nocturnes

  • Il faut se lever tôt pour parcourir les allées du marché matinal de Bruxelles. Ce ventre gourmand est a priori réservé aux professionnels mais on peut toujours s’arranger…
    Du lundi au samedi de 3 h à 10 h (dès 1 h le mardi et le jeudi).
    22-23 quai des Usines 1000 Bruxelles.
    Rens. : 02.215.51.69 ou
    www.mabru.be.
    3 € l’entrée.