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Jeudi, Christian Millau recevait dans les salons de la Présidence de l’Assemblée nationale, pour défendre la candidature de la gastronomie française au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco. Histoire de relancer l’idée née fin 2006…

Jeudi midi, tout ce que la gastronomie française fait de mieux – ou presque, le monument national Paul Bocuse brillait par son absence… – s’était donné rendez-vous à la Présidence de l’Assemblée nationale française. En pénétrant dans les salons somptueux de l’Hôtel de Lassay, on prend pleinement la mesure de l’expression “les ors de la République”… Un cadre classique, hors du temps qui sert de décor à l’une des réunions les plus gourmandes de l’année.

Et même si le contexte de crise lui donne un petit arrière-goût piquant – au point que quelques invités ont finalement décliné l’invitation, dont l’hôte du jour, Bernard Accoyer, président de l’Assemblée nationale, et la ministre de l’Economie Christine Lagarde –, une poignée de politiques, de people et surtout une ribambelle de chefs ont fait le déplacement à Paris. Jacques le Divellec est venu en voisin, Thierry Marx de Bordeaux, George Blanc de Vonnas, Didier Elena de Reims, Frédy Girardet de Suisse… Tout ce petit monde s’est réuni pour soutenir la candidature de la gastronomie française au Patrimoine mondial immatériel de l’Unesco…

L’initiative de ce déjeuner multi-étoilé (cf. ci-dessus), on la doit à Christian Millau. Le fondateur des guides GaultMillau est sorti de sa retraite littéraire pour soutenir le projet lancé fin 2006 par l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation dépendant de l’Université de Tours. Discrète, cette demande de classement est revenue sur le devant de la table en février dernier lors du Salon de l’agriculture, quand le président Sarkozy a pris le train en marche et lui a apporté son soutien officiel.

 

Un patrimoine menacé?

Aujourd’hui, les choses sont lancées – le dossier de candidature devrait être prêt courant 2009 –, même si l’idée de classer la gastronomie française ne suscite guère l’enthousiasme des pouvoirs publics. Ce que dénonce Jean-Robert Pitte, président de la mission ad hoc, qui se montre assez alarmiste, affirmant que la gastronomie française “est un patrimoine qui est aussi menacé que le sont les cathédrales et le Mont Saint-Michel”. De quoi donner à nouveau une image affaiblie d’une gastronomie française tombée de son piédestal depuis quelques années. En 1980, c’est la Nouvelle Cuisine mise en avant par Christian Millau et Henri Gault qui triomphait en Une du “Time”. Vingt-cinq ans plus tard, le “New York Times” titrait, lui, sur la “Nueva Nouvelle Cuisine” pour mettre en avant le triomphe des Espagnols, Ferran Adrià en tête…

Pour Christian Millau, il ne faut cependant pas voir les choses sous cet angle. “Je ne crois pas que la gastronomie française soit en péril. Mais, comme dans tous les domaines artistiques, il faut se battre…” Cette inscription au patrimoine mondial de l’humanité ne dénote en tout cas pas pour lui de la supériorité de la gastronomie française mais bien de son universalité. Tel est le message qu’il martelait jeudi. “Il faut lutter contre la morgue française qui laisse croire que nous sommes les seuls au monde. Mais la France a une vocation universelle en matière de cuisine. Des chefs du monde entier viennent ici faire leurs classes et rendent hommage à la cuisine française. Comme Adrià, qui ne cesse de répéter ce qu’il doit à Michel Guérard ou Girardet aux Troisgros. […] La France a toujours su donner son savoir mais aussi être comme une éponge. Aujourd’hui plus que jamais, nous absorbons produits, techniques et plats du monde entier. Les influences viennent d’Asie, des Amériques…” Refusant de parler d’“exception française”, Millau préfère mettre en avant le métissage, même s’il ne porte pas trop la “fusion” dans son cœur…

Et comme preuve qu’il ne s’agit pas là d’un combat d’arrière-garde franchouillard et ringard – ce que dénonce un Pierre Gagnaire par exemple –, Christian Millau rappelle que, réunis il y a quelques mois à Séville, les membres des Relais & Châteaux (association qui regroupe la plupart des grands chefs au monde) ont apporté leur soutien à cette demande d’inscription de la gastronomie française au patrimoine de l’humanité. De quoi en tout cas avoir déjà donné des idées à d’autres pays, le Mexique en premier.

 

Un menu dans les étoiles

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Michel Guérard, Marc Veyrat, Joël Robuchon et Guy Savoy

Pour l’aider à promouvoir la candidature de la gastronomie française au patrimoine mondial de l’Unesco, Christian Millau a pu compter sur quelques soutiens de choix, dont quatre des plus grandes toques françaises, qui ont élaboré le menu servi, jeudi, aux 130 privilégiés réunis dans les salons de la Présidence de l’Assemblée nationale.  Pour débuter, Guy Savoy jouait la sobriété avec de délicates huîtres en nage glacée, tandis que Marc Veyrat, fidèle à lui-même, s’amusait dans deux petits pots de yaourt garnis d’une purée de pommes de terre au chocolat et truffe noire et d’une incroyable émulsion de foie gras à l’herbe d’ache. De son côté, Joël Robuchon épatait en vêtant ses langoustines d’un turban de spaghetti, le tout en nage de crustacés à la truffe blanche. Alors qu’en plat de résistance, le vétéran Michel Guérard enthousiasmait, lui, dans un feuilleté de pigeonneau et foie gras de canard, par l’évidence de son classicisme.

 

Envie de lecture ?

Ce grand déjeuner était également l’occasion pour Christian Millau de présenter son dernier ouvrage, un « Dictionnaire amoureux de la gastronomie” (Plon, 778 pp., env. 25 €). A près de 80 ans, il évoque ses souvenirs gourmands et pousse quelques coups de gueule, le tout dans une écriture alerte et pleine d’humour.