Dernier volet de notre série « Cuisine d’expats ». On part cette fois à la rencontre de Gloria Erazo, mère de trois enfants et trois fois grand-mère. A 62 ans, elle vit à Bruxelles depuis plus de 30 ans et porte fièrement les couleurs de son Pérou natal, dont elle aime faire partager la culture, que ce soit à travers la danse, les chansons, la cuisine…
Reportage photo: Olivier Papegnies
Présentation
- Nom: Gloria Erazo.
- Age: 62 ans.
- Statut: célibataire.
- Profession:
- prépensionnée et bénévole de l’association El Andino (www.elandino.be), créée par son fils il y a 13 ans pour promouvoir la culture péruvienne.
- Ses goûts:
- à Lima, Gloria a vécu près de la « rue japonaise », riche en restaurants chinois et japonais. C’est une habituée du canard laqué et des sushis. « Les cultures japonaise et péruvienne ne sont pas si éloignées. Les sushis et le ceviche péruvien, c’est du poisson cru. Au nord du Pérou, on mange beaucoup de poisson et de fruits de mer crus, notamment des conques. »
Une leçon de vie
Ce soir-là, Gloria Erazo nous accueille avec un grand sourire dans l’appartement de son fils Luis à Ixelles. En cuisine, lui et sa femme Verena mettent la dernière main aux préparatifs. Les trois petits-enfants jouent dans leur chambre. Dans la salle à manger, la table est mise pour huit personnes. Venu plus tôt, le photographe a été chaleureusement invité à se joindre à l’assemblée. Dans la communauté péruvienne, l’hospitalité n’est pas un vain mot!
« J’ai appris à cuisiner avec la vie. Seule, on est obligée d’apprendre à vivre. Mais j’étais curieuse; je m’approchais de tout le monde en disant: comment on fait ça? Ma grande sœur aussi m’a appris un peu à cuisiner.”
Au travail dans les rues de Lima à 8 ans
Autour d’un verre de pisco sour, Gloria nous raconte son incroyable histoire… Née à Sumbilca, petit village de montagne au nord de Lima, elle doit survivre seule quand ses parents se séparent. A 6 ans et demi, elle embarque donc dans un camion de pommes de terre direction la capitale. Là, dès 8 ans, elle vend de la gelatina (gelée de fruits) et de la chicha morada (boisson sucrée à base de maïs violet) dans la rue. « Aujourd’hui, quand je vois ma petite-fille de 9 ans, je lui dis qu’à son âge, je travaillais déjà! »
Mariée très jeune, Gloria fait trois garçons, dont elle s’occupe seule après son divorce… Après quelques études, elle devient aide-soignante dans un hôpital, puis grossiste au marché aux fruits de Lima. « J’ai troqué mon tablier blanc pour un tablier de maraîchère… Si j’avais pas mal de problème avec le gouvernement d’Alan García, j’ai toujours eu suffisamment d’argent pour manger et donner une éducation à mes enfants, explique Gloria. Si j’ai émigré, c’est par curiosité, à cause de Julio Iglesias, qui était venu au Pérou à l’époque… Je me demandais à quoi ressemblait l’endroit d’où il venait… »
La Belgique par hasard
Gloria tente sa chance au consulat des Etats-Unis mais on la décourage, lui disant qu’il faut beaucoup d’argent. Dépitée, elle passe devant les ambassades d’Italie, de France… Un étrange drapeau noir-jaune-rouge l’attire. « Je ne connaissais pas la Belgique. J’ai été voir la secrétaire pour savoir comment y aller. Elle m’a répondu qu’il fallait juste un passeport et un billet d’avion. Une semaine plus tard, j’avais fait toutes les démarches. » Restait le plus difficile: annoncer son départ à ses enfants. Son aîné, 17 ans, lui dit: « Ça va maman, tu peux y aller. Je peux m’occuper de mes frères. Mais tu ne vas pas nous oublier hein? » « J’ai pleuré mais je le sentais fort. Je lui ai promis de les faire venir après un an si j’avais du travail ou de rentrer. »
En mars 1988, Gloria atterrit à Luxembourg. Il fait froid, elle ne parle pas un mot de français… On l’aide à monter dans un train, direction Bruxelles. Gare du Midi, elle tombe sur une compatriote, qui l’invite à dormir chez elle et lui trouve un travail de nounou pour les trois enfants d’une riche jeune femme de La Hulpe. « Je suis arrivée le vendredi, le lundi, je travaillais… »
« Quand j’étais enfant, mon père tuait une vache et on séchait la viande au soleil pour pourvoir la cuisiner pendant des mois. Je me souviens du patache. C’est un potage de fèves séchées, de blé et de viande séchée. Petites, ma soeur et moi devions le faire cuire à la braise, dans un four creusé dans la terre. On était toutes noires!«
Une sacrée personnalité
Gloria finit par régulariser sa situation et fait venir ses enfants. Ainsi que son ex-mari… « Pour que ses enfants aient un père », confie Luis, immensément fier de sa mère. Pour faire chauffer la marmite, elle multiplie les petits boulots, travaillant notamment dans les cuisines de divers restaurants latinos de Bruxelles. Au fil des ans, ce sacré caractère s’impose comme une personnalité en vue dans la petite communauté péruvienne bruxelloise (environ 3000 personnes). Elle donne des cours de danse, elle cuisine, tandis que sa maison est ouverte à toutes celles et ceux qui ont besoin de parler ou de recevoir des conseils.
Un personnage cette Gloria Erazo! Et une bonne cuisinière… Comme l’on s’en rend compte au moment de passer à table. Tout le monde se jette sur sa causa rellena, excellent chausson de purée de pomme de terre farci au thon. Mais c’est la carapulcra, plat de fête par excellence (cf. recette ci-dessous), qui impressionne par son histoire! Même si Gloria avoue : « A la maison, je cuisine comme les Belges. La cuisine péruvienne, ça prend trop de temps; c’est pour le week-end ou les occasions spéciales… »
Pérou/Belgique
« Ce qui me manque du Pérou, c’est la pachamanca, la viande cuite à la braise dans la terre. A la campagne, on cuit ainsi une demi-vache ou un cochon… C’est une tradition préhispanique, liée à la Pachamama, la Terre-Mère. Le yuco, un cousin de l’oca, me manque aussi. C’est un tubercule impossible à ramener ici car il pourrit rapidement », explique Gloria, nostalgique.
En Belgique, elle apprécie les frites, les choux de Bruxelles, les asperges (impayables au Pérou, pourtant gros producteur pour l’export)… « Par contre, dans mon pays, les fruits, c’est autre chose qu’ici… »
Dans les placards de Gloria
Dans le frigo de Gloria, on trouve des fruits et légumes, de la Jupiler pour les amis, de l’Inca Cola pour les petits-enfants mais aussi de la sauce hoisin, de la sauce soja et de l’huile de sésame. Ainsi que des piments frais et du queso fresco ramenés du Pérou ou du « miel », un sirop maison pour les picarones (beignets de patate douce et de potiron). Au congélateur, des tripes de bœuf (pour préparer un plat péruvien d’origine africaine), un reste de chicharrones…
Les placards, eux, débordent d’épices (origan, graines de cumin, girofle, cannelle, curry), de féculents et de légumineuses (maïs, quinoa, blé, fèves, riz…).
La recette de Gloria
Carapulcra (ragoût de pommes de terre séchées)
« C’est un plat que faisait ma grand-mère, qui est morte à l’âge de 110 ans !» La carapulcra est un des plats les plus anciens du Pérou. En aymara, langue indienne minoritaire du sud du pays, ce mot signifie « cailloux » car ce ragoût est préparé à avec des papas secas, pommes de terre épluchées et séchées au soleil ressemblant à de petites pierres et qui permettait aux civilisations précolombiennes de tenir pendant les périodes de disettes.
Au village, la viande étant trop chère, la carapulcra était préparée uniquement à base de pommes de terre. Aujourd’hui, à Lima, c’est un plat de fête, cuisiné avec de la poule et du porc pour les mariages ou les anniversaires.
Ingrédients (pour 2 pers.) :
1 kg de papas secas (on en trouve à l’épicerie péruvienne « Dimension Latina » au centre-ville), 1 grosse poule (pour le bouillon et dont on garde env. 1,2 kg pour la préparation), 1 kg de poitrine de porc, 3 oignons blancs, 1 grosse tête d’ail, 2 aji panca (piment péruvien), 1 c.à.c. d’achiote (roucou), 2 feuilles de laurier, huile végétale, sel.
Pour le service: oignons rouges et poivrons émincés mélangés à du jus de citron; manioc cuit.
Préparation :
La veille, faire tremper les papas secas dans l’eau froide durant toute la nuit.
Désosser la poule, en réserver les plus beaux morceaux (env. 1,2 kg). Avec les carcasses, les ailes…, préparer un bouillon.
Dans une grande casserole, faire chauffer un peu d’huile. Quand elle bien chaude, faire colorer les morceaux de porc puis ceux de poule que l’on a réservés. Saler et faire revenir pendant une dizaine de min.
Pendant ce temps, faire tremper le piment dans un peu d’eau chaude. Mixer pour obtenir une pâte.
Dans la casserole, ajouter l’achiote, l’oignon ciselé, l’ail haché finement et la pâte de piment. Bien amalgamer le tout puis couvrir avec le bouillon de poule chaud. Cuire une trentaine de min.
Rajouter les pommes de terre égouttées et les feuilles de laurier. Terminer la cuisson pendant une demi-heure. Rectifier l’assaisonnement.
Servir bien chaud parsemé d’oignons rouges et poivrons avec du yuca (manioc) bouilli.
¡Buen provecho!
Les bonnes adresses de Gloria
« Un resto péruvien à Bruxelles? Ça n’existe pas… Ce qu’on trouve ici, ce n’est pas la vraie gastronomie péruvienne, se désole Gloria. Le ceviche, ce n’est pas comme ça qu’on le prépare chez nous… » Si elle ramène beaucoup de produits lors de ses retours au pays ou se les fait envoyer par sa famille, pour le dépannage, elle choisit l’épicerie El Pueblo latino à Saint-Gilles.
Quand elle sort en famille, Gloria aime aller manger de la viande grillée au Brussels Grill de la Toison d’Or. Elle est aussi une habituée de La cité du Dragon à Uccle ou, près de chez elle, du Yamayu Santatsu.
quelle belle série de portraits! Merci, vous pouvez continuer sur votre lancée 😉
Ces portraits m’emmènent sur de jolies routes à la découvertes de personnalités et cuisines « évasion », j’adore . . . encore !! 🙂
Bonjour,
Oh, non, pas termine ! Encore, encore, encore !
ces parcours culinaires et atypiques de femmes de divers horizons sont tout simplement formidables. on en redemande ! les photos sont très belles.