La célèbre chaîne américaine KFC (Kentucky Fried Chicken) a inauguré sa première enseigne en Belgique le 5 juin, gare du Nord à Bruxelles. Il ne s’agit pas de se réjouir de l’ouverture d’un énième fast-food dans la capitale, mais de profiter de l’occasion pour évoquer le poulet frit, un classique ancré dans l’histoire américaine.

Made in Old Dixie

On le déniche dans tous les États-Unis mais c’est dans le Sud que le poulet frit est le plus populaire. Comme le barbecue, c’est en effet là qu’il puise en effet son origine. Ce seraient les immigrants écossais qui, aux XVIIIe et XIXe siècles, auraient emmené dans leurs valises cette technique de cuisson, tandis que les esclaves originaires d’Afrique de l’Ouest auraient définitivement popularisé le plat et fixé les bases de la recette actuelle. Soit un poulet épicé et passé dans une pâte à frire.

Animal commun en Afrique de l’Ouest, le poulet y était accommodé frit dans de l’huile de palme. Pour les esclaves des plantations du Sud, le poulet était bien souvent le seul animal qu’ils étaient autorisés à élever, en créant même une micro-économie autour de la vente de celui-ci. 

En charge des cuisines, les esclaves afro-américaines vont alors répandre le goût du poulet frit épicé chez leurs tortionnaires blancs. Après l’abolition de l’esclavage, ce plat a essaimé dans tout le Sud et bien au-delà. Et il ne manque jamais sur les tables américaines au moment des fêtes, comme l’Independance Day par exemple. Car il faut du temps pour réaliser du poulet frit!

Et le Colonel arriva…

Mais Harland Sanders — surtout connu sous son titre honorifique de Colonel Sanders — va changer la donne… Début de 1930, il ouvre une station-service à Corbin dans le sud du Kentucky où, en plus de l’essence, il sert à ses clients du poulet frit et autres spécialités du sud des États-Unis.

Fort de son succès, il ouvre en 1931 un café-restaurant de 142 couverts de l’autre côté de la rue, le Sanders Café. Celui-ci brûle dans un incendie mais, qu’à cela ne tienne, le Colonel le rebâtit en y annexant un Motel9. C’est la réputation du poulet frit qui font se déplacer les clients. Une recette toujours secrète qui contiendrait onze herbes et aromates, couplée à une méthode de cuisson ultra-rapide à l’autocuiseur, nouvelle invention qu’il découvre alors.

Pendant la Seconde guerre mondiale, en 1942, à cause du rationnement du carburant et donc du trafic routier, il est contraint de fermer son établissement. Mais dès 1952, convaincu par le potentiel de sa recette, il se lance dans la franchise de restaurants de poulet. Pionnier du marketing du fast-food, il invente le nom Kentucky Fried Chicken, le bucket — le seau en carton contenant les morceaux de poulet —, le slogan « Finger lickin’ good » (bon à s’en lécher les doigts) et devient une icône des fast-food US en s’imposant comme l’emblème de sa marque (toujours présent sur le logo actuel). A la fin des années 1950, il est ainsi à la tête d’un empire de 400 restaurants franchisés.

En 1964, il décide de vendre son entreprise à des entrepreneurs du Kentucky pour deux millions de dollars. S’il continue pendant quelque temps à servir d’ambassadeur pour la marque, en 1974, il attaque sa propre société pour non-respect des clauses imposées et ne cessera de critiquer la qualité de la nourriture servie dans les KFC jusqu’à sa mort en 1980…

En version hot & black

Au même moment où le Colonel Sanders mettait au point sa recette de poulet frit, une autre version du poulet frit naissait, toujours dans le Sud mais dans le Tennessee cette fois: le « Nashville hot chicken ». Soit un poulet frit en version piquante, même très piquante! 

Dans la capitale de la country, on raconte que, durant la Grande Dépression, un homme à femmes, le Black Thornton Prince, rentrait un matin chez sa copine du moment après avoir découché une énième nuit… Celle-ci lui prépara son plat préféré au petit-déjeuner, du poulet frit. Mais pour se venger, elle s’assura de l’épicer au point de le rendre immangeable… Sauf que, loin de s’étouffer, Prince adora cette version très spicy du poulet frit… Au point qu’en 1945, il ouvrit avec ses frères un shack, le Prince’s Hot Chicken (cf. ci-contre). Aujourd’hui, l’affaire est toujours dans la famille, puisque c’est sa nièce qui est à la tête de l’affaire. Et en 2013, l’établissement a même reçu la reconnaissance suprême de la James Beard Foundation, en étant nommé parmi les restaurants « American Classic ». La popularité du hot chicken a ainsi bien dépassé les frontières du Tennessee…

Le « Prince’s Hot Chicken Shack », à Nashville

 

Fried chicken road-trip

En préparant un voyage dans le Sud des États-Unis, on avait souligné, au chapitre Kentucky du guide Lonely Planet, ce conseil lorsque l’on est proche de la Natural Arch Scenic Area: « Dans la ville voisine de Corbin, se trouve le premier restaurant Kentucky Fried Chicken (KFC), décoré d’une statue grandeur nature de son fondateur, le fameux colonel Sanders. » « Oh, ça a l’air bien kitsch! On y va? » Une fois sur place, on laissera finalement tomber. Le détour est trop long pour aller en pèlerinage sur les traces d’une chaîne qui, comme les autres fast-food, représente désormais le pire de la standardisation et de l’industrialisation alimentaires…

Si la chaîne KFC est très populaire, elle a contribué dans le même temps à véhiculer la mauvaise image du poulet frit. Laquelle est par ailleurs souvent associée à la culture noire. Quand le golfeur Tiger Woods rate un parcours, il peut ainsi recevoir des insultes racistes du genre: « T’as mangé trop de poulet frit! »

Dans le Sud, le poulet frit est néanmoins omniprésent et a transcendé les clivages raciaux pour s’imposer comme un classique américain, que l’on déguste partout, sur des gaufres (le classique chicken & waffles), avec des buttermilk biscuits ou du mac & cheese.

En noir et blanc

Chez Monell’s, dans le quartier de Germantown à Nashville, on fait ainsi la file, le samedi matin, pour le « country breakfast » à 15$. Noirs et blancs s’assoient ici autour d’une même grande table. « Sers-toi et fais passer à gauche », explique la serveuse, en déposant toutes les merveilles du Vieux Sud: cinnamon buns, biscuits & gravy, grits, corn pudding, pancakes, une généreuse assiette de viandes (country ham, saucisses, bacon). Et, bien sûr, un excellent poulet frit, merveilleusement croustillant à l’extérieur et tendre à l’intérieur.

A Lynchburg, fief de la distillerie Jack Daniel’s, on retrouve le même principe chez Miss Mary Bobo’s où, là encore, le poulet frit trône fièrement au centre de la table d’hôtes depuis des générations avec un thé glacé bien sucré. Plus américain, tu meurs!

Dans le Tennessee toujours, Nashville est la capitale du hot fried chicken, plutôt « black » celui-là. Que l’on déguste, côté fast-food, chez Hattie B’s, servi avec du coleslaw ou du collard (variété de chou typique de la cuisine du Sud).

Mais il est cent fois meilleur au Prince’s Hot Chicken Shack. Dans cette institution familiale restée dans son jus, on prépare le poulet frit dans les règles de l’art. Seuls quelques clients blancs font le déplacement dans ce quartier excentré du nord de la ville. Pourtant, malgré l’attente interminable même à minuit (« I’m not a fast cook. I’m not a slow cook. I’m an half-fast cook », clame une affiche…), celle-ci est récompensée par un demi-poulet pimenté (selon sa résistance, jusqu’à la version XXXHot) et bien juteux, que l’on déguste avec les doigts sur des tranches de pain de mie, avec des pickles. On a les mains sales mais qu’est-ce que c’est bon! On est loin des wings et autres nuggets d’enseignes multinationales…

De Miami à Seattle

En sillonnant les routes des Etats-Unis, on trouve partout ce classique de la Soul Food. Comme à l’excellent Yardbird Southern Table à Miami-Beach. Ici, on se régale des « Mama’s chicken biscuits », où le poulet frit est servi avec de délicieux biscuits maison.

Dans le même esprit de cantine sudiste moderne, Soul City Kitchen à Atlanta sert son poulet de ferme épicé avec des gaufres et du sirop d’érable du Vermont (photo principale de l’article). Mmême si on lui préfère un autre classique du Sud, lles tout aussi frits beignets de tomate verte au fromage de chèvre.

Mais le poulet frit est également revisité de façon plus exotique. Sur la très branchée Division Street à Portland, tout le monde court chez Pok Pok, resto thaïlandais d’Andy Ricker dont l’un des classiques devenu culte sont les ailes de poulet pimentées à la fish sauce vietnamienne.

Toujours sur la Côte Ouest mais un peu plus au nord, à Seattle, Tray Kitchen, petit resto fusion coréen branché du quartier de Fremont, servait, avant sa fermeture, un « KFC », pour « Korean Fried Chicken », à se pourlécher les babines. Appelé « chikin » en Corée, le poulet frit est apparu durant la Guerre de Corée, avec le stationnement des troupes américaines dans le sud du pays.

Preuve qu’aux États-Unis comme ailleurs, le poulet frit est devenu un classique universel…

Le comptoir du mythique « Prince’s Hot Chicken Shack », où est né le Nashville hot chicken…

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