Petite promenade sur les routes du Kentucky et du Tennessee, de Bardstown aux Appalaches à la découverte du whiskey américain (bourbon, Tennessee whiskey, rye, moonshine…), dont la demande ne fait qu’exploser depuis plusieurs années. A tel point qu’aujourd’hui, certains craignent la rupture de stocks!

Kentucky: des chevaux et du bourbon

Quand on roule sur les routes du Kentucky, on est surpris par ces paysages campagnards tirés à quatre épingles. Très verte et vallonnée, la région de Lexington est célèbre pour ses immenses élevages de chevaux, aux prés nets et délimités par de belles barrières en bois. On y trouve presqu’autant de distilleries . Le Kentucky reste en effet le principal centre de production du bourbon aux Etats-Unis.

Le whiskey américain est pourtant né chez les immigrants écossais et irlandais sur la côte Atlantique. Fuyant les taxes, ceux-ci se sont enfoncés dans les terres, vers les Appalaches et le Kentucky, à la fin du XVIIIe siècle. S’adaptant à la culture locale du maïs (plus facile à faire pousser que l’orge), le whisky devient bourbon.

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

La très chic distillerie Woodford Reserve à Versailles, près de Lexington, Kentucky.

Un mot dont l’étymologie reste incertaine. Pour certains, ce nom viendrait de l’ancien Bourbon County (Kentucky), où il aurait été produit pour la première fois. Pour d’autres, de la célèbre Bourbon Street à La Nouvelle Orléans, par où transitait le whiskey américain en vue de sa commercialisation. Les légendes sur son invention sont elles aussi multiples. La plus populaire fait appel au révérend baptiste Elijah Craig, qui fonda une distillerie vers 1789 dans le Comté de Fayette… Aujourd’hui, un bourbon porte toujours le nom d’Elijah Craig.

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

A Frankfort, KY, la distillerie de Buffalo Trace, dont certains bâtiments remontent à 1792, est classée National Landmark depuis 2013. Gratuite, la visite est très intéressante.

Quelle que soit son origine, une chose est sûre  : le bourbon connaît un formidable retour en grâce. A tel point que même les single malts écossais lui courent désormais après, en sortant des cuvées jouant sur ses caractéristiques, toujours plus rondes, plus douces… C’est le cas, récemment, du Cardhu Amber Rock par exemple.

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Visite de Four Roses

Souriant et passionné, Jim Rutledge est une légende du bourbon. Né dans le Kentucky, il travaille pour Four Roses depuis 1966. Longtemps commercial pour la marque à New York, c’est lui qui a choisi de revenir à Lawrenceburg en tant que maître distillateur en 1996. Depuis, il se bat pour rendre ses lettres de noblesse à la marque, très connue dans les années 40 – quand elle pouvait s’offrir une publicité géante sur Times Square pour fêter la fin de la Seconde Guerre mondiale. Avant de sombrer dans l’oubli, lorsqu’elle est rachetée par le géant canadien Seagram dans les années 60 et qu’on l’associe définitvement au blended whiskey bas de gamme.

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Depuis 1999 et la revente par Seagram à un groupe japonais, Four Roses a, sous l’impulsion de Rutledge, changé de stratégie. Ayant renoncé au blend depuis 2002, la marque s’est recentrée sur le bourbon. Axant sa communication sur son procédé de fabrication unique, Four Roses redevient un bourbon coté, notamment pour ses éditions limitées single barrel très appréciées.

“On travaille d’abord sur ce qui entre dans les barriques plutôt que sur ce qui en sort”, explique le maître distillateur. Four Roses est ainsi la seule distillerie à produire 10 whiskeys différents en jouant sur deux recettes de moûts (avec une proportion différente de maïs, de seigle et d’orge) et 5 levures. Reste ensuite à combiner ces différentes distillations pour obtenir l’équilibre recherché. “Ce procédé existe depuis les années 40 mais le goût a changé au fil du temps. Je suis sûr que notre bourbon est meilleur aujourd’hui”, estime Rutledge.

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Explosion de la demande

Comme tous les professionnels du monde du bourbon, Jim Rutledge constate l’explosion de la demande en bourbon depuis 10 ans, aux Etats-Unis et à l’étranger. Ce qui a même pu faire dire à certains spécialistes, cet été, qu’on était proche de la rupture de stocks. Chez Four Roses, on a pris les devants en modernisant et en agrandissant la distillerie il y a sept ans.

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

De quoi absorber la progression constante de la production : +40 % en 2010, +60 % en 2011 et +71 % en 2012 !, explique Rutledge en faisant visiter ses installations, à l’arrêt en ce début août – l’été est une période trop chaude pour produire le bourbon. Des installations de belle taille, avec 23 cuves de fermentation, mais qui restent néanmoins à taille humaine. On est loin en effet de certaines distilleries-usines.

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Ce regain d’intérêt pour le bourbon s’accompagne de phénomènes de mode. Et notamment une course folle au vieillissement. Ainsi, le Pappy Van Winckle 23 ans est l’un des bourbons les plus recherchés. Les quelques bouteilles mises sur le marché chaque année par Buffalo Trace (propriétaire de la marque) s’arrachent à prix d’or (env. 250$ la bouteille) !

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Un verre de Pappy Van Winckle 20 ans dans un bar? Env. 50$!

Pourtant, pour Jim Rutledge, le bourbon est à son apogée après une une dizaine d’années de vieillissement maximum (contre une vingtaine pour le single malt écossais). C’est le cas de ses remarquables single barrel, contre 6 ans pour le Four Roses de base “Yellow Label”. “Exceptionnellement, un bourbon de 20 ans peut être bon, explique-t-il. Le meilleur bourbon que j’ai jamais bu est un Four Roses de 18 ans. Mais je pense que c’est surtout du marketing…”

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Chez Buffalo Trace, qui produit de nombreuses marques à partir de la même recette de bourbon (seuls le vieillissement et les mélanges changent), l’embouteillage est encore manuel… Buffalo Trace produit par exemple le Buffalo Trace, le Blanton’s (Single Barrel), l’Eagle Rare (Single Barrel), le George T. Stagg, le Pappy Van Winkle (Single Barrel) mais aussi le Van Winckle (Wheated Bourbon) ou le Sazerac (Rye).

Retour en grâce du rye

L’explosion du bourbon a des répercursions sur l’ensemble de la production de whiskey aux Etats-Unis. Ainsi, se met-on à produire désormais du bourbon ailleurs qu’au Kentucky. Des micro-distilleries se créent un peu partout de la côte Est à la côte Ouest. Tandis que le rye, produit à base de 51 % de seigle min. (contre 51% de maïs min. pour le bourbon), revient lui aussi sur le devant de la scène. Originaire des Etats du Nord-Est (Pennsylvanie en tête), ce whiskey plus sec et plus épicé que le bourbon est aujourd’hui produit par la plupart des grandes marques. Même Jack Daniel’s s’y est mis !

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

L’excellent High West Double Rye est produit… dans l’Utah!

Jack Daniel’s, ce n’est pas du bourbon

Mais attention à ne pas confondre, au risque de heurter les susceptibilités… La marque de whiskey américain la plus connue au monde n’est pas un “Kentucky straight bourbon”! Le fameux “N°7” de Jack Daniel’s est en effet produit au Tennessee. Il s’agit donc d’un “Tennessee whisky”. Si la distillerie de Lynchburg est une attraction touristique majeure, elle a la particularité de se trouver dans un “dry county”. Ce qui signifie qu’il est interdit de goûter la production sur place!

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Si l’on ne peut se résoudre à cette incongruité – et si l’on trouve le “Jack” un peu trop sucré –, on mettra le cap, à une vingtaine de kilomètres de là, sur George Dickel. Située sur la très jolie Cascade Hollow Road non loin de Normandy, cette distillerie de carte postale a été créée en 1877, dix ans après Jack Daniel’s. Elle sert toujours de bureau de poste aujourd’hui…

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Si elle appartient désormais au géant britannique Diageo, la production reste limitée. Agréable, la visite met l’accent sur la fabrication – notamment sur la filtration au charbon d’érable, qui fait particularité du Tennessee whiskey – et se finit ici par une dégustation.

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Le bois d’érable est enflammé en plein air pour la fabrication du charbon qui servira à filtrer le whisky après distillation…

Une chance de découvrir ce whiskey non distribué en Belgique. Limitée, la gamme est très intéressante, entre le “N°8” classique, l’excellent 12 ans d’âge, le “Barrel select” (small batch) et le corn whiskey non vieilli.

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Moonshine: nostalgie de la contrebande

La vogue du bourbon s’inscrit dans une nostalgie plus large pour le passé de l’Amérique, et notamment pour l’époque de la Prohibition. Que ce soit à travers le boom des bars à cocktails speakeasy ou la redécouverte du moonshine, ancien alcool de contrebande.

bourbon,rye,single cask,single barrel,straight bourbon,tennessee whiskey,moonshine

Installée dans la ville de Gatlinburg, à l’entrée du magnifique parc national des Great Smoky Mountains (les Appalaches), l’Ole Smoky Distillery produit depuis 2010 le premier Tennessee Moonshine légal. D’autres, comme Sugarlands, ont suivi. Mais l’on est ici dans une véritable attraction touristique. Les Américains viennent entre amis pour déguster à la chaîne, au son du bluegrass, cet alcool de maïs parfumé à la fraise, au cassis ou au chocolat.

On est loin de la tradition du Kentucky straight bourbon ou du Tennessee whiskey, qui ont su donner au whiskey américain ses lettres de noblesse…

Kentucky Bourbon Trail

Depuis 1999, le Kentucky Bourbon Trail est un circuit touristique qui relie huit grandes distilleries de l’Etat  : Evan Williams à Lousiville, Four Roses et Wild Turkey à Lawrenceburg, Heaven Hill à Bardstown, Jim Beam à Clermont, Maker’s Mark à Loretto, Town Branch à Lexington et Woodford Reserve à Versailles.

Le circuit met également à l’honneur neuf distilleries plus artisanales: Barrel House à Lexington, Corsair Artisan à Bowling Green, Limestone Branch à Lebanon, MB Roland à Pembroke, New Riff à Newport, The Old Pogue à Maysville, Silver Trail à Hardin, Wilderness Traill à Danville et Willett à Bardstown.

Un livre: Bourbon & Blues

Publié par le Hollandais Hans Offringa (déjà auteur de « Malts & Jazz »), spécialiste des whiskies écossais comme américains, « Bourbon & Blues » est une plongée passionnante, et en musique, dans l’histoire du bourbon et du Sud des Etats-Unis.

  • Publié chez Conceptual Continuity (224 pp., env. 13,70€). Egalement disponible en format numérique Kindle (6,41€).