Lundi, étaient remis à Paris les premiers World Restaurant Awards, prix internationaux qui tentent une nouvelle approche de la gastronomie en misant sur la découverte. C’est ainsi une adresse inconnue, le Wolfgat en Afrique du Sud, qui a reçu le prix du « restaurant de l’année ».

« Un discours de remerciements, c’est comme un soufflé. C’est une question de timing. Donc, ne surcuisez pas ! » Avec son French accent inimitable en anglais, Antoine de Caunes était un parfait maître de cérémonie, lundi soir au Palais Brongniart, l’ancienne de Bourse de Paris, pour les premiers World Restaurant Awards. Lesquels ont été remis devant un parterre réunissant les plus grands noms de la gastronomie mondiale. On a ainsi pu croiser le Brésilien Alex Atala, l’Argentin Mauro Colagreco (qui, basé à Menton, célébrait au passage sa troisième étoile ), l’Américain Dan Barber , le Parisien Yannick Alléno ou encore l’Irlandaise Clare Smyth .

Tout sauf un classement

Imaginés par le Britannique Joe Warwick et l’Italien Andrea Petrini (journaliste et chef d’orchestre de l’événement culinaire itinérant Gelinaz! ), ces prix internationaux tentent une nouvelle approche de la gastronomie. « Quand on a réfléchi au concept en mai dernier, on a décidé que ce ne serait pas une putain de liste ! Ce qu’on a essayé de faire, c’est d’imaginer une chouette cérémonie de prix » (façon Oscars), explique Warwick, avouant une légère gueule de bois au lendemain de cette soirée très festive. Piquant de la part de celui qui s’est justement fait un nom en développant en 2002 le très influent Fifty Best , rapidement copié par d’autres classements des « meilleurs restaurants », comme l’ OAD , l’Elite Travel 100 ou encore La Liste. « Cette idée du meilleur restaurant, avec uniquement ce qu’il y a dans l’assiette, c’est un peu de notre faute ; j’ai fait partie de cela… Ceci dit, l’article original sur les 50 meilleurs restaurants du monde, qui donnera ensuite naissance au classement Fifty Best , n’était pas mon idée ; on m’a juste demandé de l’écrire. Un peu comme quand GQ ou Rolling Stone font un article sur les 50 meilleurs albums de l’Histoire. »

« Ici, on voulait faire quelque chose de nouveau, de différent, en ne se focalisant pas toujours sur les mêmes restaurants. Même si, hier soir, on a parlé du Noma ou du Mugaritz. Cela ne signifie pas qu’on ne les aime pas mais on veut parler de toute la gamme des expériences au restaurant , explique le directeur créatif de ces World Restaurant Awards (photo)… Cela vient en partie de mon travail sur Where Chefs Eat , guide qui recense des endroits perdus, des adresses très locales, pour le petit-déjeuner… P our écrire l’article original World’s 50 Best Restaurants pour le magazine Restaurant, j’étais en contact avec un journaliste japonais. Quand je lui ai demandé quels étaient ses cinq restaurants favoris ? Il m’a répondu : ‘Celui-là pour les sushis, celui-ci pour le menukaiseki , celui-ci pour les anguilles, celui-là pour les oursins…’ Je me disais qu’il ne comprenait vraiment rien. Mais il avait tout compris en fait ; c’est moi qui n’avais pas compris à l’époque. C’est comme pour la musique ou le cinéma : vous avez envie de ne regarder que des comédies romantiques ? De n’écouter que du R’n’B ? Il y a tellement d’expériences différentes. Et durant ces 20 dernières années, la scène culinaire a énormément changé. Il ne s’agit plus seulement d’aller dans un restaurant cher, guindé, gastronomique, si ce mot a toujours un sens… »

Joe Warwick, directeur créatif des World Restaurant Awards. Photo Laurie Fletcher

La découverte comme objectif

Pour décerner ces World Restaurant Awards, Warwick et Petrini ont fait appel à un panel de 100 votants (avec une parité hommes-femmes), réunissant des chefs et des journalistes du monde entier, auxquels ont été soumises 18 catégories différentes. Ils ont accouché d’une « long list » , puis d’une « short list » de nommés, qui ont ensuite été départagés, catégorie par catégorie, par des équipes d’inspecteurs. Et le pari revendiqué de la découverte est plutôt réussi, puisqu’ont émergé de nouvelles têtes. A commencer par le grand gagnant de cette soirée : le Wolfgat de Kobus van der Merwe (en photo ci-dessous aux côtés de Margot Janse, cheffe sud-africaine), qui reconnaît avoir été le premier surpris de recevoir le prix du « restaurant de l’année » !

« Hier, lors de la soirée inaugurale, je me promenais parmi mes héros, tous ces grands chefs qui m’ont inspiré. Et quand je me présentais à eux, je voyais bien sur leur visage un grand point d’interrogation… C’est vraiment inattendu pour moi , nous confiait, lundi soir, le jeune chef sud-africain. Wolfgat est un petit restaurant de 26 places, installé dans un ancien cottage vieux de 140 ans, dans un village de pêcheurs. On cuisine un court menu dégustation de sept plats, à partir des produits de la mer locaux, d’algues, de malacophytes et d’herbes locales, qu’on cueille, selon les saisons, dans une zone de six kilomètres autour du village. C’est vraiment focalisé sur ce terroir. Pareil pour la carte des vins, limitée certes, mais composée de bouteilles issues du même terroir que la nourriture que l’on présente… »

« La prochaine fois que je vais en Afrique du Sud, je vais chez Wolfgat . Ça m’a vraiment donné envie ! » , s’enthousiasme Antoine de Caunes, qui se présente comme un « cinglé de bouffe japonaise » « A partir de la bouffe, on peut faire un état des lieux du monde dans toutes les directions. On peut parler de gastronomie, d’alimentation, de nourriture, de matières premières, de problèmes économiques… C’est un carrefour incroyable. Cela dépasse considérablement le côté on se régale, on se goinfre… » , confie l’animateur de La Gaule d’Antoine sur Canal +, émission de voyage dans laquelle la gastronomie a évidemment une place de choix.

Yvan Crispo (RP de chez Lotus à Londres), Kobus van der Merwe (chef du « Wolfgat ») et Margot Janse (cheffe sud-africaine). Photo WRA

Une approche décomplexée de la gastronomie

Pour faire vivre la cérémonie, lui garder un certain rythme, à côté des prix principaux (les « grandes assiettes »), étaient décernées des « petites assiettes », nettement plus fantaisistes. Avec, par exemple, un prix du compte Instagram attribué à Alain Passard ou celui du chef non tatoué remis à Alain Ducasse (photo ci-dessous). « Beaucoup de gens n’ont pas compris ce prix. C’était pour rire, mais aussi dire qu’il existe aussi des chefs comme Ducasse, plus classiques, qui ne suivent pas les modes. Qu’il n’y a pas que des chefs rock’n’roll tatoués. Certains trouvent la catégorie « vin rouge » ridicule. Mais cela vient de notre expérience à Andrea et moi, qui avons eu une révélation à force d’aller dans tous ces restos d’Europe du Nord, avec des menus dégustation ne proposant que du vin blanc, plus adapté aux saveurs de cette nourriture. Mais où est le vin rouge ? Pareil pour la catégorie « sans pincettes », alors que la plupart des restaurants les utilisent pour décorer leurs assiettes. On a joué les contradictions. Entre les réseaux sociaux et le journalisme long format. Entre la nouveauté de l’année et des restaurants qui sont là depuis plus de 50 ans » , plaide Warwick. Qui annonce que les cartes seront d’ailleurs entièrement rebattues l’année prochaine, avec de nouvelles catégories.

Alain Ducasse remporte la « petite assiette » du chef non tatoué. Photo Dominique Charriau/Getty/IMG

Le palmarès des premiers World Restaurant Awards

Big Plates (Grandes assiettes)

  • Original Thinking (chef à la créativité remarquable): Le Clarence de Christophe Pelé (Paris, France)
  • Off-Map Destination (destination hors des sentiers battus): Wolfgat de Kobus van der Merwe (Paternoster, Afrique du Sud)
  • No Reservations Required (sans réservation): Mocotó de Rodrigo Oliveira (São Paulo, Brésil)
  • House Special (spécialité de la maison): le cacio e pepe en vessie de porc du Lido 84 de Riccardo Camanini (Lac de Garde, Italie)
  • Forward Drinking (carte de boissons inventive): Mugaritz de Andoni Luis Aduriz (Saint-Sébastien, Espagne)
  • Event of the Year (événement de l’année): Refugee Food Festival (divers lieux)
  • Ethical Thinking (réflexion éthique): Refettorio (Food for Soul) de Massimo Bottura (Milan, Londres, Paris…)
  • Collaboration of the Year (collaboration de l’année): le Café Paradiso de Denis Cotter et la ferme Gort na Nain d’Ultan Walsh (Cork, Irlande)
  • Enduring Classic (le classique qui dure):  La Mère Brazier de Mathieu Viannay (Lyon, France)
  • Arrival of the Year (nouveauté de l’année): Inua de Thomas Frebe (ancien du Noma ) (Tokyo, Japon)
  • Restaurant of Year (restaurant de l’année): Wolfgat de Kobus van der Merwe (Paternoster, Afrique du Sud)

Small Plates (Petites assiettes)

  • Tweezer-Free Kitchen (cuisine sans pincettes): Bo.Lan de Bo et Dylan Jones (Bangkok, Thaïlande)
  • Trolley of the Year (charriot de l’année): Ballymaloe House (Cork, Irlande)
  • Tattoo-Free Chef (chef non tatoué): Alain Ducasse (Paris, France)
  • Instagram Account (compte Instagram: Alain Passard (Paris, France)
  • Long-Form Journalism (journalisme long format): Lisa Abend pour « The Food Circus » dans Fool Magazine , USA/Suède)
  • Red-Wine Serving Restaurant (carte de vins rouges): Noble Rot de Paul Weaver (Londres, Grande-Bretagne)

Palmarès commenté et infos: www.restaurantawards.world .

Riccardo Camanini, prix de la spécialité de la maison pour son cacio e pepe en vessie de porc au « Lido84 ». Photo Dominique Charriau/IMG