Ce lundi après-midi, rendez-vous était donné à tout le gratin de la gastronomie française salle Gaveau à Paris, pour la cérémonie de remise des étoiles Michelin, présentée par la journaliste Audrey Pulvar et Gwendal Poullennec, le nouveau directeur international du célèbre guide rouge.

Dès la veille, les médias français annonçaient quelques lourdes indiscrétions, avec une hécatombe du côté des trois étoiles… Il aura fallu attendre la fin de la cérémonie et la distribution des guides pour que celle-ci se confirme, le Michelin ne mettant jamais en lumière les perdants. Et pas des moindres puisque trois chefs triplement étoilés sont rétrogradés à deux macarons : Marc Veyrat (en photo),  alors qu’il venait d’obtenir sa troisième étoile en 2018 à La Maison des bois en Haute-Savoie, le Parisien Pascal Barbot à L’Astrance, ainsi que Marc Haeberlin à L’auberge de l’Ill, véritable institution en Alsace.  L’hécatombe touche également Alain Dutournier patron du « Carré des Feuillants », à Paris, qui perd également sa deuxième étoile…

Deux nouveaux trois étoiles

Dans son édition 2019, la France compte néanmoins deux nouveaux trois étoiles, abaissant le total à 26 (27 si l’on compte Alain Ducasse à Monaco), sur 127 restaurants triplement étoilés dans le monde. Il s’agit de Laurent Petit au Clos des Sens à Annecy, un ancien de chez Michel Guérard très ému au moment de monter sur scène avec son épouse et fier de décrocher le Graal « avec une simple racine d’endive ou une poire en croûte de sel ».

Le second est quant à lui une véritable star de la gastronomie internationale (déjà 4e au très influent classement Fifty Best), l’Argentin Mauro Colagreco, installé au Mirazur à Menton.

Cinq nouveaux deux étoiles

Du côté des deux étoiles, cinq chefs ont été salués. A Montlivault, dans la Loire, l’excellent Christophe Hay est récompensé pour son incroyable travail sur le terroir ligérien à La Maison d’à côté.

On se réjouit également pour l’excellent David Toutain (photo) et son restaurant homonyme parisien, et pour Stéphanie Le Quellec, gagnante de l’émission Top Chef en 2011, à la tête du restaurant La Scène à l’hôtel Prince de Galles à Paris. A Cancale, Hugo Roellinger marche sur les traces de son père au Coquillage. On reste par contre plus circonspect pour l’ultra-moderniste Alexandre Mazzia au AM à Marseille.

Photo Omnivore

68 nouveaux étoilés

Enfin, sur la dernière marche du podium, on compte 68 nouveaux étoilés, dont – influence du rachat du Fooding par le Michelin ? – de nombreuses jeunes tables parisiennes, comme le Frenchie de Grégory Marchand, Virtus de la Japonaise Chiho Kanzaki et de l’Argentin Marcelo Di Giacomo, Abri du Japonais Katsuaki Okiyama ou La condesa du jeune Mexicain Indra Carrillo (photo). Mais aussi de grands chefs comme Jean-François Piège à La poule au pot ou Yannick Alléno à L’Abysse, tous deux à Paris.

Crédit Laurent Dupont

Un électro-choc pour la gastronomie française

Si le guide Michelin France référence 632 tables étoilées et que le millésime 2019 s’est enrichi de 75 nouveaux établissements – un record jamais atteint -, certains chroniqueurs gastronomiques, comme Périco Légasse (qui avait déjà dévoilé hier la liste des grands perdants de cette édition dans sa rubrique « Savoir Vivre » du journal Marianne) n’avaient pas hésité à parler d’« étoiles pour l’échafaud ». Une référence à l’exécution de Louis XVI, qui a eu lieu, elle aussi, un 21 janvier…

Déjà l’année dernière, l’affaire Sébastien Bras avait fait grand bruit. Le chef du restaurant trois étoiles Le Suquet à Laguiole – fondé par son père Michel en 1992 – avait décidé de ne plus figurer dans l’édition 2018 du guide rouge. Une décision prise pour ne plus subir « la pression permanente » liée à une troisième étoile avait déclaré le chef. Un choix accepté par le guide Michelin. Mais on l’apprend aujourd’hui, « Le Suquet » a réapparu dans le guide avec deux étoiles, au grand désespoir de Sébastien Bras, qui annonçait la nouvelle ce lundi matin sur la page Facebook du restaurant..
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Besoin de se renouveler?

Une question importante était sur toutes les lèvres. Le modèle du guide Michelin est-il éculé? Doit-il se renouveler? Ces dernières années, de nombreuses critiques ont ainsi frappé le guide. Dans une étude intitulée « Etoiles Michelin: quel impact économique et financier sur les restaurants? », datant de février 2017, le professeur d’économie et chercheur Olivier Gergaud affirmait que l’impact de la perte d’une étoile était bien plus fort que celui de son gain. Il confiait même à France Info TV que l’investissement « pour atteindre et surtout maintenir un standing digne des exigences implicites, mais bien réelles, du guide peut monter jusqu’à 1 million d’euros pour les deux ou trois étoiles ».

« Il y a dix ans de cela, obtenir un étoile Michelin était un véritable honneur. Mais dans le contexte économique actuel, c’est plus un cadeau empoisonné », confiait également la cheffe belge Karen Keygnaert à Munchies en 2017, alors qu’elle rendait l’étoile qui avait auréolé son restaurant brugeois A’Qi pendant 5 ans, avant l’ouverture d’une nouvelle adresse plus accessible dans la même ville.

En 2005, lorsqu’Alain Senderens fermait le Lucas Carton pour ouvrir un nouvel établissement moins cher, le Senderens, il confiait déjà au Figaro: « On change de société, il faut que le Michelin change aussi. Ce n’est pas parce qu’il y a un bouquet d’orchidées que l’assiette est meilleure. »

Le Michelin ne fait plus recettes

Le guide Michelin avait bien essayé de rajeunir son image, en rachetant 40% des parts du guide Le Fooding en septembre 2017. On avait pourtant un peu de mal à croire à ce mariage de raison entre deux guides que tout oppose. Le fondateur du Fooding, Alexandre Cammas, avait en effet clamé quelque temps auparavant dans les pages de Télérama, que le guide Michelin était en grande partie responsable du déclin de la gastronomie française à l’étranger… Lui qui a toujours plutôt misé sur la cuisine bistrotière plus accessible et plutôt parigot. Mais cette union était nécessaire pour faire face à d’autres prescripteurs désormais de poids, comme Trip Advisor – un mastodonte du genre, avec ses 315 millions visiteurs uniques – ou le très tendance classement du World’s 50 Best Restaurants.

Cette concurrence des réseaux sociaux, des guides d’utilisateurs en ligne (comme Yelp ou Trip Advisor) ou les blogs se fait cruellement sentir pour le Michelin. En 1989, le guide rouge annonçait fièrement avoir vendu 600.000 exemplaires. En 1996, 500.000 exemplaires. Mais la situation a continué à se détériorer au fil du temps, jusqu’à atteindre 51 639 exemplaires seulement en 2017…

Perico Légasse. Photo Gala

Selon Périco Légasse, le guide Michelin aurait besoin de créer le buzz pour faire oublier ses résultats catastrophiques… Selon le virulent chroniqueur gastronomique: « La situation du guide est en effet dramatique avec un effondrement des ventes, aggravé par une série de départs à la direction, notamment celle de Michael Ellis, le dernier manager, embauché par un groupe hôtelier auquel il avait accordé plusieurs étoiles alors qu’il était en fonction. Visiblement, rien ne va plus chez Bibendum, qui a un urgent besoin de se refaire une santé. On recourt dans ce cas à la méthode habituelle, couper des têtes pour faire du buzz, histoire de faire parler de soi dans la presse. Et plus on tape fort, notamment sur les grands, plus la probabilité est forte de défrayer la chronique. »

Le critique gastronomique Gilles Pudlowsky (photo), du Guide Pudlo, n’hésite pas non plus à parler du nouveau directeur international Gwendal Poullennec comme d’un « coupeur de têtes ». L’Alsacien déplore la décision injuste de rétrograder « L’Auberge de l’Ill » et constate avec malice que beaucoup des nouveaux restaurants primés portent la patte du Fooding, comme Abri, Racines, Tommy & Co ou Virtus à Paris.

Une opération comm’ réussie

Comme chaque année, le guide Michelin France en a déçu certains et en a satisfait d’autres. Il a en tout cas récompensé beaucoup de chefs talentueux et il est parvenu à faire couler beaucoup d’encre.

Buzz il y a eu!