Parmi les invités de prestige réunis à Paris lundi soir pour les premiers World Restaurant Awards, pas grand monde ne connaissait Kobus Van der Merwe, récompensé par le prix de la « destination hors des sentiers battus » et surtout de « restaurant de l’année » pour son Wolfgat, petit restaurant installé dans le petit village de pêcheurs de Paternoster, à deux heures et demie de route au nord du Cap, en Afrique du Sud. « Hier soir, à la soirée inaugurale, je me promenais parmi mes héros, tous ces grands chefs qui m’ont inspiré. Et, quand je me présentais, je voyais bien sur leur visage un grand point d’interrogation…, nous confiait le jeune chef sud-africain au soir de son sacre. Je pensais qu’on n’avait aucune chance face à des gens que j’admire comme le Fäviken en Suède ou Koks dans les iles Féroé, des lieux vraiment inspirants. Je ne pensais pas qu’on appartenait à la même ligue. C’est donc vraiment une vraie surprise. »

Pouvez-vous décrire votre restaurant en quelques mots?

Wolfgat est un petit restaurant de 26 places situé dans un village de pêcheurs. Notre restaurant est installé dans un bâtiment vieux de 140 ans, un ancien cottage de pêcheurs. On cuisine un court menu dégustation de sept plats, principalement à base de produits de le mer locaux et des algues, des malacophytes et des herbes locales qu’on cueille, selon les saisons, dans une zone de 6 kilomètres autour du village. C’est vraiment focalisé sur cette petite zone. Et même chose pour la carte des vins, limitée mais du même terroir que la nourriture qu’on présente.

Où avez-vous appris la cuisine?

Je voulais d’abord étudier les arts et la musique, car je viens d’une famille très musicale. Mais, surtout en Afrique du Sud, c’est vraiment un choix de carrière très difficile. J’ai toujours été passionné par la cuisine. J’ai grandi dans une famille où les hommes adorent cuisiner. J’ai donc fait une école de cuisine comme plan de secours, que je n’ai pas terminée car je n’étais pas vraiment convaincu. J’ai alors pris une direction totalement différente en étudiant le journalisme. J’ai écrit des critiques de musique classique dans des journaux afrikaans et j’ai fini par écrire dans un magazine culinaire sud-africain. Et c’est là que j’ai compris que j’avais une vraie connexion avec le monde de la restauration, mais que j’étais du mauvais côté. J’ai eu l’opportunité de rejoindre mes parents quand ils ont acheté un petit magasin à Paternoster et j’ai commencé dans leur jardin, avec 12 places, sans vue sur la mer. C’est là qu’on a commencé à expérimenter, à cuisiner avec des ingrédients locaux pour représenter notre région. C’était en 2009. Mais on a compris qu’on avait besoin d’une page blanche. Et, il y a deux ans et demi, on a découvert que le Wolfgat était disponible…

Vous travaillez avec des gens du village. C’était important pour vous?

Très important. Wolfgat n’existerait pas sans mon incroyable équipe, principalement composée de femmes. J’aurais aimé que tout le monde soit là, ne pas être le seul visage de Wolfgat. C’est un effort commun. Nous sommes collègues, on apprend les uns des autres. Ils n’ont pas de formation culinaire, moi un petit peu, mais on se débrouille tous ensemble.

Comment décririez-vous votre cuisine?

On n’a pas une cuisine basée sur les sauces, même si j’admire les grands sauciers. On garde les choses plus fraîches, naturelles, non travaillées. Ce sont des plats très simples, avec quelques éléments seulement, pour mettre en valeur un ingrédient inhabituel. On essaye de combiner des saveurs et des textures inattendues, avec des profils aromatiques nouveaux, différents. Mais il n’y a pas encore de cuisine sud-africaine. On se bat contre ça. Et enfin, les chefs commencent à regarder ce qu’on a d’indigène à notre région pour le célébrer dans leurs assiettes. On y arrive. Mais nous n’avons pas encore atteint ce qu’a réussi la cuisine nordique.

Pouvez-vous parler d’un plat qui représente votre cuisine?

Un des plats qui commence à être un point de référence, est un plat de haricots, avec du poisson fumé et des herbes et plantes cueillies sur la plage. On utilise une variété locale de haricots d’une région voisine, où ils ont été plantés à la fin du XIXe siècle. C’est une variété de haricots très dense, originellement des haricots de Lima mais qui ont évolué en 100 ans vers quelque chose de particulier à l’Afrique du Sud, avec une saveur unique. Il n’y a plus que quelques producteurs qui en font toujours et on en achète 500 kilos chaque année. On a donc ces grands sacs de haricots secs dans le resto. Les gens croient que c’est pour la déco, mais c’est vraiment l’un de nos ingrédients de base. Pour le menu d’été, on veut les servir froids, en purée parfumée avec une huile d’olive bien grasse et quelques grains entiers, pour vraiment mettre en avant les herbes sauvages, comme le céleri des dunes, qui les accompagneront, avec un peu de poisson que l’on aura légèrement fumé sur des feuilles de thé rooibos. C’est un plat qui représente bien notre région.

Qu’attendez-vous de ce prix? Plus de monde dans votre resto?

On n’a que 26 couverts… En saison, notre village est une destination populaire pour le week-end et les vacances, c’est donc facile à remplir. Ce que j’espère, c’est que des gens viendront nous rendre visite en hiver, la saison calme, car les gens croient que le temps est mauvais. Mais ce n’est pas vrai, c’est le meilleur moment pour venir! Les menus sont beaucoup plus focalisés sur le paysage car c’est la saison des pluies, avec beaucoup de plantes. Et c’est cosy s’il pleut; on a un feu de bois, sur lequel on cuisine. Et les jours sans pluie, c’est comme l’été dans bien d’autres régions du monde; on peut aller à la plage. Entre juin et août, c’est aussi la saison des fleurs sauvages. C’est vraiment incroyablement beau. Bref, c’est la saison idéale pour venir.

 

Margot Janse, la papesse de la cuisine sud-africaine

Ivan Crispo (RP de chez Lotus à Londres), Kobus van der Merwe (chef du Wolfgat) et Margot Janse (cheffe sud-africaine). Photo WRA

 

Lundi soir, l’une des chefs les plus heureuses du prix du « restaurant de l’année » attribué au Wolfgat était sans aucun doute Margot Janse. Cheffe hollandaise installée depuis 30 ans en Afrique du Sud où, à la tête de la « Tasting Room » du « Quartier Français’ à Franschhoek, elle était parvenue à se hisser dans le Fifty Best. Après l’avoir croisé, samedi soir à Bruxelles pour son dîner de charité réunissant 25 grands chefs au profit de son association Isabelo, on la retrouvait à Paris. Toujours aussi souriante et enthousiaste!

Connaissiez-vous Kobus Van der Merwe?

Je connais Kobus depuis de nombreuses années. Ses parents ont un magasin et vivent dans ce vieux village de pêcheurs où il a son restaurant à deux heures du Cap. C’est très beau, avec une grande plage. Il a commencé un petit restaurant dans le jardin du magasin de ses parents, sur des bancs en béton. Et il faisait vraiment des choses différentes, il allait cueillir des plantes dans les dunes. Il faisait par exemple un fish taco avec des épinards des dunes. Je me suis: c’est dingue. Et j’ai vraiment eu envie d’aller voir ce qu’il faisait. Il est 100% intègre. Il bûche beaucoup, fait de la cueillette sauvage… J’y ai mangé deux fois – et j’y retourne bientôt – et à chaque fois j’ai appris de nouvelles choses. Et il présente ses ingrédients de façon à ce que cela soit une découverte, sans chercher à les dénaturer. Il ne complique pas les choses mais les présentations sont vraiment splendides.

Vous et Kobus avez-vous réussi à placer l’Afrique du Sud sur la carte des foodies?

Il y a des choses qui se passent depuis très longtemps en Afrique du Sud mais on est si loin… J’habite là depuis presque 30 ans et je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui soit venu en Afrique du Sud sans avoir été ébloui par le pays, par ces gens formidables. C’est si beau. Et bien sûr qu’il y a plein de problèmes, mais la diversité fait partie de sa beauté. Côté cuisine, il se passe aussi quelque chose. Wolfgat représente quelque chose de plus profond que la gastronomie chic traditionnelle. J’en suis très heureuse.

Le pays souffre-t-il toujours d’une image difficile post-Apartheid?

Cette vision est toujours là. Il faudra des générations pour se débarrasser de certaines façons de penser. Mais cela a déjà beaucoup changé depuis que je suis arrivée il y a 30 ans. C’est comme cette photo récente sur les réseaux sociaux montrant cette professeure ayant séparé des enfants noirs et blancs dans sa classe, cela a pris des proportions sans doute un peu exagérées mais on a besoin de cela. Car même à petite échelle, ce n’est plus acceptable. Les gens sont persécutés quand ils tiennent des propos racistes ou dénigrants sur les réseaux sociaux et c’est exactement ce dont on a besoin en Afrique du Sud. Mais si quand, pendant des générations, on a cru dans votre familles que les noirs étaient inférieurs, que c’est comme ça que parlent vos grands-parents, vos parents, il se peut que cela fasse toujours partie de votre ADN, même si vous ne vous exprimez plus comme cela…

Kobus travaille avec des femmes noires, des gens de sa communauté…

La plupart des restaurants font cela. Dans mon restaurant, deux de mes sous-chefs, quand je suis partie, avaient commencé à la plonge. Les gens veulent apprendre mais ils n’en ont pas l’occasion. Cela ne veut pas dire qu’ils sont stupides mais ils n’ont pas l’argent pour aller à l’école…

Un chef doit-il montrer l’exemple pour faire évoluer la société sud-africaine?

Oui, bien sûr. La plupart des chefs le font. On a des équipes mixtes de gens qui ont été dans des écoles chics et d’autres qui n’ont pas été à l’école. Et il y a des gens formidables parmi les deux. Ce que fait Kobus est incroyable; il n’y a pas de bullshit. Et sa cuisine est brillante. Il célèbre également le vin de la région et cela fait sens! Le tout dans une ambiance détendue, avec vue sur la plage. Et puis, après votre déjeuner, en rentrant par la plage, vous tombez sur telles feuilles qu’il y avait dans la première entrée, avec la crème d’huîtres… C’est génial! Il faut y aller!