Il est 10h30 du matin sur le campo Bella Vienna, derrière le pont du Rialto. Quand certains font la file à la Casa del Parmigiano pour faire le plein de fromages, en attendant d’aller faire un tour du côté du marché aux poissons, quelques vieux vénitiens, accompagnés de Toto, un chien arborant fièrement à son cou le drapeau de la République de Venise, sont déjà en train d’écluser un’ombra. 

La légende veut que ce nom ait été donné aux verres de vin blanc vendus par des marchands ambulants, qui les protégeaient du soleil en suivant l’ombre du campanile de San Marco… Et à Venise faire le « giro d’ombra ou aller de bacaro en bacaro, soit faire le tour des bars à vins en grignotant quelques cicchetti — les tapas vénitiens —, est un sport qui se pratique à tout âge et à tout moment de la journée…

Ombra & cicchetti

On comprend que nos bons vivants matinaux aiment s’enjajailler Al Mercà, véritable institution du Rialto où, au fil des ans, la sélection de canons se fait de plus en plus pointue. On y déniche par exemple l’excellente ribolla gialla de Damijan Podversic, qui vinifie ses blancs, d’une grande complexité et d’une grande fraîcheur, en macération pelliculaire dans la région de Gorizia, au cœur du Frioul Vénétie Julienne. En guise de casse-dalle, des petits sandwichs fourrés à tout, mais surtout d’une soppressa locale (salami) à se damner!

À quelques minutes de là, de l’autre côté du pont du Rialto, All’Arco est une autre institution bien connue des Vénitiens, où la famille Pinto (dont le jeune Matteo) sert les meilleurs cicchetti de la ville. Ici, règne le crostino, le petit cousin de la bruschetta, recouvert des classiques baccalà mantecato ou alla vicentina, sarde in saor, mais aussi des propositions plus créatives, comme par exemple une parmigiana d’aubergines ou une fleur de courgette frite, farcie au baccalà et aux anchois. On boit comme partout un Spritz, mais aussi une sélection de pinards locaux, toujours comme il faut.

Mais l’adresse qui a révolutionné la Cité des Doges, en tout cas côté vin, c’est sans aucun doute Vino Vero. Ce bacaro, devenu l’un des plus fréquenté de Cannaregio, sur le Fondamenta de la Misericordia, a ouvert en 2014 avec un nom en forme de manifeste. Ici, on ne sert en effet que du vin nature, bio ou biodynamique et surtout pas de Spritz! On déniche pas moins de 600 étiquettes et une sélection d’une bonne dizaine de calices. Du côté des cicchetti, les crostini sont plutôt délurés. Avec par exemple ’nduja, pêche et burrata, rien que ça! Le succès est tel que la bande de copains vient d’inaugurer une seconde adresse à Lisbonne.

Bistrots gastronomiques 

Après l’apéro, il est temps de passer à table… Comme pour Vino Vero, c’est CoVino qui, en 2013, est venu souffler un vent nouveau sur les tables de la Sérénissime. Le pitch? Andrea Lorenzon — fils du charismatique Mauro Lorenzon, à la tête du mythique restaurant La Mascareta — a ouvert un bistro de poche accessible à Castello, où il chante les louanges des produits locaux (voire Slow Food) et de saison et de « vins humains », qui respectent le nature mais qui sont aussi le reflet de leur territoire et de l’artisan qui les produit. Les plats ont aussi une âme, comme ces paccheri al ragù di mamma Liviana ou ces biscuits maison, toujours de la mamma, servis en fin de repas dans leur boîte en métal.

Dans la foulée, en 2014, Estro Vino e cucina venait compléter l’offre bistronomique vénitienne du coté du Dorsoduro, avec un concept encore plus ambitieux. Dans un restaurant contemporain au look industriel, les deux frères Spezzamonte ont réuni plus de 600 flacons de vins nature en provenance du monde entier et servent une cuisine raffinée, tantôt imaginative, tantôt plus classique. Et cette dernière est la plus réussie, avec l’un des meilleurs fritto misto de poissons de la ville! Qui s’associe à la perfection avec ce rebula 2015 slovène de chez Reia. 

Tout nouveaux, tout chauds

Ouverte il y a un mois à peine par une équipe dynamique, Stappo est la nouvelle adresse à ne pas manquer. À sa tête, Diego Carraro et Mathilde Lambert, deux anciens de chez Vino Vero qui viennent également de créer le Sbarbi, un rosé juteux. En cuisine, le jeune chef Carlo De Paoli, passé par l’Alma, l’école de cuisine du mythique chef italien Gualtiero Marchesi à Parme, sort des assiettes simples et justes (mmmh! les canestrelli, petits coquillages de la Lagune passés au four avec un filet d’une d’olive ou ces fusilli al ragù dont la sauce à une longueur en bouche incroyable). En salle, Giorgia Gavagnin sert sourires et vins authentiques. Comme cet Era, un prosecco nature plein de peps de chez Renzo Rebuli.

Autre nouveau venu sur la scène vénitienne, l’Osteria Giorgione da Masa est une vraie curiosité! Dans ce petit izakaya, le jeune chef Masahiro Homma (passé notamment au Zanze XVI, autre valeur sûre de Venise) propose la rencontre réussie entre le Japon et la Sérénissime. À l’image de ces sardines en escabèche au vinaigre de riz rappelant les sarde in saor, de cette délicieuse salade de nervetti (tendons de boeuf) et haricots coco à l’huile de sésame, ou encore de ce tataki de cheval à la sauce ponzu. Ça passe tout seul avec la belle malvasia istriana orange de chez Skerk en Venezia Giulia IGP, à choisir parmi une très riche sélection de vins nature . À moins de préférer un verre de saké, comme ce Sanuki, un intéressant breuvage non filtré.

Du saké à Venise, qui l’aurait cru il y a quelques années encore… Preuve, s’il en fallait une, que la ville n’est pas qu’une belle endormie… Et qu’une nouvelle génération de chefs et de sommeliers est prête à la réveiller!

Du vin vénitien 

Capitale de la Vénétie, Venise aime boire local. Que ce soit le soave en blanc, le prosecco en bulles et le valpolicella ou l’amarone en rouge. Mais on trouve également sur les cartes de restaurants beaucoup de vins du Frioul et de Slovénie tout proches, avec des cépages autochtones très intéressants, comme la malvasia, le vitovska ou le refosco, qui se prêtent bien aux vinifications « nature » et/ou à la macération pelliculaire, qui donne les très à la mode vins oranges (des blancs vinifiés comme des rouges).

Mais il est également possible, à Venise, de se la jouer ultra-locavore. L’appellation Venezia DOC (où l’on retrouve merlot, cabernet sauvignon, chardonnay, pinot gris…) protège des vins produits dans la région de Venise, Mestre et Trévise. Mais le chic du chic, c’est de boire carrément les vins de la Lagune!

Le plus connu est l’Orto di Venezia, produit par le Français Michel Thoulouze, qui a relancé la viticulture sur l’île de Sant’Erasmo, le « jardin de Venise » (d’où le nom du vin), avec le concours des spécialistes du sol Lydia et Claude Bourguignon. Produit à partir de cépages italiens anciens (majoritairement la malvasia istriana) francs de pied, ce blanc minéral accompagne parfaitement les classiques vénitiens à base de poisson et de crustacés, mais aussi les asperges. On peut le goûter au très chouette bar Al Mercà (7€ le verre) ou en acheter une bouteille (28,50€) à la très chouette vinothèque Mille Vini, deux adresses proches du Rialto.

Un vin de collectionneurs

L’Orto di Venezia n’est plus le seul vin de la Lagune. Depuis une dizaine d’années, le propriétaire de la maison de prosecco Bisol (5 millions de bouteilles annuelles) a créé à Mazzorbo, l’île à côté de Burano, Venissa, un petit vignoble d’un ha adossé à un beau restaurant étoilé, proposant une cuisine italienne résolument moderne imaginée par Chiara Pavan et Francesco Brutto.

On produit ici un vin très exclusif (4000 bouteilles maximum par an), qui s’écoule comme des petits pains malgré son prix prohibitif: 140€ la bouteille d’un demi-litre numérotée et décorée à la feuille d’or. Et cela grimpe même à 1200€ pour une bouteille du premier millésime en 2010! Un nectar vinifié en macération pelliculaire à partir d’un cépage autochtone de la Lagune, la dorona, à l’impressionnant potentiel de garde: 40 ans.

Venissa possède également des vignes sur l’île de Santa Cristina, pour son Venissa Rosso (deux millésimes disponibles: 2011 et 2012), un assemblage de 80% de merlot et de 20% de cabernet sauvignon aux étonnantes notes salines. Venissa propose sur son site plusieurs formules de dégustation de ses vins, notamment sur le bateau qui amènent les clients du restaurant depuis Venise.

Nos adresses sur une carte

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