Les clichés sur Venise ont la dent dure. Les couples viennent en effet en masse pour découvrir, le temps d’un week-end, la ville des amoureux par excellence, avec tour en gondole à la clé et passage obligé par la place Saint-Marc et sa basilique. Cette dernière, chef-d’oeuvre d’architecture byzantine, avec ses 8000 m2 de mosaïques uniques au monde, mérite cependant, comme la Sérénissime elle-même, que l’on s’y attarde un peu plus longuement…
Car la Cité des Doges ne s’apprivoise pas en quelques jours. Il faudra prendre le temps de se perdre dans ses calle (ruelles), pour découvrir des quartiers plus excentrés comme Cannaregio ou Castello et toucher à la vie quotidienne des Vénitiens – fin 2017, ils étaient moins de 54000… Mais surtout pour sortir de ses six sestieri (quartiers) que sont Cannaregio, Castello, Dorsoduro, San Marco, San Polo et Santa Croce (symbolisés par les barres horizontales du fer de proue des gondoles), pour découvrir Murano, Burano ou Torcello, mais aussi d’autres îles moins connues. La capitale de la région Vénétie est en effet le centre névralgique d’une lagune composée d’une centaines d’îles.
Chantée par Byron, Goethe ou Proust, peinte par Canaletto ou Turner, Venise est depuis toujours une ville de culture. Depuis le rachat du Palazzo Grassi par le milliardaire et collectionneur français François Pinault, Venise est aussi devenue l’une des capitales mondiales de l’art contemporain, elle qui pouvait déjà compter sur des institutions comme le musée Peggy Guggenheim ou la Biennale d’art contemporain.
Pour visiter la Sérénissime et profiter de ses charmes, on évitera la période du Carnaval. Mondialement connu, celui-ci attire des hordes de touristes (encore plus qu’en temps normal!). D’autres événements, comme la fête du Rédempteur (3es samedi et dimanche de juillet), qui commémore la fin de la grande épidémie de peste de 1575-1576, ou la Régate historique, événement sportif populaire depuis des siècles sur le Grand Canal (1er dimanche de septembre), sont moins courus et permettent de voir la ville en fête durant l’été. L’une des meilleures périodes pour visiter Venise.
Suivez le guide pour découvrir la ville de l’amour sous un nouveau jour…
Une autre perspective sur Saint-Marc
Lorsque, du Grand Canal, on débouche en vaporetto sur la piazza San Marco — la seule à avoir l’honneur de porter ce nom à Venise, les autres places étant appelées campi — et que s’ouvre la première perspective sur la piazzetta, on a bien souvent le souffle coupé par tant de beauté. Se dévoilent alors l’élégant palais des Doges, en style gothique fleuri, le Campanile, qui culmine à 98,6 mètres de haut, et les harmonieuses colonnades des Procuratie qui encadrent le trapèze que forme la place avec la basilique Saint-Marc.
Pour découvrir ce lieu mythique sous un autre jour, il faudra impérativement y venir tard dans la nuit ou à l’aube, quand les touristes sont couchés. Seul face à cette perfection esthétique, on aura alors un sentiment d’éternité…
Pour découvrir le somptueux Palais des Doges, la visite guidée « Itinéraires secrets » est un must. Elle permet de toucher de plus près à l’histoire de cet ancien centre politique, religieux et économique de la république de Venise. Avec notamment une visite des Piombi, des prisons au ciel de plomb situées dans le toit de l’édifice, où Casanova a été incarcéré pour avoir séduit des religieuses…
Autre visite à programmer, celle de la Tour de l’horloge. Il n’y a plus d’horloger habitant à l’intérieur de la tour depuis 1998 et tout a été automatisé mais les mécanismes du XVe siècle sont d’origine. En grimpant au sommet de la tour, on aura une vue amusante sur les fesses des deux Maures qui battent les heures mais surtout une perspective époustouflante sur la place Saint-Marc!
Si vous avez les moyens, comme Goethe, Honoré de Balzac ou George Sand avant vous, poussez la porte du superbe Caffè Florian, datant de 1720, ou consolez-vous au café du Musée Correr. Dans une très belle salle ornée de grotesques, vous siroterez l’espresso le plus abordable de la place.
La capitale mondiale de l’art contemporain
L’origine de la Biennale remonte à 1895, lorsque fut organisée la première exposition internationale d’art. Fondée en 1932, la Mostra del cinema, plus ancien festival de cinéma au monde, qui fêtait en septembre dernier sa 75e édition, en est une émanation. Mais le programme culturel de la Biennale englobe aussi les champs de la musique, du théâtre, de l’architecture et de la danse.
Pourtant, Venise a raté quelques rendez-vous avec l’art contemporain, refusant un projet d’hôpital de Le Corbusier ou une villa signée Frank Lloyd Wright sur le Grand Canal. Mais depuis 2005 et le rachat par François Pinault du Palazzo Grassi, puis de la Punta della Dogana en 2007, pour y exposer son imposante collection d’art contemporain, la ville a définitivement mis le pied dans le XXIe siècle. Tandis qu’elle semble avoir enfin compris qu’elle devait se réinventer en acceptant de faire cohabiter avec ses palazzi centenaires des projets architecturaux contemporains. C’est ainsi qu’à été inauguré en 2008 le Pont de la Constitution, quatrième pont surplombant le Grand Canal, conçu par l’architecte espagnol Santiago Calatrava Valls.
Et la sauce a pris! Après Pinault, c’est la fondation V-A-C, du milliardaire russe Leonid Mikhelson, qui a investi en 2017 un palais sur les Zattere. Tandis qu’ouvrira bientôt, à Mestre sur le continent, le M9, un musée multimédia du XXe siècle italien.
Revisiter les classiques, entre ombre et cicchetti
Bien que mythiques, certaines adresses vénitiennes jouissent d’une mauvaise réputation. C’est le cas du Harry’s Bar, où l’accueil n’est parfois pas des plus chaleureux et dont la carte affiche des prix exorbitants… Mais, dans ce lieu chargé d’histoire fondé en 1931 par Giuseppe Cipriani et où ont été créés le Bellini (cocktail qui mixe prosecco et purée de pêches) et le carpaccio à la sauce universelle, on mange divinement bien. Si vous ne débarquez pas en short et que vous commandez des demi-portions, vous serez certainement du même avis!
Mais c’est surtout au sport gastronomique des Vénitiens qu’il faudra s’adonner: l’andar per bacari, à la recherche des meilleurs cicchetti (les tapas vénitiens) et ombre (verres de vin). Parmi les meilleures adresses, on peut compter sur Al Mercà, All’Arco, la Cantina Do Mori, la Cantina Do Spade ou encore le Paradiso Perduto. Mais certains bacari sortent de l’ordinaire, comme la Ciccheteria venexiana da Luca e Fred, où l’on mangera des préparations vénitiennes en voie de disparition, comme les nervetti (tendons), les barbussai (museau) ou la spiensa (rate). Autre lieu qui vaut le détour, surtout pour sa situation, l’Osteria Al Squero qui, comme son nom l’indique, se trouve juste en face de l’un des derniers chantiers de réparation de gondoles, celui de San Trovaso.
C’est moins connu, mais Venise se dispute avec Turin la paternité du tramezzino, ce sandwich triangulaire fait de pain de mie garni de mille et une façons. L’adresse qu’il faut connaître à Venise, c’est le Bar Alla Toletta. On goûtera notamment le tramezzino aux sfilacci (effiloché) de cheval — il existe toujours une boucherie chevaline au Rialto — et au radicchio.
La Venise qui bouge dans l’assiette et dans le verre
Depuis quelques années, les choses changent également dans les restos vénitiens, qui ne sont pas tous des attrape-touristes. En plus des valeurs sûres comme Alle Testiere, Al Covo, Corte Sconta ou Antiche Carampane, de nouvelles tables plus modernes ont fait leur apparition, revisitant les classiques de la cuisine vénitienne.
On pense d’abord à CoVino, où Andrea Lorenzon a créé, dans l’esprit du bacaro vénitien, un bistrot moderne travaillant les produits Slow Food. Au menu, bigoli in salsa à tomber et une sélection pointue de flacons dans l’air du temps. Dans le même style, il y a aussi Estro Vino e Cucina ou Local, avec de bons vins mais une cuisine un peu moins convaincante. Coup de coeur par contre pour Zanze XVI, un bistrot contemporain sur le Fondamenta dei Tolentini, où le chef Luca Tartaglia sert une cuisine italienne contemporaine à la fois pointue et accessible.
L’une des adresses qui a lancé ce vent de modernité, en mars 2014, c’est Vino Vero, excellente vinothèque sur l’animé Fondamenta della Misericordia. Ici, on l’annonce fièrement: « Pas de spritz! », mais des découvertes vineuses, évidemment nature, au top.
Depuis deux ans, la Cité des Doges possède aussi un bar à cocktails digne de ce nom, installé dans un café de 1870 juste en face de la basilique des Frari. Dans ce cadre historique élégant, Il Mercante propose des breuvages originaux, pensés sur le thème du voyage autour du monde de Magellan.
Balade dans les îles de la lagune
Si l’on a un peu de temps devant soi, il serait dommage de se cantonner à Venise et de ne pas se lancer à la découverte de quelques autres îles. A commencer par le Lido où, l’été, on profitera des plages, dont celle de l’iconique Hôtel Les Bains, immortalisé par Luchino Visconti dans Mort à Venise et dont on attend la renaissance avec impatience.
Si l’on cherche une plages plus sauvage, direction Pellestrina, dans la réserve naturelle préservée de Ca’Roman. De là, on poursuivra la route vers Chioggia, qui ressemble tellement à Venise que beaucoup de tournages « vénitiens » s’y déroulent. On n’oubliera pas d’y visiter la Pescheria, le marché aux poissons, et de faire une halte à l’Osteria Penzo, dont la spécialité est, en saison (de mi-septembre à fin novembre et de fin janvier à mai), les moeche fritte, ces délicieux petits crabes mous pêchés dans la lagune durant leur période de mue et servis simplement frits.
Mais on pourra également explorer l’île de Sant’Erasmo, le jardin de Venise, où l’on produit notamment les fameux artichauts violets castras ure mais aussi l’Orto, un vin de terroir issu d’un assemblage de cépages antiques italiens. Sans oublier la guinguette de l’île des Vignole. Là, le soir, devant un simple (mais délicieux) turbot au four, avec pommes de terres et olives, on se sent bien loin des touristes qui se massent à Venise…
Nos adresses sur une carte
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