Installé à « La Maison d’à côté » à Montlivault, à deux pas de Chambord, le chef étoilé Christophe Hay raconte son terroir ligérien dans ses assiettes. 

 

C’est à bord de sa vieille Citroën 2CV que Christophe Hay nous emmène, à quelques kilomètres de son restaurant, à la rencontre de Sylvain Arnoult, pêcheur professionnel de Loire, adepte d’une pêche durable, avec qui le chef travaille depuis 2014 et qui lui fournit tous les poissons qu’il sert dans son restaurant. « Je cherchais un pêcheur d’eau douce pour rendre leur noblesse à ces poissons sans valeur pour la plupart des gens, parce que personne ne le fait… », explique-t-il.

Ce matin, alors que le vent d’Est est levé, c’est pêche à l’anguille. La barque parcourt paisiblement ce fleuve sauvage et majestueux, étonnamment bas aujourd’hui. « C’est ça la Loire, ça monte et ça baisse d’un coup », explique Sylvain, la trentaine. Ici, on pêche l’anguille de manière traditionnelle, sans appas, dans des bosselles, des pièges de forme conique. Il en a déposé une douzaine sur les bords de la Loire. Il les déplace en fonction des mouvements du fleuve, car les poissons longent les rives quand l’eau monte.

Sur le bassin, ils sont une centaines de professionnels comme Sylvain, utilisant différentes techniques de pêches, selon l’époque et les espèces: filets dérivants et fixes, bosselles, nasses… Mais les places sont rares! « J’ai fait ma première demande il y a 17 ans, mais j’ai eu mon premier lot de pêche il y a 6 ans seulement. Aujourd’hui j’en ai deux », confie le bonhomme.

Relevé de bosselles

En habitué, Christophe Hay relève la première bosselle. La pêche n’est pas très bonne. Dans le piège, une anguille, deux silures et une petite écrevisse. On a un peu plus de chance avec les bosselles suivantes mais comme un peu partout, les populations d’anguilles déclinent… « On vend l’anguille à 15€/kg. C’est donc un plus pour le pêcheur, mais on ne compte pas dessus. A une époque, l’anguille était considérée comme nuisible. Comment a-t’on on pu passer d’un nuisible à un poisson en voie d’extinction? », s’interroge Sylvain. «On tape sur les pêcheurs mais on devrait taper sur les centrales EDF, qui posent des barrages parfois infranchissables pour les migrateurs quand les eaux ne sont pas très hautes. L’eau est aussi devenue plus chaude, alors que les anguilles ont besoin d’eau froide.»

Par contre, depuis 30 ans, les silures, venues des élevages de Sologne, ont envahi le fleuve. Et ces poissons-chats, qui peuvent atteindre jusqu’à 100 kg, ne font pas bon ménage avec les autres espèces, qu’elles privent de nourriture ou qu’elles croquent. Mais pas de quoi démoraliser le chef et le pêcheur. « Il y a une diversité impressionnante de poissons dans la Loire, ce qui n’était pas le cas il y a 40 ans. Il y a plus de biodiversité, même si les quantités sont limitées. Sandre, carpe, perche, anguille, brochet, mulet… tous les poissons blancs. Et même le saumon revient! », lance Christophe Hay.

On continue notre route, émerveillés par la beauté du paysage. On croise des sternes, ces beaux oiseaux que l’on nomme communément hirondelles de mer ou mauves. On parle bien entendu un peu cuisine aussi. Dans la région, on consomme traditionnellement l’anguille en persillade ou en matelote, même si le pêcheur la préfère au barbecue. Mais son dada (et une partie de son métier), c’est la transformation des cyprinidés, qu’il pêche en abondance et qu’il écoule avec sa femme sous la marque «Arnoult pêcheur de Loire ». « Ce sont de bons poissons mais ils sont truffés d’arrêtes. Il faut donc les transformer en terrines, en fumaison… »

Christophe Hay s’est, lui aussi, fait un devoir de valoriser la pêche du jour. Ainsi, dans son « Bistrot d’à côté », propose-t-il, façon éperlans frits, une petite friture de bouvières, ces petits poissons qui se coincent dans les bosselles. Il travaille les envahissantes silures en les fumant légèrement pour les servir, au printemps, sur un toast avec une crème d’artichauts. Tandis qu’il réserve évidemment les plus beaux poissons pour « La Maison d’à côté » (cf. ci-dessous).

Dans les allées du potager

En rentrant au restaurant, la 2CV s’arrête devant le potager de 3000 m2, qui alimente le bistrot, le gastro mais aussi, depuis le mois de juin, « La Table d’à côté » près d’Orléans. Ce terrain fertile riche en alluvions, Hay le cultive en permaculture et sans apports chimiques, avec l’aide du jardinier Alain Gaillard, qui lui fourni aussi du safran de Sologne. Un jardin loin d’être uniquement d’agrément ou dicté par la mode des potagers de chefs. « On a commencé avec une petite parcelle de 1000 m2, mais aujourd’hui on est autosuffisant en fruits et légumes jusque mi-octobre », lance le chef qui, habituellement très réservé, prend ici un autre visage. Le regard pétillant, il cueille ça et là une feuille, un fruit… qu’il fait goûter avec fierté. 

Et l’on déniche ici des pépites: menthe corse, tubercules de pois patates, gesses, oignons rocamboles qui poussent hors du sol, ocas du Pérou, baies de mai… Dans les serres, on admire aussi une riche collection d’agrumes: citron caviar, main de Bouddha, yuzu, combava, kumquat… « Il y a plus d’une centaine de variétés différentes. On expérimente. Je veux faire découvrir des légumes anciens ou peu connus à mes clients.» 

Cette incroyable biodiversité offre évidemment de nouveaux champs de création au chef. L’un des points forts de la cuisine de Christophe Hay est en effet sa délicatesse dans l’usage des herbes aromatiques, qui apportent souvent originalité et longueur en bouche à ses plats.

Mais l’heure tourne et il est déjà temps pour le chef d’aller cuisiner…

 

Christophe Hay, un chef qui monte

Né dans un petit village du Loir-et-Cher, Christophe Hay appartient à cinq générations de fermiers. Avec un papa boucher et une maman cantinière, on ne s’étonne pas qu’il ait choisi la voie de la cuisine. Après 4 ans passés au lycée hôtelier de Blois, il atterrit chez son mentor, Eric Reithler, à l’époque étoilé au « Rendez-vous des pêcheurs ». C’est ce dernier qui le présente à Paul Bocuse en 2002. 

Le mythique chef lyonnais le prend alors sous son aile et l’envoie à Orlando pour diriger son restaurant « Monsieur Paul », installé au Walt Disney World Resort. Là, il apprend l’anglais et peaufine ses bases et sa technique en préparant les classiques de la maison: soupe VGE, poularde de Bresse en vessie, soufflé au Grand Marnier… « A Collonges, c’est la première cuisine où je n’entendais pas le chef gueuler. Paul Bocuse était très humain et respectait ses cuisiniers », se souvient Hay… 

A son retour à Paris en 2008, il enchaîne les restaurants d’hôtels, avant de retrouver le chemin de ses origines. En janvier 2014, il rachète « La Maison d’à côté », un restaurant qui bat de l’aile dans le charmant petit village de Montlivault, près de Chambord. A l’époque, il ne compte que sept collaborateurs, mais décroche une étoile Michelin dès février 2015. De quoi donner des ailes au chef, qui rachète le commerce voisin pour y installer son restaurant gastronomique en juin 2016, transformant l’ancien en un chouette bistrot de terroir, et créant chambres et suites aux étages.

Aujourd’hui, Christophe Hay est à la tête de trois restaurants et peut compter sur une équipe de 34 employés. Tandis qu’il publiera à la mi-novembre chez Flammarion un livre de recettes, « Signature Christophe Hay ». Preuve s’il en fallait que c’est clairement l’un des chefs qui monte en France!

« La Maison d’à côté »:
le local comme une évidence

Un repas à « La Maison d’à côté » ne peut s’ouvrir qu’avec des bulles locales, un Croix des Loges par exemple, une méthode traditionnelle produite près d’Angers. Chez Christophe Hay, la Loire est en effet partout, jusque dans la moquette aux reflets bleutés représentant le fleuve, qui coule  à quelques kilomètres du restaurant… Depuis qu’il s’est installé à Montlivault, le chef s’est en effet entièrement dédié à son terroir ligérien. Ce qui lui a permis de décrocher une étoile au Michelin dès février 2015.

Au printemps dernier, dès les mises en bouche, on retrouvait évidemment les poissons de Sylvain Arnoult, avec une petite tartelette au tarama de brochet ou un superbe petit coussin soufflé accueillant un morceau de brème marinée.

Tandis qu’à peine cueillis au jardin, les radis étaient proposés façon croque au sel. Sinon que le beurre était ici remplacé par une émulsion de fanes de radis et le sel par du caviar de Baeri de Sologne, affiné 90 jours à vingt minutes d’ici…

La Loire dans l’assiette

Simplement grillé et présenté en farce, le superbe brochet de Loire était accompagné d’une laitue-asperge du jardin, de câpres de pissenlit et d’un condiment César bien relevé.

Tandis que  l’anguille de Loire, d’abord confite à l’huile puis grillée, s’offrait une superbe mise en scène, servie avec des petits pois et des fleurs de gesse dans un jus de cosses. Et avec un peu de tablier de sapeur croustillant pour la gourmandise!

Si la cuisine de Christophe Hay se veut moderne, l’ancien de chez Bocuse n’hésite pas à relire le grand répertoire et notamment la carpe à la Chambord, un plat du XVIIIe siècle. On y retrouve tous les ingrédients (jambon paysan, écrevisses, truffes…) mais retravaillés. Le poisson est ainsi proposé en quenelle, tandis que les champignons de Paris sont découpés en duxelles. Mais on conserve le velouté de la sauce au cheverny rouge. Laquelle fait bon ménage avec l’excellent saint-nicolas-de-bourgueil « Coef 2015 » vieilli en amphore de chez Sébastien David, l’un des rois du vin nature en Val de Loire.

Du Wagyu ligérien

Mais il n’y a pas que du poisson en Loire. La preuve avec ce boeuf wagyu élevé par Thierry Roussel en Sologne, dont Hay sert le paleron rôti avec un peu d’orge perlé au sésame noir mais surtout, de façon plus japonisante, en fines lamelles quasi crues dans un consommé aux champignons qui vient terminer la cuisson.

Jusqu’au fromage, le chef impressionne par sa finesse. Ainsi, présente-t-il le chèvre de Touraine sans le dénaturer, en copeaux et en mousse, avec du miel de ses ruches et des fleurs du jardin.

Avant de terminer le repas sur un soufflé à la framboise et au Chambord, évidemment, parfaitement exécuté. Ou, plus dans l’air du temps, par un crumble sarrasin avec une étonnante crème glacée à la livèche.

Alliant technique parfaite, élégance à la française et un vrai amour pour sa région, Christophe Hay signe à la « Maison d’à côté » une cuisine personnelle et racée qui frôle les sommets. Tirant le meilleur du classicisme, il le propulse dans le XXIe siècle.

Envie d’y goûter?

17 rue de Chambord, 41350 Montlivault.
Fermé le mercredi (et le mardi du 2/9 au 30/4). Congés du 15 au 24/10/2018.
Rens.:
www.lamaisondacote.fr ou +33.2.54.20.62.30.

« Côté Bistrot » en images