Reportage photos: Johanna de Tessières
Textes: Laura Centrella & Hubert Heyrendt

On sait qu’Hendrik Dierendonck est la star de la boucherie belge.

Mais saviez-vous qu’il a contribué à sauver la rouge des Flandres, une race du terroir flamand ?

Des prés à l’assiette

Ah qu’elles sont belles ces vaches trapues à la robe rousse qui paissent en semi-liberté dans la réserve naturelle du Westhoek ou dans la ferme familiale des Dierendonck à Adinkerke ! Des bêtes qui se nourrissent de la végétation maritime riche en sel si particulière des polders, entre La Panne et Saint-Idesbald, fief des bouchers Dierendonck, père et fils. Ces rouges des Flandres sont le pur produit du terroir flamand, une race évoquée dès le XVe siècle et qui a pourtant bien failli disparaître… C’est grâce à la volonté de quelques fermiers bien décidés à perpétuer cet héritage qu’elle a pu être préservée…

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“Mon père Raymond était fils de maraîcher mais il toujours voulu être éleveur”, raconte son fils Hendrick, star incontestable de la boucherie belge, en caressant l’une de ses bêtes. “Il a repris la boucherie de Saint-Idesbald en 1970 et quand j’avais 14 ans, il a acheté une ferme. Mais pas question de faire du blanc bleu belge, il a acheté 100 bêtes maine-anjou. Quand j’ai repris la boutique en 2001, on vendait aussi de l’angus, du limousin mais rien du terroir.”

“Mon père m’a tout appris, notamment le respect du fermier mais aussi de l’animal. Il faut être fier de bien faire son travail. Je pense que lorsque tu es boucher et que tu aimes ton métier, tu es obligé de bosser comme ça. Si on ne fait pas ça, dans 15 ans, tout sera industriel !”

 

Retour au terroir flamand

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Il y a six ou sept ans, Hendrik est contacté par des fermiers locaux qui veulent relancer l’élevage de la rouge des Flandres. On recensait alors seulement 300 bêtes de race pure contre un millier aujourd’hui; il en faudrait 3 000 pour que le cheptel soit viable. Les Dierendonck ont tout investi pour promouvoir cette race. On se demande d’ailleurs pourquoi la Région flamande ne les soutient pas davantage, au lieu de continuer à privilégier, comme en Wallonie d’ailleurs, le blanc bleu belge, au rendement nettement plus élevé : jusqu’à 80 % de viande, contre 60-65 % pour la rouge des Flandres.

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« De plus en plus de jeunes bouchers viennent me voir en disant : on veut travailler comme vous. Beaucoup de jeunes ne savaient pas qu’on pouvait être créatif en boucherie. Grâce au mouvement des “neobutchers”, la boucherie est devenue à la mode et cela donne une bonne image du métier.”

Un succès immédiat

Le succès de la rouge a été rapide grâce à la réputation du boucher mais aussi aux chefs qui l’ont tout de suite suivi dans sa démarche : le Hollandais Sergio Herman, alors triplement étoilé au “Oud Sluis” à Sluis, mais aussi Kobe Desramaults, une étoile au “In de Wulf” à Dranouter. Des chefs séduits par cette viande persillée qui devient une pure merveille lorsqu’elle est maturée de manière experte par Hendrik Dierendonck. Lequel a bossé pendant plusieurs années pour mettre au point un processus unique.

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“Aujourd’hui, on a une cinquantaine de rouges des Flandres mais 6 ou 7 fermiers bossent avec nous”, explique le boucher. “Si je pouvais, je ne vendrais qu’elle mais on a encore besoin des autres races. Mais si j’achète une viande en Irlande, en Aubrac ou à Salers, j’essaye de connaître son histoire. J’aime les races pures, les vaches de 6-7 ans qui ont eu 3 veaux et qui mangent de l’herbe !”

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On comprend qu’avec cette philosophie basée sur la qualité, la viande de chez Dierendonck soit plus chère. Mais contrairement aux grandes surfaces où les ventes de viande diminuent – de 8  % chez Colruyt par exemple –, la boucherie Dierendonck ne désemplit pas.

Sommelier de la viande

A 41 ans, Hendrik Dierendonck emploie déjà 42 personnes et ne cache pas son ambition, fourmillant de projets. Après un très beau livre (cf. ci-dessous), il souhaiterait continuer “à investir dans le métier, montrer la viande, la découpe, dans un souci de transparence pour donner confiance aux clients.” C’est en ce sens qu’il vient d’inaugurer un nouvel atelier à Furnes. Tandis qu’il rêve d’ouvrir des magasins conceptuels autour de la charcuterie à Anvers et à Bruxelles, avec un assortiment plus petit mais où l’on cuirait sur place les boudins, où l’on ferait du haché, de la maturation…

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“Le futur, c’est d’aller vers la simplification. Le problème en Belgique, c’est que beaucoup de bouchers ont commencé à vendre du pain, des légumes. Ils sont devenus des petits supermarchés. Moi, je veux diminuer l’assortiment, me spécialiser. Il n’y a pas besoin de vendre autre chose que de la bonne viande. Mais j’aime le magasin, le contact avec les gens. La boucherie va changer d’ici 10 ans. Nous allons devenir des sommeliers de la viande, comme on achète du fromage ou du vin !”

« Ça me coûte de l’argent de travailler artisanalement. Même dans les petites boucheries, on apprend aux jeunes à utiliser des additifs. Tout le monde travaille au rendement et non plus à la qualité. J’essaye de faire changer le point de vue sur la boucherie. On est un artisan si on est correct avec le produit. Et il faut être honnête avec ses clients.”

 

Une table de boucher

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Photos La cuisine à quatre mains

Autre projet mené à bien, le formidable restaurant “Carcasse” ouvert en janvier dernier juste à côté de la boucherie familiale de Saint-Idesbald. Là, dans une ambiance de table de boucher, avec frigo de maturation au milieu de la salle et jambons pendant au plafond, on se régale d’une cuisine carnivore sans complexe.

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La carte réserve évidemment une jolie place à la rouge des Flandres. On la déguste à l’apéro en version séchée, avant d’attaquer une tête de veau en tortue et une magnifique entrecôte maturée 5 semaines. Mais c’est le paleron, morceau habituellement réservé aux carbonades, qui démontre l’exceptionnelle qualité de cette race rustique. Juste grillé, celui-ci marie une belle fermeté à une vraie longueur en bouche. Une viande cuite dans sa propre graisse de maturation. Là encore pour une question de terroir !

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“Chez “Carcasse”, on vient de changer de chef. Je voulais une cuisine plus masculine. Moi, je veux, par exemple, manger des ribs de cochon de lait. L’ambiance de boucherie doit être là. On va même installer un four à bois à l’intérieur pour cuire la viande.”

Envie d’y goûter?

 

Un livre hommage

Pavé bien saignant de plus de 200 pages, “Boucher Dierendonck” est une superbe ode au travail des Dierendonck, père et fils. Car si Hendrik est aujourd’hui une star dans le petit monde de la gastronomie belge, l’ancien petit dur de Saint-Idesbald rend ici joliment hommage à son père Raymond, qui lui a ouvert la voie en le formant au travail bien fait…

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Illustré par les photos très “nature” de Stephan Vanfleteren et Thomas Sweertvaegher, ce livre coécrit par Marijke Libert et le journaliste du “Soir” René Sépul (qui a racheté les droits de l’édition française) est une parfaite illustration du travail d’un boucher digne de ce nom. Ou un road-trip sur les traces des éleveurs avec qui travaille Dierendonck (veau sous la mère de Corrèze, agneau de lait des Pyrénées, porcs ibérique et mangalica de Campine ou encore, bien sûr, rouge des Flandres), enrichi d’une série de recettes de mecs toutes plus appétissantes les unes que les autres !

  • “Boucher Dierendonck”, publié en français chez SH-OP Editions (225 pp., 37  €).