En Belgique comme ailleurs, les idées Slow Food, à la mode et en phase avec les préoccupations actuelles, gagnent du terrain, mais le mouvement peine à se structurer et à se développer…

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Le 10 décembre  1989, sous l’impulsion du journaliste et écrivain italien Carlo Petrini, était fondé à Paris le mouvement Slow Food International, trois ans après sa naissance italienne à Bra, petite ville du Piémont. L’idée était simple : marquer son opposition au fast-food, symbole d’une société de consommation détraquée, prôner le retour aux produits locaux, au goût des choses et reprendre le temps de manger, de partager. Vingt ans plus tard, ces idées généreuses, synthétisées en un slogan – « Manger bon, propre et sain » – sont non seulement plus que jamais d’actualité ; elles sont surtout de plus en plus audibles.

Aujourd’hui, le Slow Food représente en effet quelque 100 000 membres dans 150 pays. Et alors qu’il vient à peine d’y être lancé, le mouvement a fait rapidement tâche d’huile aux Etats-Unis, deuxième pays le plus actif derrière l’Italie. Car cela reste en Italie que le Slow Food est le mieux implanté. Soutenu par la ville de Turin et la région Piémont, le Salon du goût, bisannuel, en offre la plus impressionnante vitrine. En octobre dernier, 200 000 visiteurs se sont ainsi pressés au Lingotto de Turin pour venir découvrir des centaines d’exposants et autant de produits du terroir italien. Tandis que juste à côté, la 4e rencontre Terra Madre réunissait 5 000 délégués venus des quatre coins de la planète (paysans, chefs, profs…) pour mettre en commun leur expérience.

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A Terra Madre, on pouvait voir par exemple une carte du monde listant l’ensemble des « Presidiums », des produits remis en valeur, voire « sauvés » d’extinction par Slow Food. Sur cette carte, au niveau de l’Europe, la Belgique sortait du lot, représentant un petit trou blanc… Notre pays ne compte en effet pas un seul Presidium Slow Food… Cela ne veut pas dire que le mouvement n’y est pas actif pour autant. La Belgique compte en effet une bonne dizaine de « conviviums », antennes locales du Slow Food International, plus ou moins actifs. Le convivium Pays de Liège travaille ainsi à la sauvegarde le sirop de Liège fermier ; à Bruxelles, Karikol tente de faire renaître l’ettekeis (le « fromage de Bruxelles ») ou songe à défendre les jets de houblon. Tandis que le président de Slow Food Vlaanderen, Dirk Martens, estime qu’il y aurait des choses à faire pour les vraies crevettes grises d’Ostende ou les anguilles de l’Escaut.

Engagé dans le mouvement depuis longtemps déjà, ce fromager de 54 ans, qui connaît bien Carlo Pettrini, est aussi le plus désabusé par le Slow Food en Belgique… « J’ai découvert le mouvement dans les années 2000 à Bra, où est organisé tous les deux ans le salon Cheese. On y participe avec quelques collègues. C’est comme ça qu’on a eu envie de créer un petit convivium près d’Anvers. Cela fait donc plus de 10 ans que je suis dans le bain … » Mais dix ans plus tard, l’énergie commence à manquer à Dirk Martens. « Démarrer Slow Food en Belgique est plus difficile que dans d’autres pays, parce que beaucoup de gens ont déjà une vie Slow sans le savoir. Sans compter qu’entre partager les idées et rejoindre le mouvement, il y a un gouffre ! Et 50€ de cotisation annuelle, c’est trop. » D’autant que l’inscription ne coûte que 30€ en France, 25$ aux Etats-Unis. En Italie par contre, elle grimpe à 58€.

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Sur la carte des Presidii dans le monde, la Belgique est toujours vide…

Voilà en effet l’un  des principaux points d’achoppement du mouvement Slow Food en Belgique, sa cotisation élevée. Pour une idéologie qui s’oppose à une certaine forme de société de consommation, il n’en est pas moins très pragmatique ! En Italie, le Slow Food représente en effet aujourd’hui un vrai pouvoir, avec sa propre maison d’édition (qui édite notamment le best-seller « Guida delle osterie d’Italia», recueil d’adresses Slow Food dans toute l’Italie), un relais commercial via la chaîne d’épiceries de luxe » Eataly », détenue par Oscar Farinetti (l’un des principaux soutiens financiers de Slow Food) et qui vient d’ouvrir sa première adresse à New York. Le fossé entre cette puissance économique en Italie et la réalité concrète en Belgique est abyssal.

Sur les 50€ déboursés chaque année par les membres Slow Food belgique, 40€ sont reversés à Turin. « Cette somme est partagée entre Slow Food International, Slow Food Italia, Slow Food Promozione, Slow Food Editore, Slow Food Foundation for Biodiversity et sert à soutenir nos projets, explique Daniela Conte, relais pour la Belgique de Slow Food International. On est plus au moins 130 salariés à Bra, sans compter les frais de gestion. » « Faire vivre un convivium avec 10€ par membre, c’est impossible !, se désole cependant Dirk Martens. II y a 5 ans par exemple, j’avais organisé une Bourse Slow et j’ai dû payer une perte de 700€ de ma poche ! Si l’argent de la cotisation pouvait être entièrement utilisé au niveau local, ce serait plus acceptable pour les membres. J’ai confiance dans les idées Slow Food mais je me pose quand même des questions sur l’organisation. »

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A Terra Madre, chacun était invité à inscrire le nom d’une spécialité de son pays…

Ce questionnement, on a pu le retrouver chez quasiment tous nos interlocuteurs. Présidente de Karikol, le convivium bruxellois, Malika Hamza confirme un certain manque de transparence. « Le Slow Food International n’est pas vraiment transparent mais ça ne m’inquiète pas trop ; on voit bien que des choses sont faites. Mais 10€, ce n’est pas assez pour fonctionner… » Et de déplorer de manquer parfois de soutien de la part de la maison-mère. Tout en reconnaissant que l’avantage, c’est que les conviviums ont carte blanche, du moment qu’ils restent dans la philosophie Slow Food.

De fait, les actions menées par les conviviums belges sont très variées. A Silly, l’un des plus anciens groupes, fondé en 2005, l’accent est mis sur l’éducation. Sabine Storme, présidente du convivium est payée à 4/5e temps par la commune (majorité MR/PS) pour tenter de faire de Silly une commune Slow Food. Membre du réseau CittaSlow, la ville participe également activement au réseau européen des cantines scolaires mis en place par Slow Food International. « On travaille sur la sensibilisation des enfants, on a également un projet de compostage intergénérationnel, un potager scolaire. Bref, on travaille à introduire des produits bons, propres et sains. On reçoit le soutient des parents et des enseignants ! On va élargir cela à toutes les écoles de l’entité. Cela concernera 900 enfants ! »

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Un potager Slow Food de Silly

A Bruxelles, soutenu notamment par l’IBGE et Etopia, Karikol a choisi de mettre plutôt l’accent sur la restauration, notamment à travers sa très visible opération « Goûter Bruxelles », dont la 3e édition s’est tenue en septembre dernier. Durant une semaine, des dizaines de chefs de la capitale, dont de grands noms comme Lionel Rigolet du « Comme chez soi », Christophe Hardiquest de « Bon-Bon » ou Gaëtan Colin du « Jaloa », ont proposé à leur carte un menu en accord avec la charte Slow Food. Le succès a été très largement au rendez-vous, tout comme pour les autres activités proposées : cours de jardinage, atelier sur le miel, promenades gourmandes… Si Karikol choisit de travailler surtout avec des chefs, c’est qu’ils ont un rôle de prescripteurs vis-à-vis des consommateurs, explique Malika Hamza. « Cette action les oblige à avoir une réflexion sur leur approche de la cuisine. Pour certains, il s’agit sans doute d’une approche marketing mais on est derrière eux. Car on constate que les chefs sont parfois très loin d’une alimentation durable, des saisons, du local… Mais cela change, beaucoup nous ont dit qu’ils voulaient se former… Je trouve dommage que dans des événements comme Culinaria² ou Horeca Life, il n’y ait pas cette réflexion. Je pense que l’arrière-garde de la cuisine va se prendre une sacrée claque dans la figure… La plupart des chefs ont le nez dans le guidon et n’ont pas le temps de développer une réflexion pour offrir une carte saisonnière par exemple mais le consommateur commence à poser lui-même ces questions… »

Comme à Silly ou à Bruxelles, « Les petits gris », convivium namurois lancé il y a un an, compte dans ses 25 membres aussi bien de simples citoyens que des professionnels : producteurs, restaurateurs… Ancien chef d’« Agastache et Tonka » à Bruxelles, Claude Pohlig s’est reconverti avec « Cuisine potager » dans un service traiteur bio. Cofondateur et vice-président des très actifs « Petits gris » – c’est eux qui organiseront, le 10 décembre prochain à l’occasion du Terra Madre Day, un banquet à l’Arsenal de Namur, avec l’ensemble des conviviums belges –, il se montre enthousiaste et optimiste pour l’avenir du Slow Food et de ses idées. Constatant par exemple cette année une forte augmentation de clients faisant appel à ses services parce qu’il propose une cuisine saine et bio. « Le marché du bio est en pleine explosion. Il n’y a plus assez de production pour satisfaire la demande ! Je suis donc très optimiste. Mais pas du côté flamand, où ça ne bouge pas du tout … »

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Dans sa fromagerie de Schilde, Dirk Martens confirme. « Je suis à un stade où j’attends de voir ce que l’avenir réservera au Slow Food en Flandre. Au nord du pays, on est moins loin qu’au niveau francophone. Avec la NV-A et la crise financière, en Flandre, on pense à autre chose… Pourtant, aujourd’hui, la demande de tout ce qui est artisanal revient en force. Mais c’est plus facile en Wallonie qu’en Flandre, où on a 5 à 10 ans de retard. Côté wallon, on créait l’Apaq-W pendant qu’en Flandre, on continuait à aider l’industrie… Je suis fâché sur la Flandre à cause de cela ! » Pourtant, plus que jamais, le fromager cherche à appliquer ses idées dans sa pratique professionnelle. « Sur le plan professionnel, le Slow Food a aussi changé ma vie. J’ai 54 ans et je travaillerai sans doute encore 12 ou 13 ans mais je suis désormais un fromager heureux. Je sais que, quand je ne trouve pas un produit qui me plaît, au lieu de me lamenter, je le crée avec des artisans locaux. C’est ce que j’ai fait par exemple avec un gars de ma commune, qui a créé le Baas Gansendock, un fromage au lait cru. » Tandis qu’il est fier de proposer à son étal l’achelse blauw , un bleu créé par Peter Boonen parce que sa femme n’aimait pas le roquefort… L’année dernière, celui-ci obtenait  le Prix du meilleur fromage original au prestigieux Caseus de Lyon ! Une démarche Slow avant la lettre…

On le voit, si les idées Slow Food commencent à se répandre un peu partout sur la planète, en phase avec les préoccupations environnementales actuelles, en Belgique, on semble ne pas encore avoir dépassé le stade de la tendance sympa, voire du marketing – on a pu ainsi voir un chef en vue à Bruxelles se revendiquant du Slow Food proposer du thon rouge à sa carte… En effet, le mouvement n’est pas encore structuré pour peser plus fortement sur la politique. Pour ce faire, il faudrait pouvoir créer notamment un Comité national Slow Food. « Pour créer une structure nationale, explique Daniela Conte à Bra, il faut avoir au moins 2000 membres (ils ne sont que qu’entre 200 et 400 en Belgique, NdlR) et, en plus, garantir une personne salariée qui s’occupe de l’enregistrement des membres. » L’objectif de ce comité national ? « Chercher à améliorer les relations parmi les conviviums nationaux, développer un plan d’action et une stratégie nationale, soutenir Slow Food International au niveau politique et économique. »

Le mouvement Slow Food est riche de belles idées et de projets intéressants et il pourrait être le fer de lance d’une remise en lumière des produits belges artisanaux mais, pour conquérir plus de membres en Belgique, il faudrait sans doute diminuer un peu la cotisation et être plus transparent sur le fonctionnement général de l’organisation.

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Le vocabulaire du Slow Food

  • Convivium: groupe local qui tente de faire vivre les idées Slow Food.
  • Arche du goût: dans chaque pays, des comités nationaux listent les produits ou spécialités en « voie d’extinction » à sauver. L’Arche du goût est un inventaire des produits à sauver.
  • Sentinelles du goût: projet pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine alimentaire et de la biodiversité agricole (en général un produit alimentaire), qui associe Slow Food, des producteurs et divers partenaires qui apportent un soutien technique ou financier.
  • Presidium Slow Food: appellation sans reconnaissance officielle qui met en valeur un produit « sauvé » par une Sentinelle. Il n’existe aucun Presidium en Belgique, contre près de 200 en Italie, une bonne dizaine en France et déjà six aux Etats-Unis.
  • Terra Madre: créée en 2004 à côté de Slow Food International, cette organisation parallèle, financée de façon autonome, travaille à la coopération au développement, réunissant par exemple tous les deux ans à Turin des paysans du monde entier.

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Quelques conviviums Slow Food belges

  • Slow Food International revendique 70000 membres à travers le monde, principalement en Italie et aux Etats-Unis.
    Rens. : www.slowfood.com.
  • Il existe en Belgique une petite dizaine de conviviums, plus ou moins actifs, rassemblant environ 200 membres, selon Slow Food International, un peu plus selon les conviviums belges…
  • Rens. : www.slowfoodbe.be.
  • Karikol: le convivium de Bruxelles compte une petite centaine de membres.
    357 rue Léopold I 1090 Bruxelles. Rens. : www.karikol.be.
  • Pays de Liège: le convivium liégeois.
    Rens. : www.slowfoodliege.be.
  • Les petits gris: créé il y a un an, le convivium de Namur compte 25 membres.
    Rens. : www.slowfoodnamur.be.
  • Les saveurs de Silly: le convivium de Silly, le plus ancien de Wallonie, a été créé en 2005. Il compte 75 membres.
    Rens. : ou www.silly.be/slowfood ou 068.25.05.37.
  • Slow Food Vlaanderen: le convivium anversois compte une vingtaine de membres.
    Rens. : www.slowfoodvlaanderen.be.