Flammarion ressort le “Guide culinaire” d’Auguste Escoffier, qui jeta, dès 1903, les bases de la cuisine moderne: une somme indémodable…

Né en 1846 à Villeneuve-Loubet, à côté de Nice, et mort en 1935 quelques kilomètres plus loin, à Monte-Carlo, Auguste Escoffier est, avec Antonin Carême (1784-1833) et Joseph Favre (1849-1903), qu’il admirait, l’un des noms les plus célèbres de la gastronomie française. Chef renommé, il devint de son vivant le symbole de la perfection de la cuisine française; l’empereur d’Allemagne Guillaume II le surnomma ainsi « l’empereur des cuisiniers” après qu’il ait été son cuisinier le temps d’une croisière.

Sa carrière l’amena à propager le savoir-faire hexagonal à travers le monde, en ce qu’elle a accompagné le développement de l’industrie du luxe, des palaces, des paquebots – il travailla notamment à l’aménagement des cuisines des paquebots de la Hamburg-Amerika Linie… Son principal employeur puis associé fut César Ritz qui, après l’avoir engagé au Grand Hôtel de Monte-Carlo, lui confia l’ouverture du Savoy à Londres en 1892. Le même Ritz qui, six ans plus tard, lui confia les cuisines du Ritz de la place Vendôme à Paris, où il resta jusqu’à sa retraite en 1921. A la fin de sa vie, Escoffier est ainsi un homme célèbre, qui fait de la publicité pour Maggi auprès des ménagères ou qui rédige la préface du “Larousse gastronomique”, qui paraîtra trois ans après sa mort, en 1938.

Un chef passeur

Car Escoffier n’a pas été qu’un immense chef, il a aussi énormément travaillé à consigner son expérience, dans des ouvrages aujourd’hui encore considérés comme des références par les professionnels. Et notamment son “Guide culinaire”, que Flammarion a la bonne idée de rééditer, même si on aurait aimé une introduction historique remettant en contexte l’homme et son oeuvre dans la gastronomie française. Cet ouvrage marqua en effet profondément son époque. Escoffier, fort de sa pratique en restaurant, se propose de simplifier la cuisine. C’est ainsi qu’il rationalisa la répartition des tâches dans la brigade, tout en veillant à l’image de marque du cuisinier.

Dans ses préparations, on retrouve la même volonté, moderne, de simplification. S’il révère la cuisine classique, il n’hésite pas à lui donner un coup de fouet, notamment dans le domaine des sauces (il fut maître-saucier à ses débuts), où il préfère à la farine des roux espagnols les fonds, les jus concentrés et naturels, les fumets… Car ce que promeut Auguste Escoffier, c’est bien une cuisine moderne : allégement des préparations, simplification du dressage, réduction à trois du nombre de garnitures… Surtout, pour lui, l’art culinaire doit sans cesse évoluer, ne jamais se reposer sur ses acquis ou sur la routine. C’est ainsi qu’il appelait déjà de ses vœux une cuisine scientifique, où l’empirisme n’aurait plus droit de citer !

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Escoffier à Londres, dégustant des puddings préparés pour les soldats français mobilisés sur le front pendant la Première Guerre mondiale.

 

Une Bible des gourmets

A la lecture de son “Guide culinaire”, somme de 63 années passées derrière les fourneaux, on prend conscience de cette modernité. “J’ai voulu faire un outil, plutôt qu’un livre”, écrit-il dans le premier de ses quatre avant-propos aux différentes éditions (en 1903, 1907, 1912 et 1921) d’un chef-d’œuvre sans cesse remanié et qui fut l’un des best-sellers du XXe siècle. Plus qu’un catalogue de recettes, il livre en effet un vade-mecum à l’usage de l’“ouvrier” et de la ménagère. “Je n’ai pas voulu en faire un ouvrage luxueux, un livre de bibliothèque mais un compagnon de tous les instants, sans cesse à portée de main et dont les avis éclairés seront précieux toujours.”

Et aujourd’hui encore, son “Guide” peut se révéler précieux pour les cuisiniers comme pour les amateurs. Il compile plus de 5000 recettes dont la plupart n’ont rien perdu de leur valeur, même si, à côté des classiques, beaucoup de préparations sont aujourd’hui oubliées. Sauces, garnitures, potages, hors d’œuvres, œufs, poissons, terrines, volailles, gibiers, préparations froides, rôtis, légumes, entremets, desserts, compotes et confitures… Rien n’échappe à la sagacité d’Escoffier, dont on ne saurait que trop conseiller la lecture à tous les gastronomes dignes de ce nom.

 

Un extrait / Une recette

Une création indémodable

  • Parmi les créations les plus célèbres d’Escoffier, on trouve la pêche Melba (pêche pochée, glace vanille et purée de framboise), mise au point en l’honneur de la cantatrice Nellie Melba, qui résidait à l’hôtel Savoy de Londres. En voici la formule selon le “Guide culinaire”: “Pocher les pêches au sirop vanillé. – Les dresser en timbale sur une couche de glace à la vanille et les napper de purée de framboises.”

Citation

  • “Alors que tout se modifie et se transforme, il serait absurde de prétendre fixer les destinées d’un art qui relève par tant de côtés de la mode, et est instable comme elle.” Dans l’avant-propos au “Guide culinaire”, Escoffier plaide pour une évolution nécessaire de la cuisine, qui doit s’adapter à son temps.

Envie de lecture?

  • Guide.jpgGuide culinaire. Doté d’un index exhaustif et d’une table des matières détaillée pour parcourir les 5 000 préparations et plus rassemblée au fil des ans, le précieux recueil d’Auguste Escoffier est un véritable régal pour les gourmets d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Pas de photos évidemment mais d’innombrables recettes, des bases, des indications, des conseils… Une lecture toujours aussi fascinante.
    Publié chez Flammarion (940 pp., env. 30 €).
  • Gastronomie.jpgGastronomie pratique. Avec Antonin Carême et Auguste Escoffier, Ali-Bab (Henri Babinski, 1855-1931) est l’autre grand maître classique de la gastronomie française. Publié pour la première fois en 1907, sa « Gastronomie pratique » s’est étoffée pour contenir plus de 5000 recettes et 1000 pages en 1928. L’ouvrage comprend des recettes détaillées mais aussi des textes sur l’histoire de l’art culinaire, sur les aliments et les boissons utilisés…
    Publié chez Flammarion (env. 45 €).
  • Le meilleur des chefs.jpgFlammarion propose également une sélection de recettes d’Auguste Escoffier et d’Ali Bab dans le très beau coffret Le meilleur des chefs. Qui reprend également des florilèges des créations de Paul Bocuse, Jacques Chibois, Roland Durand, Auguste Escoffier, André Guillot, Paul et Marc Haeberlin, Jean-François Piège, Fernand Point, Pierre et Michel Troisgros.
    Publié chez Flammarion (env. 30€).