Jeudi soir, étaient annoncées les premières mesures de confinement pour lutter contre la propagation du coronavirus en Belgique. Parmi elles, la fermeture, dans la nuit de vendredi à samedi, de tous les bars et restaurants. Un coup dur à encaisser pour le secteur.

Dès vendredi, plusieurs initiatives d’aide aux restaurateurs ont vu le jour, notamment pour les aider à passer en mode cuisine à emporter et/ou livraison à domicile. Comme la page « Chefs Take Away » du site du Gault&Millau Belgique (qui recense 90 restaurants proposant des plats à emporter dans le pays) ou la liste proposée par l’office de tourisme VisitBrussels pour soutenir l’Horeca bruxellois. Ou encore un groupe Facebook « Entraide Horeca Belgique Covid-19 », qui, en 4 jours, comptait déjà 410 membres.

Un week-end de réflexion

Si, durant le week-end, une partie de la population n’a pas réellement pris la mesure du danger — en participant à des Lockdown Parties ou en allant manger au restaurant de l’autre côté de la frontière néerlandaise —, la situation s’est néanmoins accélérée. Notamment avec les dispositions annoncées par le Premier ministre français Edouard Philippe samedi soir et le discours de plus en plus alarmant des médecins, qui préparent l’opinion à des mesures de confinement beaucoup plus drastiques, à l’italienne ou à la chinoise…

La multiplication des appels à « rester à la maison » (avec la variante anglophone: #staythefuckhome) a poussé certains chefs à réfléchir. Et ce alors que la pénurie de masques inquiète en Belgique et que l’Italie a déjà interdit la vente de plats à emporter et même les livraisons à domicile dans certaines régions comme la Campanie.

Dimanche soir, John Maes, chef du restaurant La Cuisine d’un gourmand à Profondeville, publiait un message sur sa page Facebook, où il annonçait finalement renoncer à proposer un service traiteur durant la période de confinement. « Notre ennemi invisible se moque des mesures en demi-teinte et des foules de personnes, écrivait-il. Nous avons longuement réfléchi, pesé le pour et le contre, le bénéfice/risque comme l’on dit en médecine. Faut-il ouvrir et proposer des plats à emporter, risquer que nos amis, nos collègues, vous et vos familles soyez infectés pour un take-away. Nous ne le pensons pas. »

Montrer l’exemple du Stay at home

« Dès l’annonce de jeudi soir, on savait que ça allait être plus long. Tout le monde s’est lancé dans le service traiteur pour sauver les meubles. Mais on s’est dit que notre offre éventuelle se serait perdue dans la masse. Tout le monde allait acheter un plat par-ci par-là et finalement ça ne servirait à rien. Pourquoi, dès lors risquer la santé de nos clients, celle de notre personnel et la nôtre?, s’interroge John Maes. Il fallait prendre ses responsabilités. Certains diront que c’est prendre trop de précautions mais ça ne vaut vraiment pas la peine de courir le risque pour si peu de bénéfices. »

Rapidement, le message du chef, rédigé avec son agence de communication Miam, a été relayé sur l’influent groupe Facebook « Namur gourmande » avec le hashtag #restezchezvous. Et il a inspiré d’autres chefs du Namurois, comme Chen Youmi (Dynasty à Gembloux), Cédric Delsaut (Bienvenue chez vous à Salzinnes), Charles Jeandrain (Attablez-vous à Namur), Martin Hubaut (Uppkok à Sart Bernard) ou encore Alain Branne (La petite croquette à Profondeville).

« Nous avons préféré montrer l’exemple du « Stay at home »; c’est la bonne décision. Je suis content d’avoir lancé le mouvement. Nous sommes tout à fait conscient que ça va durer plus longtemps. En Chine ça a duré trois mois. J’y ai pensé bien avant que le gouvernement prenne sa décision jeudi soir… On a anticipé ça financièrement depuis le début de la crise mondiale. Au lieu de faire des investissements comme on en a l’habitude, pour acheter des assiettes par exemple, on n’a pas fait de dépenses inutiles. On a gardé notre trésorerie pour pouvoir redémarrer dans de bonnes conditions plus tard. On n’est pas aveugle. On regarde ce qui se passe en Chine, en Italie, en France. On est tous dans la même situation, tout métier confondu. Sur mon profil, j’ai affiché le message très relayé « Je suis indépendant et dans la merde ». Sauf que j’ai barré le « dans la merde » et j’ai écrit: « et ça va aller ». Tout le monde est dans la même situation, alors autant être positif! », conclut, philosophe, le chef de La Cuisine d’un gourmand.

Les étoilés rejoignent le mouvement

Ce lundi, l’ancien chef brugeois Gert de Mangeleer (qui avait décroché trois étoiles à l’ancien Hertog Jan) annonçait, lui aussi, son intention de laisser fermés ses restaurants Bar Bulot et LESS Eatery, en précisant sur les réseaux sociaux: « La santé de nos collaborateurs, de nos clients et de chacun autour de nous est primordiale. C’est pourquoi nous soutenons pleinement les directives du gouvernement et nous avons également décidé de ne pas offrir de plats à emporter. »

Alors qu’il avait déjà reçu de nombreuses demandes de traiteur à domicile ou de plats à emporter, le chef doublement étoilé Christophe Hardiquest a, lui aussi, choisi de tout annuler. « Ma première réaction a été celle d’un entrepreneur. Et puis, ce week-end avec ma femme, en voyant la situation s’envenimer, on a décidé de tout arrêter, plutôt que de faire des gaffes. La conscience a pris le dessus sur l’entrepreneur. On a sa responsabilité de citoyen. Il ne faut pas penser qu’à soi… », confie le chef de chez Bon Bon à Bruxelles.

Même décision, toujours à Bruxelles, du côté du bistrot Le Dillens, du Crab Club ou encore de chez Racines, qui avait pourtant annoncé transformer sa seconde adresse Le Petit Racines en service traiteur. Cofondateur avec son comparse Ugo Federico de cette belle table italienne près de la place Flagey, Francesco Cury a longuement réfléchi. « On a fait le point ce matin avec Ugo. On en a conclu que cela ne valait pas la peine de continuer à faire du take-away, car on ne vendait pas assez; ce n’était pas rentable. Et puis, si l’on continuait, on risquait de ne pas toucher à 100% la subvention de l’État pour la fermeture. Sans compter qu’on prenait un risque pour notre santé et celle des gens », explique-t-il dans l’urgence, alors qu’une longue file s’étendait, ce lundi après-midi, devant son restaurant. Racines a en effet décidé de liquider ses stocks à moitié prix, avant de fermer ses portes jusqu’à nouvel ordre.