On n’a pas tous les jours la chance d’aller cueillir des asperges avec le Flamand Peter Goossens, dernier trois-étoiles de Belgique depuis la fermeture du Karmeliet de Geert Van Hecke et celle du Hertog Jan de Gert De Mangeleer! Quand, il y a quelques mois, on propose au chef du Hof Van Cleve un reportage chez l’un de ses producteurs, il répond du tac au tac: les asperges! « C’est mon produit préféré! J’adore le goût, la texture. Blanches ou vertes, j’en mange tous les jours. Ce n’est que deux mois dans l’année, il faut donc en profiter! », s’enflamme Goossens.

Jeudi dernier, rendez-vous était donc pris à l’Aspergehuis à Moorsele, dans la commune de Wevelgem. En Flandre-Occidentale, en pleine campagne, à quelques kilomètres de Courtrai et de la frontière française, on est accueilli par Ilse Vancraeynest, son mari Jan Vandeputte et leurs deux petites filles, Constance, un an et demi, et Clémence, trois ans et déjà grande amatrice d’asperges. Dans le magasin, on peut d’ailleurs voir les petites en photos, dans le champ d’asperges ou dans l’atelier. Atelier où, ce matin, s’affaire la mère d’Ilse, qui lave, trie et met en bottes les asperges fraîchement cueillies.

C’est qu’ici, les asperges, c’est une affaire de famille. Il y a 20 ans, Ilse Vancraeynest a en effet repris les terres de ses parents et s’est concentrée sur la production d’asperges. La terre, légère et sablonneuse, se prêtant particulièrement bien à cette culture.

De petites têtes blanches

Quand on se rend avec le chef et sa productrice sur le champ, on est d’abord surpris par sa taille modeste: 1,5 ha, parsemé d’une trentaine de longues buttes de terre recouvertes de bâches de plastique réversibles: côté noir pour absorber les rayons du soleil quand il fait froid, côté blanc quand il s’agit au contraire de les réfléchir. Des buttes car, pour obtenir cet or blanc flamand, les asperges doivent en effet pousser sous terre.

Quand on soulève une bâche, on découvre des dizaines de petites têtes blanches affleurant au ras de la butte. D’un geste assuré, Ilse plonge une longue tige de métal à l’aveugle dans la terre, pour couper le pied de l’asperge, en veillant à ne pas abîmer celles qui poussent à côté…

Lancée vers le 20 avril et s’arrêtant impérativement le 24 juin (selon un accord entre producteurs), la saison s’annonce moyenne, par manque de pluie et de chaleur. Mais quand le temps est de la partie, la récolte doit parfois se faire deux fois dans la journée. Les asperges peuvent en effet grandir d’une quinzaine de centimètres par jour et risquer ainsi de percer les bâches. Et il suffit que leurs têtes touchent un peu trop le plastique pour se teinter. Les asperges blanches devenant alors des asperges violettes… C’est d’ailleurs pour cette raison qu’idéalement, la cueillette s’effectue durant la nuit !

Un peu plus loin, on découvre également des asperges vertes, poussant, elles, à l’air libre. Si Ilse en produit, c’est parce qu’elles sont à la mode mais elles ne représentent que 10% de sa production. Elle n’a d’ailleurs pas choisi de variété spécifique. En fait, il s’agit de la même variété que pour les blanches. Ses asperges vertes ont donc un pied blanc et un goût particulier.

Dix ans de culture

Si la culture des asperges se fait ici sur 1,5 ha, Het Aspergehuis possède pourtant 10 ha de terrain. C’est que l’asperge est un légume très exigeant, nécessitant une rotation des terres. Ne produisant une première vraie récolte qu’à partir de la troisième année. De plus, les asperges ne sont productives que pendant une dizaine d’années seulement (les plus grosses provenant des plantes les plus jeunes). Ensuite, il faudra attendre 30 ans avoir de pouvoir replanter des asperges, dont les nombreuses racines colonisent le sol en profondeur. En attendant, Ilse cultive donc sur ces terres « en jachère » du maïs, du blé ou du fourrage.

A la fin du printemps, une fois la récolte terminée, les asperges montent en arbustes, qui sont fauchés après l’hiver et brûlés sur place. Fin mars, on rouvre le sol pour couper la plante jusqu’aux racines. On ajoute un peu d’engrais, on reforme les buttes de terre et le cycle peut reprendre….

Des asperges d’exception

Prenant quelques asperges blanches d’un beau calibre dans les mains, Peter Goossens jette un regard connaisseur. « Il suffit de les regarder pour voir que ce sont les meilleures! C’est un produit régional et Ilse fait tout pour que ce soit un produit d’exception. On peut acheter des camions d’asperges hollandaises poussées sous tunnel. Mais ici, c’est fait avec une âme, avec amour, de façon naturelle. Elles sont peu fibreuses, très tendres. C’est la terre! », complimente le chef, tombé en amour pour ces asperges il y a cinq ans.

Attablés alors au Hof Van Cleve pour une grande occasion, Ilse et son mari papotent avec le chef en fin de service, lui confiant timidement qu’ilse produit des asperges près de Courtrai… Goossens leur demande de lui faire parvenir quelques bottes avant de prendre congé. Le couple s’exécute, mais reste sans nouvelle pendant plusieurs semaines. Une simple politesse de la part du chef sans doute… Pourtant, un matin, ils reçoivent un coup de fil du Hof Van Cleve, qui passe une première commande. Depuis, le chef ne travaille plus qu’avec les asperges d’Ilse. « Ce qu’il a apprécié, c’est que c’est une petite production, une petite structure, concentrée sur la vente d’asperges », estime Jan.

Une production à taille humaine

Privilégiant la qualité à la quantité, Ilse n’a même jamais compté le nombre de kilos d’asperges qu’elle produisait par an. A part le Hof Van Cleve, elle fournit cinq autres restaurants, dont l’excellent Rebelle de Martijn Defauw à Courtrai ou La durée** d’Angelo Rosseel à Izegem… Mais pas question d’écouler son trésor dans la grande distribution. « Au supermarché, les asperges ont souvent une dizaine de jours, elles sont sèches et déjà éclatées au pied. Quand on prend la botte et qu’on les fait rouler, on doit entendre le petit crissement. C’est la preuve qu’elles sont fraîches! », s’enthousiasme son mari.

Quand on découvre la fraîcheur exceptionnelle de ces asperges cueillies le matin même, on est convaincu. Un pur bonheur qu’Ilse réserve en fait avant tout aux particuliers. Ouvert tous les après-midi en saison, son petit magasin propose 16 qualités d’asperges différentes, selon la couleur, la taille ou si elles sont cassées ou les tordues. Et ce à des prix tout à fait raisonnables, de 2€ la botte de quatre énormes asperges « Super » destinées à la soupe à 6€ pour celle de grosses asperges blanches. « Depuis que Peter Goossens a parlé de nous, on fait parfois la file jusqu’au village pour venir en acheter », confie Jan, fier comme un coq… On le comprend.

Envie d’y goûter?

  • “Het Aspergehuis”. Dadizelestraat 50, 8560 Wevelgem.
    En saison, le magasin est ouvert tous les jours de 16 h à 19h30.
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La cuisine renversante de Peter Goossens

Un repas au Hof Van Cleve est toujours un moment exceptionnel. Si l’expérience a un prix (195  € minimum pour le menu du midi), les gourmets ne regretteront pas d’y avoir cassé leur tirelire. Le restaurant de Peter Goossens reste en effet tout simplement l’un des meilleurs d’Europe et même du monde.

A la recherche de la perfection

Magnifiant les meilleurs produits, du terroir flamand si possible mais sans exclusive, la cuisine de Goossens n’a rien perdu de sa force d’émotion. Ancrée dans un certain classicisme à la française, ouverte à de multiples influences (notamment japonaises), elle refuse les tics contemporains mais pas la modernité. Elle est intemporelle.

“Un plat se compose de cinq points, comme les doigts de la main. Un, le produit. Deux, la cuisson. Trois, la sauce. Quatre, la garniture. Cinq, la présentation. Et ça ne marche que dans un sens… Alors que les jeunes chefs commencent souvent par la présentation, la garniture et oublient la sauce”, explique le chef, ne cachant pas son ambition : la recherche de la perfection.

Magnifier les asperges

Durant la saison, les asperges d’Ilse Vancraeynest occupent évidemment une place de choix dans les menus dégustation du Hof Van Cleve. Cuites longuement dans un bouillon, les asperges blanches se retrouvent par exemple dans une vichyssoise raffinée, en accompagnement d’un tartare de langoustine, d’un flan de raifort et de caviar belge.

Tandis qu’en crème, elles apportent de la rondeur à un formidable filet de lieu jaune, servi sur un tartare de bulots bien poivré et réveillé par les notes bisquées d’un bouillon de crevettes grises. Un plat renversant, qui trouve le parfait équilibre entre élégance et profondeur des saveurs.

Les asperges vertes peuvent, elles, venir taquiner du veau de lait de Corrèze grillé, présenté avec une compote d’oignons des Cévennes, de petites morilles et une sauce au vin jaune. Dans un accord classique magistral.

Asperges à la flamande tout simplement

Mais, à la demande du client, Goossens peut aussi préparer de “simples” asperges à la flamande. Les ingrédients sont ceux de la recette traditionnelle (œufs, persil et muscade) mais tout est ici dans le tour de main, dans la cuisson parfaite des asperges blanches, fondantes, et dans l’exécution de la sauce mousseline, où le beurre est monté avec le jaune coulant des œufs mollets (et non avec des œufs durs). Cette sauce est tellement délicieuse, avec son parfum entêtant de muscade, que l’on n’a qu’une envie : saucer avec un bout de pain.

Ou quand, par son savoir-faire hors du commun, Peter Goossens transforme un classique ménager en un véritable plat trois étoiles ! “En, cuisine, il faut réfléchir, comprendre comment on peut faire le meilleur avec une simple asperge à la flamande… Après, on peut éventuellement rajouter des crevettes grises ou des dés d’anguille fumée par exemple…”, lâche-t-il négligemment. Comme si, pour lui, la cuisine, c’était simple comme bonjour…

Envie d’y goûter?

  • Riemegemstraat 1, 9770 Kruishoutem.
    Fermé dimanche, lundi mardi midi.
    Rens. : 09 383 58 48 ou www.hofvancleve.com.

La recette des asperges à la flamande selon Peter Goossens