A Bruxelles, ce Breton de 34 ans fait partie de ces jeunes chefs dont on commence à parler. C’est lui que Nicolas Scheidt a choisi comme chef exécutif pour sa géniale « Buvette » à Saint-Gilles.
Un nouveau souffle
En 2012, Nicolas Scheidt introduisait, avec Nicolas Darnauguilhem, une cuisine bistrotière créative, accessible et conscientisée à Bruxelles. Avec leurs micro-restos, les deux Français avaient fait souffler un vent de fraîcheur sur la capitale, en important une cuisine plus libertaire que technique, privilégiant déjà le légume et des assiettes franches et directes. Nicolas Scheidt avait même décroché le titre de “Grand de demain pour Bruxelles” au Gault&Millau 2014.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Nicolas Darnauguilhem s’en est malheureusement allé réinventer son “Neptune” à Genève. Et si “La buvette” est toujours l’un des meilleurs rapports qualité-prix de la capitale, l’endroit semblait ronronner depuis quelques années… Non que Nicolas Scheidt se tournait les pouces, mais, en chantre du bien manger et pour équilibrer ses comptes, il a préféré jouer son rôle de patron et développer ses activités annexes avec ses associés, en s’occupant du “Café des Spores” juste en face, en créant “Hopla Geiss”, initialement une cantine à tartes flambées devenue aujourd’hui l’une des meilleures boulangeries de Bruxelles, et enfin “Alimentation”, une épicerie-traiteur qui a de la suite dans les idées.
L’étoile, pas une fin en soi
Mais depuis janvier, “La buvette” semble s’être réveillée d’un long sommeil… Exit du menu unique les épinards à la ricotta et au sésame noir et la tarte au chocolat qui ont fait la réputation des lieux, pour retrouver la vivacité créative des premières années. A l’origine, notamment, de ce renouveau, le chef exécutif Damien Brunet, avec qui Nicolas Scheidt construit ses menus et a qui il a confié les cuisines depuis un an car il ne pouvait tout mener de front.
Aujourd’hui, tous les deux ont des projets plein la tête, avec de gros travaux prévus cet été pour agrandir leur minuscule cuisine et peut-être développer un potager. De quoi changer la donne, et passer d’une cuisine d’assemblage inventive à une cuisine plus précise, plus aboutie, et peut-être enfin décrocher une étoile. Ce serait une belle reconnaissance pour une adresse où l’on a toujours travaillé avec constance et panache de beaux produits de saison.
Même si l’étoile est loin d’être une fin en soi pour le jeune Damien Brunet… “Je respecte et admire beaucoup de chefs étoilés comme Pascal Barbot, Pierre Gagnaire, Sang-Hoon Degeimbre et surtout Alexandre Couillon (chef deux étoiles de “La Marine” à Noirmoutier, NdlR), explique-t-il. J’admire les assiettes très épurées de ce dernier, où on a l’impression que tout est facile, qu’il n’y a rien, juste un poisson, des légumes et une sauce et qui cachent une technique de malade. Ce type est un génie. Il fait du grandiose avec rien et ses assiettes sont magnifiques. Mais je trouve que le Michelin, ce n’est plus d’actualité. Le service en queue-de-pie et les énoncés à rallonge, très peu pour moi. On est la nouvelle génération, prête à casser les codes ! Moi ce que j’aime bien à “La buvette”, c’est quand on envoie de belles assiettes avec un service jeune qui a une vraie interaction avec la clientèle et qu’on balance du gros hip hop dans la salle !”
« On est la nouvelle génération, prête à casser les codes de la gastronomie! »
Damien Brunet
Un chef 2.0 qui se cherche encore
On comprend que Damien Brunet veuille casser les codes, lui que l’on a d’abord repéré sur les réseaux sociaux… Le bonhomme a déjà plus de 2400 followers sur Instagram, où il publie ses assiettes créatives diablement photogéniques. “Ça fait beaucoup de pub en fait. Cette année, le nombre de clients qui sont venus grâce à Instagram est énorme”, explique Brunet.
Il ne faut pas pas un dressage net, il faut un mouvement dans l’assiette. C’est l’une des premières choses que j’ai apprise en cuisine avec mon vieux chef à la brasserie. Il me disait « Quoi, tu veux faire du gastro et tu sais pas faire un dressage en galaxie? »
Damien Brunet, chef et instagrammeur.
Pourtant, rien ne destinait ce Breton de 34 ans à suivre la voie de la cuisine… Originaire de Rennes, Brunet a étudié pendant 5 ans la contrebasse jazz dans une école de création musicale. Lorsqu’il débarque à Bruxelles, il fait des petits boulots dans l’Horeca pour pouvoir vivre de sa musique. Puis la cuisine est venue naturellement… “J’ai fait la plonge pendant 3 ans dans une biesse brasserie de Flagey, puis j’ai donné un coup de main en cuisine. Mon patron m’a demandé de remplacer quelqu’un au froid. Puis je suis passé au chaud, à la rôtissoire… J’ai fait ce que ma mère me disait, trouver un vrai métier quoi !”
Très vite, il veut côtoyer la haute gastronomie. “Mon rêve à ce moment-là, c’était les étoiles, Je suis passé chez Alexandre Dionisio et je me suis pris une grosse claque. J’ai vu que je n’avais rien appris en brasserie. Du coup j’ai continué à bosser, chez Bouchéry, au “Passage”, au “Va doux Vent”… J’ai participé de manière bénévole à beaucoup d’événements comme Culinaria.” Tout cela, c’était seulement il y a cinq ans. Autant dire que Damien Brunet se cherche encore mais on le sent sur la bonne voie…
“La cuisine de demain, c’est une cuisine de produits et locale, c’est ce qu’on fait à “La buvette”. Dans les nouveaux menus, on va encore réduire la viande et se concentrer sur le poisson, qui vient de chez moi, du Guilvinec, et laisser encore plus de place aux légumes. Je travaille beaucoup les légumes de saison de notre maraîcher Wim Maes près d’Anvers. J’aime aussi travailler les produits belges comme l’anguille ou le petit-gris de Namur mais j’ai un faible pour le sarrasin. Je l’utilise partout et sous les formes, torréfié, infusé, en tuile… C’est un peu ma madeleine de Proust car j’ai grandi dans une crêperie !”, se souvient le chef.
Une cuisine en synergie
“Au début la cuisine de Damien était très gastronomique, avec des gels, des points partout… Il était très formaté gastro. Mais aujourd’hui, sa cuisine est fidèle à l’esprit de la maison, proposant des assiettes spontanées, avec de l’élan. Il s’est projeté dans mon projet, un restaurant atypique où il n’y a pas d’esprit de brigade mais où chaque personne est responsabilisée. Damien, c’est aussi quelqu’un qui a tout de suite eu le souci de faire bien les choses et de belles choses”, explique son “patron”, Nicolas Scheidt.
Ce qui frappe à “La buvette”, c’est en effet cette belle continuité entre les assiettes de Brunet et celles de Scheidt. “Nicolas me laisse carte blanche à 100 % car il me fait confiance, se félicite Brunet. J’essaye de me démarquer mais je ne sais pas encore comment. Ce n’est pas au bout de 5 ans qu’on a une signature… Mais je pense que cette année, il va y avoir un déclic. On va faire des amuse-bouches, des mignardises. Mais toujours dans l’esprit “Buvette”. Faire plus de végétal, une cuisine plus brute. Surprendre les gens avec des produits inattendus. C’est ça le projet. On fait par exemple un céleri-rave confit avec une sauce à la betterave, dressé sur une assiette blanche. Ça pète et c’est super bon ! Je cherche… Je n’aime pas qu’un plat soit trop évident et Nico aime bien les prises de risque, même si, à la base de toute création, même d’influence nordique, il y a toujours la cuisine française classique…”
Et l’on sent que, libérée des contingences structurelles liées au manque de place et au manque de matériel, la cuisine de Damien Brunet prendra bien vite une autre dimension…
Gastro? Bistro? Si on me demande c’est quoi « La buvette »? Je réponds que c’est un restaurant où on fait la cuisine », s’enflamme Damien Brunet.
La buvette
Tous les soirs, le menu unique (49 €/6 serv.; 69€/9 serv.) concocté par Damien Brunet sous la supervision de Nicolas Scheidt fait se déplacer les foules à “La buvette”, ancienne boucherie chevaline art déco devenue l’un des hauts lieux de la jeune cuisine à Bruxelles.
On adore ces assiettes pleines de peps, aux assaisonnements francs, souvent acidulés, et aux associations parfois inattendues. Confit à la bière brune, le poireau se marie à des oignons vinaigrés, une gelée de pamplemousse et à un tartare de laitue de mer. Mais on craque surtout pour le carpaccio de Holstein maturée, proposé avec un chips de riz et des condiments à l’ail noir et aux anchois.
Si la cuisine de “La buvette” est résolument moderne et légère, elle n’exclut pas pour autant la gourmandise. En témoigne un joli filet de maigre, proposé avec du chou blanc vinaigré, un jus de moules à l’estragon mais aussi une croquette au pied de cochon. Tandis que, bien rosé, le filet de canette cuit au barbecue s’offre de beaux accompagnements de saison (crosnes, chanterelles, betterave) et une belle sauce au poivre sauvage talauma.
Enfin, en dessert, Brunet ose le légume, proposant des salsifis pochés au sirop d’hibiscus avec un génial sorbet de topinambour et une meringue parfaite aux noisettes du Piémont. Moderne et gourmand on vous dit !
Envie d’y goûter?
108 ch. d’Alsemberg 1060 Saint-Gilles.
Ouvert du mardi au samedi soir. Fermé le midi, dimanche et lundi.
Rens. : 02.534.13.03 ou www.la-buvette.be.